Afrique : quand il faut rendre à Pekin ce qui « appartient » à Taipei

Le retrait de la reconnaissance de Taipei par Sao-Tomé au profit de Pékin a relancé la guerre des alliances entre la République de Chine et sa rivale, la République populaire de Chine. Après ce succès diplomatique, la Chine continentale entend conquérir les derniers soutiens diplomatiques de Taïwan. Mais cette dernière veut organiser la riposte et relancer le jeu de go diplomatique avec l'Afrique comme nouveau théâtre.
Ibrahima Bayo Jr.

« Il nous reste vingt et un alliés, il nous faut les choyer ». Dans une position délicate, Tsai Ing-Wen, la présidente de Taïwan s'était résolue à compter encore ses alliés diplomatiques lorsqu'elle constate que, ce 21 décembre 2016, le gouvernement rival de Pékin a réussi à lui ravir Sao-Tomé-Et-Principe au club de ses rares alliés diplomatiques en Afrique.

Trump au pouvoir, expédition punitive de la Chine populaire

Trois semaines auparavant, en «violation» d'un accord tacite de «consensus» conclu en 1992 entre le Kouo-Min-Tang (KMT) et le Parti communiste chinois (PCC) sur l'existence d'une seule Chine sujette à deux interprétations, Tsai Ing-Wen avait provoqué l'ire de la République populaire de Chine (RPC).

A contre-courant de la trêve négociée en 2008 par Ma Ying-Jeou, son prédécesseur du KMT qui a calmé la rivalité dans la conquête des alliances diplomatiques, la présidente taïwanaise du Min-Jin-Dang (Parti démocrate progressiste, PDP, au pouvoir), a commis l'imprudence de passer un appel au bouillonnant 45ème président des Etats-Unis, Donald Trump qui menaçait de revenir sur «le principe de la Chine unique».

En représailles, Pékin a relancé le jeu de go diplomatique avec son rival insulaire et réussit le tour de main diplomatique d'arracher Sao-Tomé-Et-Principe au réseau des soutiens diplomatiques de Taïwan.

Officiellement, la rupture des relations diplomatiques entre l'île ouest-africaine et la République de Chine (Taïwan) au profit de la reconnaissance de la République populaire de Chine (la Chine continentale) s'appuie officiellement sur «le principe de l'existence d'une seule Chine, représentée en droit international par la République populaire de Chine», selon le communiqué du gouvernement de l'ancienne colonie portugaise. Mais, elle est dénoncée par la République de Chine, le nom officiel de Taïwan, comme la conséquence du refus de Taipei de céder au chantage diplomatique de Sao-Tomé et ses «demandes de sommes astronomiques» oscillant entre 100 à 200 millions de dollars, selon la réplique salée de David Lee, ministre taïwanais des Affaires étrangères.

Offensive de la Chine pour courtiser les soutiens de Taïwan

Cette passe d'armes diplomatique révélait un constat amer pour Taïwan : en cette fin d'année 2016, la liste des soutiens diplomatiques de l'ancienne République de Formose s'est rétrécie à deux pays en Afrique, le Burkina Faso et le Swaziland. Pourtant, deux décennies plutôt, les rôles étaient inversés sur le continent. Grâce à sa «diplomatie du carnet de chèques» et à la réalisation d'ambitieux projets d'infrastructures, Taïwan avait profité de la timide présence de la Chine continentale pour se construire un solide réseau d'amis en Afrique subsaharienne.

Un réseau bien entretenu à coup de millions de dollars d'aides accordées par Taipei sans exigences démocratiques ni récriminations sur les procédures de passation de marchés, ou, de construction à ses frais de bâtiments administratifs et même de «cadeaux» diplomatiques conséquents.

Au Niger, la reconnaissance de Taïwan a renfloué les caisses du Trésor de 20 millions de dollars, sous forme d'aide. Au Burkina-Faso, elle a permis la construction de centres de santé, d'un échangeur et plus tard du ... Palais présidentiel ! Taïwan a même réglé sans conditions, les 5 millions de dollars de frais de réfection de l'avion présidentiel du Sénégal où elle avait construit auparavant des routes, pour rester dans les bonnes grâces du pays d'Abdoulaye Wade. En échange, les pays bénéficiant des généreuses largesses de l'ancienne Formose, devaient bannir la rivale de la République Populaire de Chine et consacrer Taïwan comme le représentant légal de la «Chine unique».

Une stratégie séduisante pour les régimes africains, souvent en difficulté, qui se sont empressés de reconnaître Taipei en lieu et place de Pékin. Si bien qu'au milieu de l'année 1995, Taïwan pouvait se targuer de compter treize alliés sur le continent ! Le président taïwanais pouvait alors s'offrir une tournée africaine pour renforcer ses liens tissés à coups de dollars et de cadeaux avec ses alliés au point que ceux-ci introduisent à l'ONU, une demande d'adhésion de Taïwan d'où la Chine continentale l'avait évincée depuis 1971.

Puis, avec le temps, le tableau a pris quelques rides et le divorce a succédé à la longue lune de miel. Dans le contexte de la mondialisation, plusieurs alliés africains ont retourné leur veste en faveur de la Chine continentale dont le poids économique de plus en plus affirmé, lui a permis de contrer l'influence de sa rivale insulaire à la faveur d'une offensive aussi bien diplomatique, économique, culturelle que sociale.

C'est le Lesotho qui claque la première la porte de Taipei en 1994 après avoir longtemps valsé entre les deux «Chines». Maseru a d'abord entretenu (entre 1983 et 1990) des relations diplomatiques avec Pékin avant de la snober pour reconnaître Taïwan (1990-1994), puis est revenue dans le giron de la Chine populaire. Dans la brèche ouverte par le Lesotho, le Nigéria succombe à l'appel à la fronde contre Taipei en 1996. Abuja est imitée deux ans plus tard, en 1998 par la Centrafrique et la Guinée-Bissau. Cette même année, Taipei perd un soutien de taille : l'Afrique du Sud de Nelson Mandela en dépit de ses liens et de ses réseaux cultivés jusque dans les instances de l'ANC, dans les milieux d'affaires et l'armée. Sans répit pour Taipei, les années 2000 précipitent les retraits de soutiens africains. En 2003, après près de 15 ans de compagnonnage avec Taipei, le Libéria rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan pour rejoindre le club des soutiens de Pékin avec qui il a entretenu des relations entre 1977 et 1989. Le Sénégal en 2005, le Tchad en 2006, le Malawi en 2008, rejoignent le camp de Pékin au détriment de Taipei. Avec une «cour assidue», Pékin a réussi lentement à pousser Taipei hors d'une Afrique que les augures économiques, financières, énergétiques et même démographiques présentent comme le continent de l'avenir.

Nouvel échiquier du jeu de go diplomatique entre les deux Chines

Pékin n'a pas eu besoin d'arguties pour se décider à ravir à Taipei un à un ses soutiens diplomatiques et prendre sa place sur le continent. Pour la Chine continentale, il s'agit, «d'abord d'isoler Taiwan et délégitimer le régime de la République de Chine, ensuite pour accroître le nombre de ses alliés à l'ONU, et enfin pour devenir un partenaire incontournable de l'Afrique, tant sur le plan économique que diplomatique», résume Jean-Pierre Cabestan, spécialiste du monde chinois contemporain et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris.

La Chine populaire est proche de son but de bouter Taïwan hors d'Afrique. Avec la défection de Sao-Tomé, fin 2016, Taipei ne compte plus que deux derniers alliés en Afrique : le Burkina-Faso et le Swaziland. Les derniers bastions africains de Taïwan semblent être encore dotés de moyen de résister à la vague rouge de la Chine populaire.

«D'une part, parce que Taipei y a consacré une aide significative et d'autre part, parce que le gouvernement local en place est resté attaché à Taiwan et n'est pas tenté de reconnaître Pékin», analyse Jean-Pierre Cabestan. Chercheur associé au Centre d'étude français sur la Chine contemporaine de Hong-Kong, le sinologue estime néanmoins qu'«avec la fin en 2016 de la trêve non écrite instaurée en 2008 après l'élection de Ma Ying-jeou à Taiwan, les choses pourraient se compliquer pour le gouvernement de Tsai Ing-wen, comme l'a récemment montré la normalisation entre Sao Tome et Principe et la RPC».

Allié le plus stratégique pour l'ancienne Formose, proche de l'ancien président Blaise Compaoré, le Burkina est en ligne de mire de la Chine depuis le rétablissement des relations entre Taïwan et le Burkina en 1994. «A priori, souligne le politologue burkinabé, Nicolas Zémané, la logique qui sous-tend les relations entre les deux pays n'est pas prête à changer». Pour éloigner les yeux de Pékin de ses rares soutiens africains, Taipei a ressorti le chéquier. Le gouvernement taiwanais a accordé 28,6 milliards de Francs CFA au Burkina lors de la 11ème commission mixte Taïwan-Burkina.

Même si le régime a changé de visage et que les investissements de Pékin dans le très stratégique secteur minier s'accroissent au Burkina, Pékin arrachera difficilement cette prise de guerre à sa rivale. «Un éventuel basculement n'est pas dans les intentions du président Roch-Marc Christian Kaboré, qui semble avoir réaffirmé de façon explicite le soutien du Burkina Faso en faveur de Taiwan. Il y a aussi le fait que l'un des acteurs du rapprochement en 1994 entre les deux pays, est aujourd'hui un homme clé du pouvoir en place, le président de l'Assemblée Nationale, Salifou Diallo, qui semble attacher du prix au maintien des relations entre Taiwan et le Burkina Faso», analyse encore Nicolas Zemané.

Pour Jean-Pierre Cabestan, «vue l'asymétrie de puissance, Pékin n'aurait pas beaucoup de pressions à exercer pour briser ces derniers liens diplomatiques entre Taipei et l'Afrique». Si les hostilités entre la Chine continentale et Taïwan venaient à être relancées pour la (re)conquête du Burkina et du Swaziland, l'Afrique sera à nouveau, le tablier du jeu de go diplomatique entre les deux «Chines».

Les représailles de Taïwan face aux défections

Taipei semble désormais vouloir tout faire pour conserver ses derniers alliés africains. Si la présidente Tsai Ing-Wen use de la carotte avec ses derniers alliés en appelant à revoir-et renforcer- tous les programmes de coopération, elle ne manque pas de brandir le bâton face à ceux qui ont tourné le dos à son pays.

Sao-Tomé-Et-Principe n'a pas seulement payé son inclinaison vers Pékin d'une rupture des relations diplomatiques avec Taipei et d'un gel total et sans délai des programmes d'aide, enveloppés dans la subtile justification diplomatique de « la dignité de la nation ». La soixantaine d'étudiants saotoméens boursiers à Taïwan ont été renvoyés. Dans le lot, le fils et la fille du président de Sao-Tomé, Evaristo Carvalho. Cocasserie ultime de la diplomatie ; sa femme est taïwanaise !

Plus encore, le Niger s'est lui aussi attiré les foudres de la « vengeance » taïwanaise. Alors dirigé par le président Mahamane Ousmane, le pays, alors exsangue et au bord du défaut de paiement, s'était vu perfuser d'une aide taïwanaise de 50 millions de dollars en 1993. Le premier ministre de l'époque n'était autre qu'un certain Mahamadou Issoufou (aujourd'hui au pouvoir).

En 1996, Ibrahim Baré Maïnassara renverse Mahamane Ousmane et change de veste pour reconnaître la République populaire de Chine. Taipei est furieuse mais patiente. Elle exige le paiement de la dette assujettie à la reconnaissance de Taïwan et révèle dans la foulée l'existence d'un autre prêt de 10 millions de dollars dont les traces n'apparaissent pas dans les livres du Trésor nigérien

Face à la sourde oreille du régime, Taipei rumine une rancune de chameau contre cet allié impertinent. Elle porte l'affaire devant un tribunal d'arbitrage américain et renvoie dans la foulée tous les émissaires de Niamey envoyés par ... le Président Mahamadou Issoufou.

Au final, en dépit des appels de l'Etat nigérien, le tribunal donne raison à Taïwan. Il condamne le Niger à payer avec les intérêts et les astreintes, la rondelette somme de 180 millions de dollars. Le pays de Mahamadou Issoufou se résolut à négocier, arguant de la pauvreté de son pays. En juin 2015 Taïwan qui avait menacé de saisir des bâtiments et des comptes de l'Etat nigérien, consent finalement à ramener la dette à 20 millions de dollars. Elle exige, le paiement immédiat sans délai de 5 millions de dollars puis le versement des 15 millions restants selon un échéancier décidé d'un commun accord. Comme quoi quand on tourne le dos à Taïwan, on le paie ... cash !

Ibrahima Bayo Jr.

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