Francophonie : ce qu'il faut retenir du sommet malgache

Le rideau s’est refermé ce dimanche 27 novembre à Antananarivo sur le XVIe sommet de la francophonie. C’était la première fois que la « Grande Ile » recevait cette rencontre au sommet entre les « chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage ». Des crises politiques à la coopération économique francophone en passant par les nouvelles adhésions, des questions qui fâchent à la diplomatie de couloirs. Retour sur les faits marquants de ce sommet !
Ibrahima Bayo Jr.

C'est en fait la petite revanche de Madagascar qui vient d'abriter sans couacs, ce XVIe sommet de la francophonie. En 2010, la « Grande Ile » devait accueillir le XIIIe sommet de l'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) mais elle avait été évincé en raison d'une crise politique au profit de Montreux en Suisse qui a finalement abrité la 13è édition. L'année 2016, aura été la bonne pour Madagascar. Le pays a reçu pendant deux jours, une vingtaine de chefs d'Etat et de gouvernement qui se sont succédé à la tribune pour un sommet, au final, sans enjeu. En voici quelques moments marquants.

Une photo de famille restreinte...

Même si l'organisation du sommet a été saluée, il n'y a pas eu foule en termes de présence de hautes personnalités. Au total 23 chefs d'Etats francophones ont marqué de leur présence cette rencontre bisannuel. Parmi eux, le président français, François Hollande, le premier ministre canadien Justin Trudeau, le Sénégalais Macky Sall, le Gabonais Aly Bongo Ondimba, le Tchadien Idriss Déby Itno, le Nigérien Amadou Issoufou... Niveau fréquentation, c'est moins que le XVe sommet de 2014 à Dakar où 23 chefs d'Etat et 8 chefs de gouvernement ont fait le déplacement. Il faut dire que le dernier sommet avait beaucoup plus d'enjeux avec l'élection de la Secrétaire générale de l'OIF, la Canadienne Michäelle Jean.

Michaelle Jean OIF

... par les absences (ou le boycott) de chefs d'Etat

Le sommet d'Antananarivo a été marquée par les absences de chefs d'Etat , pourtant inscrits sur la liste des orateurs attendus. Absences qui ont restreint la photo de famille. Aux abonnés absents, le Congolais Joseph Kabila qui fait face à une contestation populaire avec l'approche de la date butoir pour la fin de son mandat légal. Moins compréhensible, l'absence de son homologue de Brazzaville, Denis Sassou Nguesso qui avait quitté précipitamment le sommet de Dakar, dès que son candidat au poste de secrétaire général a été évincé. Rumine-t-il toujours sa colère.

L'absence la plus remarquée reste sans doute celle du roi Mohammed VI du Maroc pourtant en visite sur l'île où son grand père et homonyme, le roi Mohammed V, avait été exilé pendant le protectorat français. Aucune raison officielle n'a été fournie sur cette absence royale par Rabat qui s'est fait représenter par son ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar. Des observateurs expliquent cette absence par la non réception de la candidature à l'OIF de l'Arabie Saoudite. Un retour d'ascenseur pour le soutien du royaume saoudien au boycott du Maroc du sommet afro-arabe de Malabo, une semaine auparavant en raison de la présence de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) qui conteste la souveraineté du Maroc sur cette partie sud du Sahara contrôlée de facto par le royaume chérifien.

Argentine, Ontario, Corée du Sud, Nouvelle Calédonie, nouveaux entrants...

L'Organisation internationale de la Francophonie agrandit son cénacle. Lors de ce sommet d'Antananarivo, les chefs d'Etat ont voté pour l'adhésion de l'Argentine, de la Corée du Sud et l'Ontario en tant que membres observateurs ainsi que de la Nouvelle Calédonie en tant que membre associé. Ces nouvelles adhésions portent à 84, le nombre d'Etats et de gouvernements membres de l'OIF, répartis en 54 membres de plein droit, 26 observateurs et 4 membres associés.

... l'Arabie Saoudite recalée

 L'examen de la candidature de l'Arabie Saoudite qui a longtemps fait grincer des dents, a été reporté au sommet de 2018. Le roi Salmane d'Arabie Saoudite avait adressé en novembre dernier, une demande officielle de son royaume au Sénégalais Macky Sall en sa qualité de président en exercice de la francophonie. Si l'élargissement du cercle francophone a pu s'ouvrir à des pays arabes comme les Emirats arabes unis, pays observateur depuis 2010 ou encore le Qatar comme membre associé depuis 2012, l'Arabie Saoudite a quant à elle était recalée malgré les soutiens de pays comme l'Egypte, le Sénégal, le Maroc, le Gabon, les Comores, Djibouti et le Bénin qui plaidaient pour une adhésion immédiate.

Salmane ben Abdelaziz Al Saoud

Il semble que les deux critères (ou en tout cas l'un d'eux) de promotion de la langue française et de partage des valeurs francophones universels -notamment sur la question des droits des femmes- n'aient pas été remplis. Ce qui n'a pas manqué de provoquer l'ire de Riyad qui espérait par cette adhésion étendre sa zone d'influence. Pour calmer les ardeurs de la capitale arabe, l'argument officiel du report de l'examen de sa candidature pour des raisons procédurières lui a été servie.

LGBT, violences sexuelles... Trudeau fait son show

« Puisqu'on est entre amis, on va se dire les vraies choses. Ici, on aime parler des droits, des libertés. Eh bien, les membres des communautés lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre souffrent dans trop de pays, incluant certains membres de la francophonie », a osé à la tribune, le premier ministre canadien Justin Trudeau devant ses homologues pour certains ébahis de ce bagout très anglo-saxon. Une audace qui n'a pas manqué de provoquer certaines grimaces de chefs d'Etat. Il faut dire la question des droits des LGBT ne rencontre pas vraiment de succès en Afrique où l'homosexualité est encore réprimée par la loi et rejetée par les us et coutumes sociaux ou religieux.

Autre sujet abordé par le premier ministre canadien, la question très chère à la secrétaire générale de l'OIF, du droit des femmes. « Les femmes et les filles sont victimes de violences physiques et sexuelles. Elles se voient mariées, souvent en bas âge, sans leur consentement. Elles sont interdites d'avoir accès à l'avortement de façon libre et sécuritaire, elles sont soumises à des mutilations génitales. C'en est assez !», a lancé le premier ministre canadien.

La question escamotée des crises politiques en Afrique

La Secrétaire générale de l'OIF, la Canadienne d'origine haïtienne Michäelle Jean a fait montre d'une fermeté pour la crise au Burundi ou en Centrafrique. En revanche, lors de ce sommet d'Antananarivo, les remontrances n'ont pas concerné des pays comme la RDC et le Gabon.

Pour le premier, la déclaration n'a pas expressément demandé le départ de Joseph Kabila au terme de son mandat légal le 19 décembre prochain. Elle s'est contenté de condamné les violences de septembre dernier et réclamer l'organisation des élections dans les plus brefs délais. Pour le second, aucune mention de la présidentielle gabonaise et sa crise post-électorale après la réélection contestée d'Ali Bongo Ondimba. Ce dernier aurait obtenu en échange de sa venue effective que la crise post-électorale gabonaise ne soit mentionnée parmi les résolutions finales. Au vu du texte final, il semble que cette exigence ait été respectée.

En revanche, Denis Sassou Nguesso s'est fait remonter les bretelles en son absence pour non-respect des droits de l'homme notamment les procédures de contentieux après sa réélection contestée en mars 2016. Sasou Nguesso a-t-il anticipé cette réprimande avec son absence qui interroge encore ? Pour les pays en résilience des crises politiques, les avancées des processus politiques au Burkina Faso et en Centrafrique ont saluées.

Un repositionnement de l'OIF sur des questions politiques et stratégiques

« La Francophonie doit être partout où on ne l'attend pas ». L'injonction de la secrétaire générale a été entendue. Face au recul de la langue française, l'OIF s'est recentrée sur des prises de positions plus politiques et stratégiques notamment les questions migratoires, la lutte contre la radicalisation et le terrorisme. Les chefs d'Etat francophones plaident aussi pour un respect des constitutions, une coopération avec la justice internationale tout en réaffirmant le respect des droits des femmes dans l'espace francophone. Le thème du sommet (« Croissance partagée et développement responsable : les conditions de la stabilité du monde et de l'espace francophone ») n'a pas été oublié. Les chefs d'Etat ont plaidé pour plus de coopération économique dans l'espace francophone mais aussi pour une promotion du développement durable dans le sillage de la COP22.

L'Arménie en 2018 et la Tunisie en 2020

Après les sommets de Kinshasa en 2012, de Dakar en 2014 et d'Antananarivo en 2016, le prochain sommet de la francophonie se tiendra en Arménie en 2018. L'Etat du Caucase a écarté la Tunisie de la course pour l'organisation du prochain sommet bisannuel de l'OIF. En guise de consolation, Tunis accueillera le sommet de 2020. Une désignation qui a aussi freiné les ambitions du Niger de recevoir ce sommet pour les 50 ans de la charte de Niamey adoptée en 1970 qui a acté la création de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) devenue par la suite OIF. Un retour manqué aux origines, là où tout a commencé !

Ibrahima Bayo Jr.

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