Gambie : et si la CEDEAO se préparait à introniser Barrow... à Dakar ?

Trois journées seulement nous séparent du jour fatidique. Au pouvoir depuis le coup d’Etat du 22 juillet 1994 Yahya Jammeh règne sur le State House depuis bientôt 23 ans. Mais son bail constitutionnel expire le 18 janvier à 23h59. Adama Barrow, le président élu, aujourd’hui réfugié à Dakar, compte bien se faire "introniser" le lendemain, alors que la crise post-électorale n’est même pas totalement soldée. Les chefs d’Etat de l’organisation sous régionale qui avaient annoncé leur présence lors de son investiture, vont-ils introniser Adama Barrow à Dakar ? Ce serait en tout cas une première, et la question a son pesant d’or.
Ibrahima Bayo Jr.

Le 19 janvier 2017, la Gambie sera officiellement entrée dans un nouveau chapitre de son histoire politique. Adama Barrow, le président qui a officiellement défait Yahya Jammeh avec des billes, avait déjà lancé ses « faire-parts » à son investiture prévue à cette date au Stade de l'indépendance à Banjul, là même où Yahya Jammeh a juré 4 fois de défendre la constitution gambienne. Mais brusque chamboulement de calendrier en marge du sommet Afrique-France de Bamako, le week-end dernier. Invité en tant que « président élu », Adama Barrow -encore sans légitimité constitutionnelle- en a profité pour embarquer, dans le plus grand secret, dans l'avion présidentiel de Macky Sall pour se réfugier à Dakar.

Barrow investi à Dakar?

Dans le pays voisin où il est logé au Terrou Bi, un hôtel quatre étoiles de Dakar au nom de « l'hospitalité sénégalaise » pour des raisons officielles de sécurité, Adama Barrow se prépare donc à enfiler son costume de troisième président de la Gambie. Mais comment un président fusse-t-il élu par les urnes, compte se faire introniser alors qu'il est en exil dans un pays étranger ?

Aujourd'hui, il est difficile de pouvoir apporter une réponse tranchée à cette question qui taraude. La Cedeao qui a échoué lors de sa mission de la dernière chance en amont du sommet de Bamako, à convaincre Jammeh de céder son fauteuil, devra trouver une autre subtilité pour « faire respecter le résultat des urnes ». L'hypothèse de l'intervention militaire semble lointaine tant l'organisation sous régionale semble n'avoir ni la volonté ni les moyens de déloger Jammeh par la force.

Dans les cercles de décisions, on planche sur une intronisation de Barrow à la date du 19 janvier 2017 comme prévu. En présence des chefs d'Etat de la Cedeao, cette investiture se ferait à Dakar, donc dans un pays étranger. Une première !

A y voir de très près, cette hypothèse n'est pas si farfelue que cela. Il suffirait pour cela de dépêcher à Dakar -où se trouve déjà Alieu Njie, le président de la commission électorale indépendante gambienne-, le Nigérian Emmanuel Fagbenle, le président de la cour suprême de Gambie qui conduit toutes les cérémonies d'investiture.

Techniquement, l'investiture d'un président gambien peut bien se faire hors de Gambie en attendant de réunir les conditions à l'exercice de ses fonctions. Contacté par La Tribune Afrique, un conseiller juridique d'un président ouest-africain apporte une caution juridique à cette hypothèse. « Si toutes les conditions pour concrétiser l'applicabilité d'un acte juridique ne sont pas réunies, alors son application peut être transférée dans un lieu où les conditions à son applicabilité peuvent être réunies »

Ingérence et réplique de Jammeh

L'investiture de Barrow et sa prise de fonction empêchées par la crise post-électorale consécutive au refus de Jammeh de quitter le pouvoir -après avoir reconnu sa défaite et même félicité son tombeur-, peuvent bien se faire en dehors de la Gambie. Seul hic, pointe notre expert juridique, « cet acte juridique perdrait alors toute sa symbolique au vu du déroulement qui lui a été retiré dans son exécution. Et la symbolique est très importante en matière de gestion de pouvoir ». Notre interlocuteur pousse l'analyse plus loin.

« La prestation d'un président en dehors de son pays pose le problème de la territorialité des lois puisque chaque constitution est appliquée dans une aire géographique déterminée et circonscrite ». Et le conseiller juridique de conclure : « le Sénégal pourrait être accusé d'ingérence dans les affaires internes gambiennes et à juste titre ».

Face à l'éventualité d'une intronisation de Barrow à Dakar, Jammeh, sourd à l'asile offert par les députés nigérians, semble avoir apporté sa réplique dans une allocution à la GRTV, la télévision publique gambienne tard dans la nuit de dimanche 15 au lundi 16 janvier 2017. Évoquant un entretien avec la présidente libérienne, Ellen Johnson Sirleaf, Yahya Jammeh indique : « J'ai rappelé notre engagement continu pour une résolution pacifique de la situation politique actuelle en appliquant les règles de la Constitution. Je lui ai aussi confirmé que nous avons déposé une injonction pour bloquer la prestation de serment de monsieur Adama Barrow tant que la Cour suprême de Gambie n'aura pas pris sa décision ».

L'Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC, au pouvoir) a en effet déposé un recours pour faire annuler les résultats de la présidentielle devant une cour suprême désertée de ses juges. Cette dernière a indiqué qu'elle ne se prononcerait pas sur ce recours en annulation avant mai prochain. D'où l'appel de Jammeh dans son allocution d'hier, « j'ai aussi rappelé ma demande à madame la présidente [du Libéria, ndlr] et aux autorités de la Cedeao nous a aidé à mettre en place cette Cour suprême et à permettre la disponibilité de juges ».

Pour court-circuiter la possible intronisation de Barrow, Yahya Jammeh a une autre corde à son arc. Le président compterait démissionner de son poste à l'échéance fixée pour la fin de son mandat pour laisser le fauteuil à l'actuelle vice-présidente, Isatou Njie en attendant que la cour suprême statue sur son recours en annulation. Le président gambien bloquerait alors le retour d'Adam Barrow dans le pays. Ce dernier serait alors réduit à un statut de « gouverneur » du Terrou Bi à Dakar plutôt que celui de chef d'Etat de plein exercice. Un nouveau bras de fer s'engagerait alors entre la Cedeao qui n'aurait pas perdu la face en respectant sa décision d'investir Barrow, le 19 janvier et Jammeh qui serait dans un respect de forme de la constitution gambienne. La bataille juridique prendrait alors la place du spectre redouté de l'affrontement armé !

Ibrahima Bayo Jr.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 17/01/2017 à 1:33
Signaler
Bonnie Parker and Clyde Barrow :-)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.