Tunisie : témoignages publics pour exorciser les démons de la page Ben Ali (Vidéo)

Dans une démarche nationale et publique, la Tunisie veut solder l'une des pages les plus sombres de son histoire récente. A la télévision nationale, les Tunisiens pourront suivre les témoignages de victimes de la répression du régime Ben Ali et même au-delà. Objectif affiché, réaliser une réconciliation nationale. Retour sur cette démarche à double tranchant.
Ibrahima Bayo Jr.
Les commissaires de l'IVD lors des auditions publiques de témoins.

C'est une véritable catharsis nationale que les Tunisiens ont entamée, ce jeudi 17 novembre, pour concrétiser la réconciliation. En prime-time et pendant près de 4 heures sur plusieurs chaînes de télévisions et de radio, l'instance « Vérité et Dignité » (IVD) un organe étatique autonome et indépendant créé en 2013, a ouvert l'audition des premiers témoignages des victimes de la répression du régime autocratique de Zine el-Abidine Ben Ali.

Exorciser les morts, la torture et les disparitions

C'est un passé lourd et sombre que la Tunisie tire des oubliettes de l'histoire. Devant une assistance ébahie composée de citoyens, de chefs de partis politiques, d'observateurs internationaux, de diplomates et de famille de victimes, 7 témoins représentants sont venus égrener les 4 types de violations de leurs droits dont ils ont été victimes sous l'ancien régime. Trois femmes sont venues témoigner de la douleur de perdre leur fils pendant la révolution de janvier 2011 et de l'injustice de voir leurs exécutants non condamnés ou condamnés à des peines « douces ». Une autre femme, quant à elle dénonce la disparition forcée de son mari dont le corps n'a toujours pas été retrouvé. D'autres témoins racontent leur emprisonnement, leur torture par la répression de régime Ben Ali.

Pied de nez à l'histoire, les auditions ont pour cadre lieu le Club Elyssa de Sidi Dhrif à Tunis, une résidence huppée où Leïla Trabelsi organisait ses banquets pour le gotha de la société. Qu'à cela ne tienne, l'IVD, à l'image de l'IER -Instance d'Equité et de Réconciliation- au Maroc dans le début des années 2000, est bien déterminée à mener la justice transitionnelle pour toutes les victimes de répression en Tunisie. La tâche s'annonce titanesque et la période couverte immense (1955-2013). Sur les 62 300 plaintes qui peuplent le bureau de Sihem Bensedrine, la présidente de l'IVD, seulement une vingtaine ont été instruites. Un retard d'efficacité qui s'explique par une volonté affirmée de l'IVD de commencer ces auditions par les victimes avant de donner la parole aux bourreaux pour mieux comprendre et démanteler la machine répressive du régime de Ben Ali.

Certains observateurs voient dans ce manque de rapidité, la fervente opposition que mène le pouvoir pour amoindrir les pouvoirs de l'instance qu'on estime constitutionnellement surpuissante dans sa volonté de vouloir poursuivre les crimes économiques et liés à la corruption.

Des absences remarquées et un risque d'alimenter la revanche

Dans l'assistance ou devant leur télé, certains s'offusquent de l'absence remarquée du président tunisien Béji Caïd Essebsi. L'octogénaire du Palais de Carthage a de quoi faire profil bas puisqu'il pourrait être mis en cause en sa qualité d'ancien ministre de l'Intérieur. Autre absence, le sort de l'ex-président Ben Ali qui coule des jours tranquilles avec femme et enfants en Arabie Saoudite, n'a pas encore été évoqué.

Mais l'IVD ne perd pas de vue ses objectifs de réaliser la réconciliation nationale d'un pays écrasé dans toutes sortes de persécutions pendant les 23 ans de pouvoir de l'ex-président Ben Ali. Ce vendredi 18 novembre au soir, les thèmes de la seconde séance d'auditions publiques devraient être consacrées aux thèmes de la répression de la gauche et des mouvements syndicaux, ou encore à la mort sous la torture.

(Vidéo) Suivre la première session :

Seulement les bruits de couloirs qui se font entendre à l'encontre de l'IVD pourraient parasiter la justice transitionnelle. On se retrouverait alors avec une exacerbation de la rancune nationale et ces témoignages ne feraient qu'alimenter le sentiment de revanche dans un pays où la justice de transition est encore très peu comprise.

Pour le symbole, l'IVD a fait coïncider les prochaines auditions avec les dates 17 décembre et le 14 janvier, considérés comme la première et la dernière des journées révolutionnaires. Comme il y a cinq ans avec la fuite de Ben Ali et la réussite de la « Révolution du Jasmin », il faut espérer que ces auditions parachèvent définitivement la catharsis de ce passé sombre !

Suivre le direct des auditions de l'instance « Vérité et Dignité », ici.

Ibrahima Bayo Jr.

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