Côte d'Ivoire : querelle de préséance à l'aube de la « troisième République »

L'adoption de la nouvelle constitution ivoirienne entraîne avec elle l'entrée du pays sous une « troisième République ». Si des avancées comme le retrait du concept d'ivoirité, l'abaissement de l'âge pour se porter candidat à la présidentielle peuvent être saluées, la nouvelle constitution fragmente l'exécutif notamment l'ordre de préséance des hautes personnalités de l'Etat. Ce qui ne manquera pas de faire des déçus ou des jaloux!
Ibrahima Bayo Jr.

Solennelle et historique est la date du 8 novembre 2016 pour la Côte d'Ivoire ! A la minute où le président ivoirien, Alassane Outtara a apposé sa signature lors de la cérémonie de promulgation, le pays entrait officiellement dans sa « troisième République » après l'adoption d'une nouvelle constitution par référendum. Huit jours francs auparavant, 6,3 millions d'Ivoiriens répondaient « oui », à 93,42%, au projet de nouvelle constitution porté à bout de bras par celui qui devait en être le premier ministre malgré un taux de participation (42,42%) plus faible qu'en 2000 (56%). Mais au-delà de la solennité de la cérémonie printanière, de quel genre d'exécutif hérite la Côte d'Ivoire avec le nouveau texte ?

L'ordre de préséance complètement chamboulé

La première nouveauté qui frappe es l'introduction du poste de vice-président. Ce dernier devra être élu en même temps que le président de la République lors de l'élection où ils se présentent, via un ticket présidentiel. Une « innovation » à l'américaine qui constitue une première dans une république africaine mais qui n'est pas sans susciter un sentiment incongruité.

Pour le politologue ivoirien Cédric Leopold Koné : « c'est un dispositif iconoclaste dans notre ordonnancement juridique commun qui correspond de mon point de vue à une mesure personnelle plutôt qu'impersonnelle. Notre ordonnancement juridique est le fruit du contact avec le système colonial qui voulait un Etat de type Wéberien, la logique voudrait que nous nous inspirions des mutations de ce système Étatique et que nous l'adaptions à nos réalités pour produire un système qui corresponde à nos modèles de sociétés, dans notre cas d'espèce je trouve cette disposition personnelle parce qu'elle permettra à M. Ouattara de nommer un de ses proches et de lui octroyer un rang à la tête de l'Etat de Côte d'Ivoire, or la loi elle a pour caractéristiques d'être impersonnelle, impérative et surtout elle ne peut régir que les situations à venir »

Le colistier présent sur le ticket succède au président en cas de vacance du pouvoir, une préséance qui revenait au président de l'assemblée nationale sous l'ancienne constitution. « Nous nous retrouvons donc avec un exécutif à 2 voire 3 personnalités : un président de la République, son vice-président et le Premier ministre », résume pour La Tribune Afrique, Me Yao Diassié, professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Abidjan et expert des affaires juridiques au Conseil constitutionnel ivoirien.

Néanmoins, « cette tétrarchie voulue à la tête de l'Etat de Côte d'ivoire devrait changer l'ordre protocolaire au niveau de l'Etat, mais cette Constitution est muette sur cet ordre. Dans le droit constitutionnel américain, le Vice-Président est le Président du Sénat, il n'y a aucune ambiguïté », analyse le politologue Cédric Leopold Koné.

En termes plus précis, en cas de vacance du pouvoir du président, l'ordre protocolaire désigne pour lui succéder successivement le vice-président suivi... du premier ministre ! Cette situation chamboule complètement l'ordre protocolaire au niveau des plus hautes personnalités de l'Etat avec un super premier ministre qui évince le président de l'Assemblée nationale. Petite précision cependant, pour le mandat de l'actuel président l'article 179 a réglé la question : exceptionnellement Alassane Ouattara peut nommer son vice-président puisque la nouvelle constitution a été adoptée avant son élection.

Quid du poids des présidents de l'Assemblée et du Sénat ?

Dans la troisième République, le système parlementaire ivoirien devient bicaméral avec la création d'un sénat. Deux tiers de la nouvelle institution seront élus pour un mandat de cinq ans. Le reste sera désigné par le président de la République « parmi les anciens présidents d'institutions, les anciens Premiers ministres. et les personnalités et compétences nationales ». Dans ce cas, en plus du président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat est la nouvelle personnalité émergente. Mais quel poids vont-ils avoir ?

« Leurs institutions auront donc des fonctions purement législatives. Mais l'un comme l'autre seront uniquement les chefs de leurs institutions respectives », tranche le constitutionnaliste Yao Diassié. « Si nous nous référons aux canaux habituels des mécanismes institutionnels français, le Président du Sénat est le dauphin constitutionnel du Président de la République, et le Président de l'Assemblée nationale est la quatrième personnalité de l'Etat. Tout cela est le résultat d'une histoire et d'un environnement qui chez nous n'est pas pareil », complète Cédric Léopold Koné.

« Là où la Constitution de M. Ouattara soulève des curiosités, c'est qu'elle n'indique pas clairement qui fait quoi et avec quel attribut dans la République de Côte d'Ivoire, nous nous retrouvons avec quatre personnalités : un Chef de l'Etat, un Premier Ministre, Un Président de Sénat et un Président de l'Assemblée Nationale sans ordre protocolaire aucun, un étant élu au suffrage universel direct, les trois autres au suffrage indirect, le Président de l'Assemblée nationale élu par les représentants du peuple. Cette constitution est une espèce de fourre-tout indescriptible, illisible qui n'a pas de cohérence institutionnelle. Elle nous donne juste un Chef de tout, qui n'est responsable de rien », ajoute ce spécialiste des rouages politiques de l'Etat.

Il semble bien que cette nouvelle donne constitutionnelle en Côte d'Ivoire ne manquera pas d'alimenter la polémique, ou du moins, relever « l'ardence » des débats.

Ibrahima Bayo Jr.

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