Présidentielle au Rwanda : ces deux hommes qui défient Paul Kagamé

La désignation de Paul Kagamé comme futur président de l’Union africaine, en remplacement du Guinéen Alpha Condé, ne laissait déjà plus aucun doute quant à l’issue de la présidentielle de ce 4 août. Archi-favori depuis la modification constitutionnelle qui lui ouvre le boulevard pour la présidence à vie, c’est sur le score de l’homme fort de Kigali que les tergiversations se tournent. Et pourtant deux hommes ont eu « la témérité » de défier dans les urnes, l’ex-guérillero qui règne sur les mille collines depuis bientôt deux décennies.
Ibrahima Bayo Jr.
De gauche à droite, Philippe Mpayimana (candidat indépendant), Paul Kagamé (ultra-favori) et Frank Habineza (président du premier parti d'opposition)

Lorsque les 6,8 millions de Rwandais vont mettre leur bulletin dans l'urne, ce vendredi 4 août, le jeu consistera à départager un candidat qu'ils connaissent depuis des décennies et qui part achi-favori, et deux autres candidats quasi inconnus. Et pourtant, même si les pronostiqueurs prédisent leur bérézina, Philippe Mpayimana et Frank Habineza ont décidé de jeter leurs dernières forces dans la bataille. Mais qui sont ces deux hommes qui ont osé défier le maître des mille collines depuis 2000 ?

Frank Habineza, baptême de feu présidentiel du premier opposant rwandais

Dans un Rwanda où les partis politiques sont quasi-inexistants, Frank Habineza entre dans l'histoire politique comme le président du premier parti d'opposition. A 40 ans, le co-fondateur et président du Parti vert démocratique du Rwanda (DGPR, sigle en anglais) avait déjà été écarté de la présidentielle de 2010.

Sa formation créée en 2009, mais non reconnue par les autorités, n'a pas pu participer à la course au Palais d'Urugwiro. En 2013, le récépissé du parti accordé tardivement, l'empêche de prendre part aux législatives. Frank Habineza qui participe à sa première présidentielle, ne se fait pas d'illusion. Son objectif n'est pas de jouer le « David » qui veut terrasser « Goliath ».

Avec le DGPR constitué de dissidents du Front patriotique rwandais (au pouvoir), compte avant tout, braver les pressions sur ses membres (disparitions, assassinats, menaces), pour se poser en offre politique crédible pour remplacer le régime. Dans son programme, la fermeture des centres de détention et le retour des exilés politiques

Philippe Mpayimana, le candidat de l'antisystème

Autre candidat, l'homme dont on ne parle peu. Sans prétendre à déboulonner Paul Kagamé ou le mettre en ballotage, Philippe Mpayimana est le visage de l'espoir. Contre toute attente et sans étiquette ni parti politique, ce journaliste de 46 ans se lance dans la course en indépendant.

Son talon d'Achille, sa connaissance du Rwanda qu'il a quitté lorsque les forces du FPR menés par les Tutsis signaient la fin du génocide perpétré par les Hutus. Exilé au Congo, cet ancien journaliste de la télévision publique se rend au Cameroun avant de trouver asile en France.

Rentré quelques mois avant la présidentielle, sa candidature est validée in extremis par la commission électorale. Philipe Mpayimana se veut l'incarnation de l'espoir contre la censure et le système autoritaire qu'il ne cesse de dénoncer. Mais il a fait les frais d'une campagne qu'il a voulu inscrire dans la simplicité en rencontrant les électeurs à moto ou en mangeant publiquement -attitude socialement très indécente-, donnant ainsi l'impression d'importer une culture étrangère au Rwanda.

Paul Kagamé, le maître des mille collines qui cache le soleil à ses opposants

En face de deux opposants, la balance penche déjà vers le maître des mille collines qui séduit par son modèle autoritaire d'exercice du pouvoir escamoté par sa réussite économique. A 60 ans, Paul Kagamé, c'est une poigne de titan enveloppée dans un gant de satin.

De sa main de fer, cet ancien maquisard qui a contribué à mettre fin au génocide des Tutsis (dont il est issu) par les Hutus, a réunifié le pays au prix d'une mise sous coupe de toute opposition et régule lui-même la vie politique du pays. Vice-président et ministre de la Défense (de 1994 à 2000) sous la présidence de Pasteur Bizimungu, il assure la transition à la démission de ce dernier.

Réélu deux septennats de suite sans réelle opposition avec un score au-dessus des 90%, Paul Kagamé amorce une modification constitutionnelle en 2015 largement approuvée qui fait sauter la limitation des mandats et prévoit le passage à un quinquennat. En réalité c'est un boulevard pour lui de pouvoir garder son fauteuil jusqu'en 2034 !

De son gant de satin, Paul Kagamé inscrit le Rwanda dans une confortable progression économique. Avec une communication réglée comme du papier à musique, il promeut le modèle de son pays qui vient de loin. En 20 ans de règne, le maître des mille collines a donné au Rwanda un taux de croissance annuelle moyen de 8%, un revenu annuel par habitant multiplié par cinq depuis 1994, et une généralisation de l'assurance-maladie à 91% des 12 millions de Rwandais.

Sauf cataclysme électoral, il faudra plus qu'un lance-pierre pour terrasser ce Goliath qui règne sans partage sur le petit pays d'Afrique de l'Est. La désignation de l'homme fort de Kigali comme président en exercice de l'Union africaine pour remplacer Alpha Condé n'est qu'une confirmation de plus pour une élection sans suspense. Au Rwanda, c'est la liberté qui paye la prospérité. Pour combien de temps encore ?

Ibrahima Bayo Jr.

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