Sénégal : la peine de mort peut-elle être restaurée ?

Avec la recrudescence de la criminalité et de crimes macabres, le débat sur la restauration de la peine de mort est relancé au Sénégal. Un fait divers largement médiatisée apporte de l'eau au moulin des partisans d'une restauration de la peine capitale malgré le manque de soutien politique et religieux. Mais au-delà de l'émotion et de la colère, dans quelles conditions, la peine de mort peut-elle être restaurée? La Tribune Afrique a interrogé des spécialistes du droit sénégalais qui apportent des éléments de réponses.
Ibrahima Bayo Jr.
Le Sénégal a aboli la peine capitale depuis 2004 après un moratoire de facto appliqué depuis 1967, date de la dernière exécution

Samedi 19 novembre 2016. Dakar, la capitale, comme l'intérieur du pays, se réveillent dans l'effroi et la stupéfaction. Aux premières heures de la matinée, les Sénégalais découvrent avec une indicible consternation, le meurtre macabre de Fatoumata Moctar Ndiaye, 5è vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Responsable au sein de l'Alliance pour la République (APR) (le parti au pouvoir) la femme politique âgée de 63 ans, en veuvage d'un mari qu'elle avait perdu un peu plus d'un mois auparavant, a été égorgée au couteau à son domicile de Pikine, dans la banlieue dakaroise. Selon des aveux obtenus par les enquêteurs, le chauffeur de la conseillère économique serait l'auteur de ce crime crapuleux, selon Serigne Bassirou Guèye, procureur de la République. Et pour tourner le drame en tragédie, le fils de la dame a perdu la vie suite à plusieurs coups de couteau assénés par le meurtrier qui l'avaient plongé dans un état comateux pendant plusieurs jours.

Un crime de sang qui relance le débat sur la peine de mort

Un crime de sang, parmi tant d'autres qui se sont multipliés ces dernières semaines à Dakar. En un moins d'un mois, plus de huit personnes ont été tuées dans des circonstances plus ou moins confuses, de façon violente et avec un retentissement médiatique considérable. Dans les rues sénégalaises, la colère gronde face à la montée en flèche de la criminalité. Certains Sénégalais poussent des cris d'orfraie contre l'insécurité grandissante qui ferait le lit de cette multiplication de crimes. D'autres, choqués par les sanglants événements, osent maintenant ce qui alimente presque toutes les conversations à Dakar et ailleurs : ils réclament le retour de la peine de mort.

Il faut dire que le Sénégal applique depuis 1967, date de la dernière exécution dans le pays, un moratoire de fait sur la peine de mort dans le pays.

« Au Sénégal, seuls deux condamnés à mort ont été exécutés depuis l'accession à l'indépendance en 1960. Ces exécutions, par les armes, remontent à 1967 : Abdou Faye avait été reconnu coupable du meurtre d'un député à savoir Demba Diop. Et le second, Moustapha Lô avait été reconnu coupable d'une tentative d'assassinat du chef de l'Etat, Léopold Sedar Senghor, qui a rejeté les deux demandes en grâce », rappelle à La Tribune Afrique, Me El Hadji Mame Gning, avocat au barreau du Sénégal et à la tête du cabinet EMG basé à Dakar.

Depuis, la peine de mort a été abolie par le vote d'un projet de loi adopté à l'unanimité par le parlement sénégalais, le 10 décembre 2004 sur proposition du gouvernement. Seulement, avec une succession de faits divers tragiques, la question d'un possible retour de cette peine est soulevée jusque dans les milieux intellectuels au Sénégal.

En tête des défenseurs du retour de la peine de mort, l'ONG Jamra avec à sa tête l'imam Massamba Diop. Dans un discours prenant comme référence la loi islamique, le président exécutif de cette ONG conservatrice réclame un retour à la peine de mort. Sa position est d'exécuter les auteurs de crimes de sang ce qui constituerait une dissuasion pour les éventuels auteurs de ces crimes. Le président exécutif de l'ONG Jamra plaide même pour l'exécution publique (dans un stade) et télévisée de l'auteur du meurtre de la conseillère économique pour marquer les consciences et faire taire les penchants pour les crimes de sang. Pour autant, est-il possible de réintroduire la peine capitale dans l'arsenal de sanctions contre les crimes de sang au Sénégal ? La réponse à cette question à tout son pesant d'or.

Dans quelles conditions la peine capitale peut-elle être rétablie ?

Pour le spécialiste du droit pénal El Hadji Mame Gning, « le rétablissement de la peine de mort au Sénégal relève formellement de l'initiative du gouvernement du Sénégal par un projet de loi, d'un député ou d'un groupe de députés à l'Assemblée nationale, à travers une proposition de loi. Le projet ou la proposition de loi est soumis au vote de l'Assemblée Nationale ».

La suite est beaucoup plus complexe. « La procédure législative est relativement lourde puisqu'elle comprend trois phases principales : le dépôt du projet de loi, son examen par le Parlement et sa promulgation par le Président de la République (après une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel pour examen de la conformité du texte à la Constitution). Je vous passe la procédure dite « navette » entre l'Assemblée nationale et le Sénat », complète Me Abibatou Samb-Diouck, avocate à la cour.

Après son adoption par le parlement, le texte doit passer le stade de la promulgation. Il est présenté à « la signature du président de la République pour promulgation. Cependant, la promulgation peut être retardée si le Conseil constitutionnel est saisi aux fins de vérifier la conformité du texte à la Constitution (elle peut même être empêchée si le Conseil déclare le texte inconstitutionnel) ou si, exceptionnellement, le président de la République demande une nouvelle délibération. L'initiative des lois appartient au Premier ministre ainsi qu'aux députés et aux sénateurs. Pour faire revenir la peine de mort, les Sénégalais devront donc convaincre l'une de ces institutions », ajoute Me Samb-Diouck.

La barrière des conventions internationales ratifiées par le Sénégal

Passée cette étape, la possible restauration de la peine de mort pourrait se heurter aux traités et engagements internationaux ratifiés par le Sénégal. Ces engagements sont-ils compatibles avec une restauration de la peine capitale? Me El Hadji Mame Gning est catégorique: la réponse est négative « si l'on sait que le Sénégal a ratifié de nombreuses conventions internationales parmi lesquelles, la Convention internationale  relative aux droits de l'enfant ratifiée en juillet 1990, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié en février 1978, le Protocole Facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié en février 1978 et last but not the least, la convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée en août 1986. Tous ces instruments contiennent des engagements internationaux précis en matière de peine de mort souscrits par le gouvernement du Sénégal qui a une obligation de mise en œuvre. L'Etat doit respecter et faire respecter ses engagements internationaux ».

« Le Sénégal reste une République laïque, démocratique et sociale (article 1er de la Constitution sénégalaise). Cette laïcité implique que, même si la peine de mort est prévue par la loi musulmane, elle ne peut être remise en vigueur que dans le strict respect des procédures légales prévues à cet effet. Au Sénégal, l'article 6 de la Constitution garantit également la protection de la personne humaine décrite comme étant sacrée. L'État a donc l'obligation de la respecter et de la protéger », ajoute Me Samb-Diouck avant d'étayer « Dans ces conditions, faire revenir la peine de mort consisterait à faire un pas en arrière dans une société qui s'est fortement modernisée pour satisfaire notamment à ses engagements internationaux.»

Référendum, la seule voie possible ?

Et ceux qui réclament l'organisation d'un référendum ? L'affaire sera alors du ressort du président Macky Sall qui, « s'il le souhaite peut également soumettre un projet de loi sur la question du rétablissement de la peine de mort au référendum, sur proposition du premier ministre, après avis du président de l'Assemblée Nationale et du Conseil Constitutionnel. Il s'ensuit que, le référendum pourrait juridiquement constituer une porte d'entrée, pour le retour de la peine de mort au Sénégal »

Contacté par La Tribune Afrique, Seydi Gassama, le président du bureau Sénégal d'Amnesty International se dit « rassuré » quant à un éventuel retour de la peine de mort. L'activiste des droits de l'Homme relève que « l'opinion publique sénégalaise est très divisée sur cette question ».

De plus, « au niveau du pouvoir comme de l'opposition, les autorités étatiques et politiques jusqu'à présent, ont clairement dit qu'elles n'étaient pas favorables à un retour de la peine de mort au Sénégal », se rassure-t-il.

Cette absence de soutien politique se conjugue à une absence de soutien religieux des califes des confréries religieuses, très écoutés dans ce pays de 14 millions d'habitants à 95% musulman. Autre motif de se rassurer pour Seydi Gassama, ces califes généraux, véritables prescripteurs dans la société sénégalaise, ont « condamné la violence et les crimes mais n'ont pas appelés à la restauration de la peine de mort ».

Pour le président du bureau Sénégal d'Amnesty, le débat sur la restauration de la peine de mort occulte une autre question plus importante qui est celle de la lutte contre la criminalité.

« Pour juguler la criminalité, il faut s'attaquer à ses causes profondes : lutter contre le chômage des jeunes, contre l'exclusion, aider les jeunes dans les banlieues avec des instituts de formation à l'emploi. Il faut aussi lutter contre la drogue et contre la réglementation laxiste de la vente d'alcool au Sénégal mais aussi et surtout une application stricte de la législation sur le port d'armes notamment les armes blanches », préconise-t-il

Et l'activiste de lancer un appel en direction de ses concitoyens. « Le peuple sénégalais est un peuple pacifique, un peuple humaniste, et je crois que l'abolition [de la peine de mort, ndlr] restera de rigueur au Sénégal, malgré leur vive et légitime émotion ». Reste à savoir si son appel sera entendu !

Ibrahima Bayo Jr.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.