Trump, un épouvantail pour l'Afrique ? Pas si sûr...

L'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche provoque beaucoup d'interrogations. La Tribune Afrique a demandé à quatre personnalités indépendantes d'horizons très divers de donner leur sentiment sur les retombées pour l'Afrique de la politique qui sera menée à Washington par la nouvelle administration.

L'élection de Donald Trump a provoqué des réactions mitigées sur le continent. Le club des présidents africains «qui s'accrochent au pouvoir» a vite pris conscience, selon la plupart des commentateurs, que le nouveau locataire de la Maison Blanche avait construit toute sa campagne sur le «Make America great again» (rendre sa grandeur à l'Amérique). Du coup, ce retour de l'isolationnisme aux plus hauts sommets des l'Etat est interprété comme un gage que le 50e président des Etats-Unis n'aura plus autant à cœur de s'occuper d'élections transparentes et de droits de l'homme comme le faisait son prédécesseur. L'ancien Monsieur Afrique de Georges Bush, l'ambassadeur Herman Cohen, a même glosé sur la phrase du président Obama prononcée en Egypte lors de sa première tournée africaine, affirmant que l'Afrique n'avait pas besoin d'hommes forts, mais d'institutions fortes. «Donald Trump préfère traiter avec des hommes forts. Donc, je ne crois pas qu'il va beaucoup parler de la bonne gouvernance ou de la démocratie. Il va essayer de faire des accords avec des présidents comme le Rwandais Paul Kagame, le Kenyan Julius Kenyatta ou le Congolais SassouNguesso», selon l'ex-sous-secrétaire d'Etat aux Affaires africaines.

D'autres présidents africains, comme Macky Sall, ont préféré rester prudents. «Je pense que les propos et les actes du président seront très différents de ceux du candidat», avait estimé le chef de l'Etat sénégalais avant l'investiture de Donal Trump. La promesse de campagne d'interdire l'entrée des Etats-Unis aux musulmans signifie qu'un grand nombre de Sénégalais et d'autres ressortissants africains de pays majoritairement musulmans ne pourront plus venir aux Etats-Unis, qu'au compte-gouttes. Pour les sans-papiers, c'est l'expulsion garantie: après une centaine de Kenyans en janvier, ce sont des Sénégalais en situation irrégulière ou ayant eu maille à partir avec la justice qui ont été expulsés vers Dakar le 5 mars dernier. Et d'autres expulsions vont suivre, même si son premier décret anti-immigration du 27 janvier dernier, dans lequel sept pays étaient visés (Irak, Iran, Libye, Syrie, Soudan, Somalie et Yémen), a été rejeté par plusieurs juges fédéraux.

Racisme d'Etat

Compte tenu du milieu et de l'époque dans lesquels il a grandi, la question de savoir si Donald Trump est raciste revient souvent. En septembre 2016 à Detroit, ville sinistrée du nord-ouest des Etats-Unis, il avait notamment déclaré à l'attention des noirs américains venus l'écouter: «Vous êtes dans une telle situation de misère que vous n'avez rien à perdre en votant pour moi !». Ce discours avait scandalisé, car considéré comme relevant d'un misérabilisme teinté de mépris paternaliste, mais ne l'a pas empêché de rallier les suffrages de cette minorité comme de celle des Hispaniques, voire même des femmes blanches dont un grand nombre l'ont préféré à Hillary Clinton.Vis-à-vis de l'Afrique, on lui connaît assez peu de déclarations de campagne, hormis à un média sud-africain qui l'interrogeait sur le retrait de certains pays de la Cour pénale internationale (CPI). «Il est honteux pour les dirigeants africains de chercher à sortir de la CPI», aurait-il répondu, ajoutant : «Je pense qu'il n'y a pas de raccourci vers la maturité. L'Afrique devrait être recolonisée».

Reste également de nombreuses incertitudes concernant la diplomatie climatique et les programmes d'aide économiques de l'Amérique à un continent noir en matière de lutte contre le sida, la malnutrition ou le trafic des êtres humains sous toutes ses formes. Les propos souvent outranciers de «ce président qui twitte plus vite que son ombre» ont, en effet, de quoi inquiéter. Les experts craignent que les engagements pris lors de la Cop 21 en décembre 2015, suivie par la Cop 22 à Marrakech en novembre 2016, ne survivent pas à un retrait des Etats-Unis. Dans ce cas, les conséquences pour les pays africains, qui sont les plus vulnérables et les plus exposés aux changements climatiques, seraient dramatiques.

Les hommes du président

Au gré des nominations, les contours de ce que sera la future politique africaine prennent forme. A commencer par celle du milliardaire nigérian Adebayo Ogunlesi comme l'un de ses conseillers à la Maison Blanche qui devrait amener beaucoup de réalisme dans la manière dont Washington va traiter avec les grands pays africains. John Peter Pham, directeur des études africaines au think tank Atlantic Council, est le favori pour remplacer Linda Thomas-Greenfield à la tête du Bureau des Affaires africaines du Département d'État. Spécialiste de l'Afrique, ce dernier n'a pas caché qu'il voulait pousser le président américain à revoir ses ambitions à la hausse pour le continent. Déjà en novembre 2016, il recommandait à la future Administration américaine de faire de l'Afrique «une priorité» évoquant un continent qui héberge «six des dix économies mondiales avec les plus forts taux de croissance». Un contraste fort, selon lui,  avec des «défis réels en matière humanitaire, de sécurité et de développement» que Donald Trump ne peut pas ignorer, puisqu'elles font souvent le lit du terrorisme.

Le nouveau visage de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, connaît bien l'Afrique en sa qualité d'ex-PDG de la compagnie pétrolière ExxonMobil. Il entretient -ou a entretenu- des relations d'affaires avec les chefs d'État de grands pays exportateurs comme le Nigeria, l'Angola, le Tchad ou le Mozambique et a rencontré l'ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2007. Il sera donc à même de piloter cette «diplomatie économique» que Donald Trump appelle de ses vœux. C'est toutefois sur le plan sécuritaire que la surprise pourrait venir puisque le locataire de la Maison Blanche n'a pas caché qu'il voulait faire de la lutte contre le «terrorisme islamique radical» l'un des axes principaux de sa politique étrangère. L'armée américaine possède une base permanente à Djibouti. Depuis quelques mois, les États-Unis construisent une importante base aérienne au Niger, afin de pouvoir surveiller les mouvements de jihadistes dans le Sahel et d'y conduire des frappes de drones. Les islamistes, autant que les Shebab de Somalie ou Boko Haram dans le nord du Nigeria, «menacent non seulement les pays où ils sont implantés, mais aussi la sécurité des États-Unis et de ses alliés européens», fait valoir John Peter Pham. D'autant que l'instabilité de certaines régions met en péril les intérêts commerciaux américains. Une réorganisation des opérations militaires sur le théâtre africain sous Donald Trump n'est donc pas exclue.

Khaled Igue, fondateur du Club 2030 (Bénin)

Khalid Igue

«SC'est plus l'Afrique de la diaspora qui va être impactée par les décisions de Donald Trump. En effet, 80 % des pays africains ont des économies circulaires, dont 60 % dans l'informel avec un marché national et sous-régional. Ces Etats ne se posent donc pas la question de leurs relations avec la première économie mondiale, car elles sont souvent inexistantes. Comment faciliter les échanges entre les pays africains pour faciliter ensuite ceux avec les Etats Uni, pourrait être une priorité de la nouvelle Administration Trump. Il ne faut donc pas d'emblée crier au loup : l'Afrique n'est pas l'Europe ! En revanche, les institutions multilatérales et, notamment, celles de Bretton Woods, dont Washington est l'un des plus gros contributeurs, ont du souci à se faire s'il y a une diminution de l'aide américaine. A moins que ce ne soit une chance pour l'Afrique d'aller renégocier ses positions dans ces instances en formant un bloc. Un nouveau partenariat de type «New New deal» pourrait ainsi en résulter. En RDC, l'aide américaine pour des programmes d'éducation représente 1,3 milliard de... mauvaise gestion ! La nouvelle diplomatie économique américaine est une opportunité pour refaire des contrats qui tiennent la route. Car, il ne faut pas se leurrer : il n'y a pas de  projets globaux pour l'Afrique concoctés par des présidents américains, même dans le cas du «Power Africa» du président Obama. Seuls les Africains peuvent élaborer des programmes de développement pour eux-mêmes à l'échelle du continent. Vis-à-vis des Etats-Unis, il ne faut pas que les Africains se trompent de combat, qui n'est ni celui de la Chine, ni celui de l'Europe. Le continent a des atouts commerciaux et des richesses propres qu'il peut faire valoir. Tout en continuant à bâtir une relation à équidistance entre tous ces géants qui veulent récupérer l'Afrique dans leur giron».

Ahmedouould Abdallah, président du Centre 4S (Mauritanie)

Ahmedou Ould Abadallah

«Vu d'Amérique, on n'investit pas «en Afrique», mais dans des pays précis et, au-delà, dans des sociétés précises. Il n'est donc pas correct de parler de relations avec l'Afrique quand on parle de la politique commerciale des Etats-Unis. Regardez des firmes texanes comme Kosmos ; elles n'hésitent pas à investir dans un «petit» pays comme le Sénégal, dès qu'elles y voient des opportunités de nouvelles découvertes (gaz et hydrocarbures). Le nouveau chef de la diplomatie, Rex Tillerson, a visité plusieurs grands Etats pétroliers quand il dirigeait ExxonMobil pour les mêmes raisons. Les milliardaires «noirs» que Donald Trump a fait rentrer dans son administration ont été cooptés parce qu'ils ont réussi dans les affaires. C'est vrai pour Ben Carson, qui était son opposant politique au sein du Parti républicain, comme pour le milliardaire nigérian Adebayo Ogunlesi dont il a fait son conseiller. Les «potes» du nouveau locataire de la Maison Blanche sont d'abord riches comme lui. N'oublions pas que la plupart des grands programmes d'aide et de développement vis-à-vis de l'Afrique ont été pris à l'ère des Bush père et fils, c'est-à-dire par des hommes d'affaires républicains et non pas par des démocrates. Seul le programme d'Obama pour amener l'électrification sur le continent (Power Africa) fait exception. Et encore, c'est la partie australe et orientale de l'Afrique, plus le Ghana, qui a été privilégiée parce que ces pays, majoritairement anglophones, ont des législations compréhensibles par les chefs d'entreprise américains. Donald Trump ne touchera pas à l'AGOA, car c'est trop marginal à ses yeux. Le volume des échanges avec l'Ile Maurice, le Mozambique et l'Afrique du Sud, qui en sont les principaux bénéficiaires, représentent à peine 100 milliards de dollars, soit l'équivalent des échanges avec la Chine par... trimestre ! Si les Américains investissent peu sur le continent, c'est dû à une législation défaillante dans les Etats africains. Pour qu'une société américaine vienne, il faut qu'elle ait un recours possible en cas de litige. Sans parler du manque d'infrastructures ou de la cherté de l'énergie... La question prioritaire que les dirigeants africains doivent se poser c'est : comment faire pour attirer les investissements américains ? Aucun pays au monde ne s'est développé sans un passage obligé par le marché américain».

Pr. Darryl Obama Prevost, Université de Californie, campus Stanford (Etats-Unis)

Darryl obama

«Le président George W. Bush a quadruplé les niveaux de l'aide américaine aux pays africains. Un processus que le président Barack Obama a largement soutenu. En 2015, l'essentiel de l'aide américaine est allé à d'autres alliés comme l'Afghanistan (5,5 milliards de dollars), Israël (3,1 milliards de dollars), l'Irak (1,8 milliard de dollars) et l'Egypte (1,4 milliard de dollars),  dépassant largement les 8 milliards de dollars pour l'ensemble de l'Afrique subsaharienne. Le nouveau secrétaire d'Etat, Rex W. Tillerson, a chanté les louanges du Plan d'urgence américain pour la lutte contre le VIH/sida (PEPFAR), le qualifiant de «l'un des programmes les plus réussis en Afrique». On peut donc s'attendre à ce qu'un bon nombre des programmes restent en vigueur ou même élargis afin de protéger les intérêts économiques des Etats-Unis. L'Administration Trump continuera à s'appuyer sur les spécialistes de la zone Afrique du Département d'Etat américain, sur l'AFRICOM et sur des Bureaux, tels que celui très convoité de représentant du commerce pour l'Afrique, pour élaborer sa politique africaine. Pour maintenir la paix et de stabilité dans la Corne de l'Afrique, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, le gouvernement des Etats-Unis vient de vendre pour 400 millions de dollars d'avions de guerre au Kenya dans le but de contenir al-Shabab et al-Qaîda. La vente de ces avions avait  été négociée durant l'Administration Obama. Un autre exemple est l'approbation récente et la détermination de l'administration Trump à poursuivre l'aide au gouvernement d'unité de la Libye pour détruire les ex-extrémistes de Khadafi dans son bastion de Syrte. Enfin, la nomination de Florizelle Liser en tant que nouveau président du CCA devrait permettre de maintenir la pression du secteur privé pour qu'il n'y ait pas de désengagement américain du continent. En tant que représentante commerciale adjointe pour l'Afrique, elle était en charge de l'initiative AGOA dans les Administrations Bush et Obama. Preuve que cette initiative pour booster la croissance et les opportunités économiques en Afrique, qui a permis de créer plus de 500 000 emplois, a de beaux jours devant elle. Depuis que l'AGOA a été signée en mai 2000 en loi par le président Clinton, les Républicains comme les Démocrates l'ont toujours unanimement soutenue».».

Eric Bazin, fondateur du Lab (France)

Eric Bazin

«Si Donald Trump tient ses promesses de campagne, les Etats-Unis vont vivre une profonde rupture en matière de politique étrangère. Pour autant, ce n'était pas une bonne chose que les Etats-Unis se prennent pour le gendarme du monde (...). Je suis pour ma part partisan d'un «offshore-balance» (un équilibre à distance) mieux respecté. Si l'arrivée de Trump à la Maison Blanche ne va pas bouleverser les relations avec l'Afrique, on peut néanmoins s'attendre à des coupes dans les crédits pour lutter contre le sida ou la faim dans certaines parties du continent. Paradoxalement, cela crée plus de place à des initiatives «privées» comme celles de Melinda et Bill Gates ou bien à d'autres programmes d'électrification déjà bien avancés (...). Le candidat Trump a expliqué tout au long de sa campagne que le danger venait de Chine. Il veut donc mettre fin au «Trans Pacific Partnership» (TPP) et semble vouloir se concentrer sur l'Asie et le Moyen-Orient, après l'Amérique du Sud et l'Europe. L'Afrique ne semble pas figurer dans les radars de ce docteur Folamour à la mèche rabattue. En revanche, certaines de ses annonces, comme de fortes mobilisations financières au profit de nouvelles infrastructures à construire -et je ne parle pas du triste mur avec le Mexique !- relancent l'intérêt de certains pays africains pour leurs matières premières. La Mauritanie, par exemple, avec le fer et l'acier, en fait partie. Plus inquiétante, cette volonté de Donald Trump de vouloir séparer les hommes avec son décret sur l'immigration. Stigmatiser les populations à cause de leur nationalité ou de leur religion va semer un vent de discorde dans le monde musulman qui peut très vite s'avérer contre-productif. D'aucuns diront que c'est une chance pour l'Afrique de se prendre en main... Certainement, mais je reste convaincu qu'il y a des manières moins brutales de faire entendre aux peuples africains qu'il est temps de devenir responsables de leur destin !».».

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