Panafricanisme : polémique au Ghana sur la célébration de la naissance de Nkrumah

Kwame Nkrumah doit-il s’approprier la gloire de la fondation du Ghana moderne ou doit-il la partager avec ses compagnons de lutte avec qui il est plus tard entré en bisbilles ? C’est la question qui agite les milieux politiques au Ghana, alors que le pays célébrait, ce 21 septembre, la «Journée du Fondateur» qui coïncide avec la naissance de Kwame Nkrumah. Mais l’introduction d’une loi par Nana Akufo-Addo, le président ghanéen, pour créer deux journées distinctes destinées à célébrer tous les héros de l’indépendance –et pas seulement Nkrumah- a déclenché une vive polémique et même un débat aux allures de leçon d'Histoire.
Ibrahima Bayo Jr.
La statue en bronze de Kwame Nkrumah, premier président du Ghana, au parc commémoratif qui porte son nom, situé dans le centre d’Accra, la capitale du Ghana,

Au cœur d'Accra, la capitale, sa statue qui le représente drapé dans une tenue traditionnelle, le doigt pointé vers l'horizon, est l'un des symboles de la quasi-vénération que les Ghanéens vouent à leur premier président.

Kwame Nkrumah, le visionnaire, seul fondateur du Ghana moderne ?

En Afrique où plusieurs universités et avenues portent son nom, Kwamé Nkrumah a la stature d'un visionnaire, celui qui a pensé le panafricanisme et a été le précurseur de l'Unité africaine. Chaque année au Ghana, le 21 septembre, date de sa naissance en 1909 à Nkroful, dans le sud de ce qui était alors la Gold-Coast, est un jour férié et une occasion de magnifier le leader qui permet au pays d'arracher son indépendance -et prendre son nom actuel- de la Grande-Bretagne en 1957.

Militant de l'UGCC, parti indépendantiste, Kwamé Nkrumah devient après l'indépendance, Premier ministre du Ghana (1957-1960), puis lorsque le pays devient une République, son premier président (1960-1966). Décrit comme mégalomane et autoritaire à la fin de son règne, il est à couteaux tirés avec ses anciens compagnons de lutte et ses opposants, emprisonnés tout à tour.

Fin février 1966, alors qu'il est en visite officielle en Chine pour tenter de remettre sur les rails un pays en difficulté économique, l'armée prend le pouvoir et le dépose. Il mourra loin de son pays en Roumanie où il était parti se soigner après un long séjour en Guinée, chez Sékou Touré.

Epopée glorieuse pour les uns, mythe qui escamote la contribution de ses compagnons de lutte pour les autres, la célébration de la «Journée du Fondateur» -du Ghana moderne- pourrait ne plus être la même. Nana Akufo-Addo, l'actuel président ghanéen, souhaite réhabiliter les autres héros de l'indépendance du pays.

Une loi pour deux jours fériés, source de la polémique politico-historique

Le locataire du Flagstaff House a introduit une loi pour créer deux jours fériés distincts. Le premier fixé au 21 septembre de chaque année ne sera plus appelé «Journée du Fondateur», mais «Journée commémorative de Nkrumah» pour marquer sa naissance. Le second, célébré le 4 août, sera baptisé «Journée des Fondateurs». Elle célèbre le groupe des «Big Six», les six hommes qui ont créé un 4 août 1947, dix ans avant l'indépendance, le premier parti politique, l'UGCC, qui va mener le pays à l'indépendance.

C'est justement cette loi qui crée la polémique. Nana Akufo-Addo, accusé de vouloir réécrire l'histoire, essuie de virulentes critiques sur une volonté supposée de mettre sur un même pied Kwamé Nkrumah et les autres membres du «Big Six».

Deux membres de ce groupe très respecté au Ghana sont les ascendants directs de l'actuel président. Edward Akufo-Addo, son père, a été président du Ghana (1970-1972) avant qu'un coup d'Etat ne l'éjecte de son fauteuil. Joseph Boakye Danquah, son oncle, est un des fondateurs du parti indépendantiste qui a orchestré le retour de Kwamé Nkrumah. On n'est pas loin de la «réhabilitation familiale».

En tout cas, la polémique enfle sur l'importance de créer ces deux journées. Pour beaucoup, c'est une manière de vouloir amoindrir la gloire et le titre de «Fondateur du Ghana moderne» dédié à Kwamé Nkrumah jusque dans les livres d'histoire. Les critiques font rage au point de pousser la présidence à sortir un communiqué de précision.

«Il est clair que les générations successives de Ghanéens ont apporté une contribution essentielle à la libération de notre pays de l'impérialisme et du colonialisme. Il est donc approprié que nous les honorions, comme ceux qui ont contribué à la fondation de notre nation», justifie le Flagstaff House.

Au sein de l'opposition, on fait passer le projet présidentiel pour une revanche familiale et un révisionnisme de l'histoire du Ghana pour renforcer la légitimité du NDC (au pouvoir), héritier idéologique de l'UGCC.

«C'est une ironie sombre de notre histoire que la tradition très politique qui a conspiré pour tronquer sa vision inégalée, le 24 février 1966 [Coup d'Etat qui a renversé Kwame Nkrumah, NDLR], cherche aujourd'hui à réviser l'histoire du Ghana», a fait savoir John Dramani Mahama, l'ancien président dans une ode au premier président du pays.

Les feux de la polémique sont loin de s'éteindre avec la volonté du pouvoir en place de faire aboutir le projet des deux jours de célébration. Le NDC prévoit d'organiser une marche pour montrer l'adhésion des Ghanéens au projet. En face, l'opposition promet une riposte à la hauteur de l'affront.

Ibrahima Bayo Jr.

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