Gambie : les cinq scénarios pour une sortie de crise

Les émissaires de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest(CEDEAO) sont repartis bredouilles de Banjul. La Libérienne Ellen Johnson, le Nigérian Muhammadu Buhari, le Sierra-léonais Ernest Bai Koroma et le Ghanéen John Dramani Mahama n’auront donc pas réussi à arracher de concession au fantasque Yahya Jammeh. L’organisation régionale a donc convoqué un sommet extraordinaire, ce samedi 17 décembre prochain qui devra déterminer la marche à suivre pour sortir le pays de la crise politique. En amont de ce sommet qui devrait clarifier la question gambienne, La Tribune Afrique étudie pour vous, cinq scénarios possibles –et leurs conséquences- pour une sortie de crise.
Ibrahima Bayo Jr.

Après l'échec de la médiation ouest-africaine en Gambie, la communauté internationale, Union Africaine et ONU en tête, se confond dans des déclarations de circonstances et dans des mises en demeure sans effet sur la position de Yahya Jammeh, désormais maître contesté de Banjul. Pendant ce temps, l'autocrate a chaussé ses bottes de soldat pour ordonner l'encerclement du siège de la commission électorale indépendante à Banjul. Il joue la montre et renforce sa main mise sur le pays après sa rocambolesque palinodie.

En face, le président élu, Adama Barrow, retranché dans sa résidence de Yundum, située à l'est du pays, compte pour l'heure sur les appuis de ses homologues ouest-africains pour faire revenir Yahya Jammeh à ses positions du 2 décembre lorsqu'il a accepté sa défaite par les urnes. Pourtant, plusieurs scénarios peuvent permettre de déloger Jammeh du « State House », le palais présidentiel gambien, pour installer sur son fauteuil, le président élu. Mais évidement, par définition, il faut tous les conjuguer au conditionnel devant l'imprévisibilité de Jammeh mais aussi devant les conséquences ou la faisabilité de tels scénarios.

1-    L'option de l'intervention militaire

Combattre la force par la force. C'est en substance le crédo de ce scénario qui voudrait qu'on boute Yahya Jammeh par les armes via une force sous-régionale pilotée par la CEDEAO. Outre le financement (sans intérêt pour les pays de la sous-région) ce scénario se heurterait à deux murs qu'il faut prendre en compte. D'abord, il y a le fait que toute intervention militaire dans un pays tiers est assujettie à un mandat du Conseil de sécurité. Et avec la position ambiguë de la Russie sur la question, il ne faudrait pas écarter qu'elle pose son veto à une telle intervention. De plus, les couacs enregistrés lors de l'intervention française en Libye sont frais dans les esprits. Ils risquent même de polariser les positions sur le continent entre pro et anti-intervention militaire pour déloger Jammeh.

Ensuite, le second point à régler dans le cadre d'une intervention militaire est d'ordre géographique. La Gambie est une enclave à l'intérieur du Sénégal. Une intervention militaire terrestre devrait nécessairement faire transiter les troupes par le territoire sénégalais. Ce qui pourrait se heurter à une forte opposition sociale des Sénégalais qui redoutent que cela n'attisent le feu de la rébellion de la Casamance, région sécessionniste située au sud du Sénégal. L'intervention pourrait alors dégénérer en conflit généralisé d'autant plus que le chef des rebelles du sud, aujourd'hui exilé en France, apporte tout son soutien à Jammeh.

2-    La carte du blocus économique

L'arme des sanctions financières brandie par les Etats-Unis sur les avoirs de Jammeh au pays de l'Oncle Sam a peut-être fait réfléchir la position du président imposé de la Gambie. Mais elle n'a pas fait varier sa position sur un départ du pouvoir. L'autre menace qui pourrait faire plier « His Excellency », pourrait aussi être l'option du blocus économique de la Gambie comme moyen de pression.

Il s'agirait là de bloquer toute livraison terrestre, maritime ou aérienne de marchandises à destination de la Gambie. Le commerce, second pilier de l'économie gambienne en pâtirait. Et devant la situation économique chaotique que cela entraînerait, le lieutenant Jammeh se rétracterait pour sauver son pays, encore faut-il qu'il détienne cette fibre patriotique.

Mais ce quasi état de siège économique affecterait durablement la population dans ce pays pauvre. L'on pourrait alors voir un déplacement massif des Gambiens vers le seul pays voisin immédiat, le Sénégal. Ce dernier sera-t-il prêt à les recevoir pour des raisons humanitaires ? Rien n'est moins sûr.

De plus, le blocus pourrait avoir l'effet inverse c'est-à-dire qu'inquiète pour sa survie quotidienne, terrassée par la faim, la population se résigne à accepter de fait l'installation du maître de Banjul au State House.

3-    La "révolte de Palais"

Autrefois courtisé en public, haï en privé, craint dans l'intimité et respecté en façade, Jammeh a perdu certains hommes de son armée qui ont fait défection pour rejoindre les rangs du président élu de la Gambie, Adama Barrow. Une autre partie de l'armée, promue à des grades supérieurs et choisie dans son cercle ethnique reste encore fidèle à l'homme fort de Banjul. Ces deux situations illustrent bien que l'armée n'a pas une position uniforme.

L'option du troisième scénario est une « révolte de Palais ». Il s'agit ici d'espérer ou de pousser un homme de l'intérieur de l'état-major du « State House » à prendre le contre-pied de l'homme de Kanilaï pour le renverser. Le putschiste Moussa Dadis Camara (président de la Guinée entre décembre 2008 et janvier 2010) en avait fait l'expérience lorsque Aboubacar Toumba Diakité, son aide de camp avait tiré sur lui en le blessant à la tête et cou. Blessures qui avaient nécessité son hospitalisation à Rabat au Maroc d'où il avait été remplacé par le numéro 3 du régime d'alors Sékouba Konaté qui transfèrera le pouvoir au civil à Alpha Condé.

Mais cette option du coup de sang pour déboulonner Jammeh trouvera-elle son « héros » quand on sait que la plupart des hommes dans le cercle proche de Jammeh sont issus de son ethnie et probablement de son clan familial ?

4-    La pression de la rue

C'est la pression de la rue qui a fait partir des dictateurs comme l'Egyptien Hosni Moubarack et le Tunisien Ben Ali dans le cadre des révolutions du « Printemps arabe » en 2010. Plus récemment, c'est la voix de la rue qui a contraint le Burkinabé Blaise Compaoré à quitter son fauteuil du palais de Kossyam en 2014. Aujourd'hui, Moubarack vit en résidence surveillée dans un hôpital du Caire, Ben Ali est exilé en Arabie Saoudite et Compaoré est devenu citoyen ivoirien.

Là où des coups d'Etat orchestrés par des commandos de services étrangers ou des hommes de l'intérieur faisaient tomber les dictateurs, ce sont maintenant les manifestations de masses dans les rues qui les éjectent de leur siège. Mais à Banjul, aucune revendication de respect de sa souveraineté exprimée à travers les billes. La population reste étonnamment calme semble s'être renfermée dans la tour de l'attentisme. Et le président élu, Barrow, qui appelait les Gambiens à sortir en masse dans les rues a dû se raviser, ne voulant pas exposer ses concitoyens à la folie du lieutenant-président autoproclamé.

Les chances de voir les Gambiens occuper de manière pacifique les rues de Banjul, Serekunda, Brikama pour faire pression sur Yahya Jammeh sont minces d'autant plus que ce dernier, président exercice jusqu'en janvier, interdit toute manifestation dans le pays.

5-    Le départ en exil sans sanctions judiciaires

Autre issue pour sortir le pays de l'ornière de la crise post-électorale, le départ en exil sans sanctions judiciaires. Cette option permettrait au président sortant de quitter la Gambie pour partir en exil pour le pays de son choix avec femme et enfants ainsi que la garantie qu'il ne sera pas poursuivi en justice encore moins devant la CPI à La Haye. Mais quel pays voudrait de ce trublion président rejeté par presque toute la communauté internationale ?

Evoquée aux premiers jours de la défaite surprise du président, l'Arabie Saoudite pourrait recevoir cet ex-président d'une république islamique d'Afrique de l'Ouest. Moins probable mais néanmoins sérieuse option, le Maroc, pays d'origine de son épouse Zaynab Jammeh, pourrait consentir à recevoir cet encombrant invité. Le royaume a déjà reçu des présidents africains déchus comme le Burkinabé Blaise Compaoré, le Guinéen Moussa Dadis Camara, son successeur, l'éphémère Isaac Zida et plus loin dans l'histoire, Mobutu Sese Seko (enterré à Rabat). Le Maroc consentira-t-il à recevoir Jammeh ? Mystère.

En tout cas, cette option de laisser partir Jammeh dans l'impunité totale risquerait de dresser contre Adama Barrow, une partie du peuple, de l'opposition, des anciens prisonniers politiques et des membres de la coalition. Ce serait à coup sûr, la mesure la plus impopulaire du nouveau président gambien. Il n'est pas à exclure aussi que dans son assurance affichée, Yahya Jammeh ne soit en fait que l'otage d'une oligarchie militaire soucieuse à l'idée de bénéficier de cette amnistie. Dans ce type de scénario, il n'est pas exclu qu'un putschiste en cache un autre !

Ibrahima Bayo Jr.

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Commentaires 8
à écrit le 05/01/2017 à 19:09
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Y'a une sixième option qui consisterait à reprendre les élections sous l'œil d'observateurs étrangers. Pourquoi ne pas tenir compte du fait que c'est l'aveu de la commission électorale d'avoir commis une erreur de calcul qui a mis le feu aux poudre? ...

à écrit le 18/12/2016 à 10:39
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Le plus important c'est de donner de la valeur à nos institutions,on a la cour suprême,le conseil constitutionnel gambien,qu'on les laisse decider,yahya jammeh c'est un être humain,il peut se dire et se dedire,seuls ls organes competentes gambien peu...

à écrit le 17/12/2016 à 20:00
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Vous faites du tort a Yaya qui revendique un droit ,celui de verification par la justice .Pourquoi ne pas suivre cette voie ? Si la Gambie n a pas de juges trouver des juges et observateurs .#yhryyvvz

à écrit le 17/12/2016 à 13:25
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la distance est encore très loin pour arriver à la démocratie véritable. une situation comme celle-là est une véritable honte. les dirigeants africains ne connaissent pas le sens de la morale, encore moins l'éthique. ils n'ont pas de personnalité.

à écrit le 17/12/2016 à 10:22
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le président élu est le premier responsable de cette situation. C'est ce genre de comportement qui amène les chefs d'état a tripatouiller les résultats des élections en Afrique. Le fait d'avoir reconnu sa défaite est un signe de grandeur.

à écrit le 16/12/2016 à 18:09
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Qu'on laisse Jammeh vivre tranquille dans un pays de son choix, y compris la Gambie. Que la Gambie revoit sa Constitution pour que désormais les Présidents, suivis par la Cour Constitutionnelle, puisse être démis en cas de fautes grave.

à écrit le 16/12/2016 à 13:33
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Il lui faut une immunité s'il acceptait de quitter le pouvoir. Sinon, il se battra jusqu'à son dernier souffle.

à écrit le 16/12/2016 à 13:13
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Je pense qu'il vaut mieux faire une loi d'Amnesty général pour jammeh et ses compagnons pour que le futur de la Gambie commence maintenant. Nous africain devrions apprendre a toléré nos mauvais chef en leur laissant libre et juger la nouvelle gestion...

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