Maroc  : deux décennies d'investissement, l'inclusivité à l'horizon

Pendant les deux dernières décennies, le royaume du Maroc a progressivement imposé sa signature sur les radars de l'économie mondiale, de l'investissement international et de la chaîne de valeur industrielle planétaire. Pendant cette même temporalité, les défis du pays se sont confirmés et précisés.
Le roi Mohammed VI lors de l’inauguration, le 22 janvier 2019, du terminal 1 de l’aéroport international Mohammed V de Casablanca.
Le roi Mohammed VI lors de l’inauguration, le 22 janvier 2019, du terminal 1 de l’aéroport international Mohammed V de Casablanca. (Crédits : DR.)

«Les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après-demain». En lançant ces mots, l'ancien chancelier fédéral d'Allemagne, feu Helmut Schmidt, n'avait pas fait la trouvaille du siècle passé, mais avait simplement rappelé que la transmission des effets d'une politique économique est un mécanisme de long terme. Pour un économiste, vingt ans c'est bel et bien du long terme, suffisamment en tout cas pour évaluer la politique de développement économique d'un pays, le royaume du Maroc en l'occurrence.

Et il faut dire, toutes proportions gardées, que le bilan de vingt ans de réformes économiques au Maroc, sous l'impulsion du roi Mohammed VI, est sans équivoque positif, malgré certains points de fragilité qui persistent. Ce même bilan devient même providentiel si l'on prend comme base de comparaison les vingt années précédentes. Les douloureuses mauvaises passes des années 1980 et 1990 avaient en effet acculé le pays à s'astreindre à la «diète» sèche du Fonds monétaire international. Une sorte de destruction créatrice au final... avec quelques décennies de recul.

Pendant les deux dernières décennies, le royaume chérifien a progressivement imposé sa signature sur les radars de l'économie mondiale, de l'investissement international et de la chaîne de valeur industrielle planétaire. Pendant cette même temporalité également, les défis du pays se sont confirmés et précisés, ne laissant que peu d'incertitude sur les faiblesses cruciales auxquelles la politique socioéconomique marocaine doit s'attaquer pour assurer ses vingt prochaines années de développement.

Rattrapage accéléré

«Au cours des quinze dernières années, le Maroc a réalisé des avancées incontestables, tant sur le plan économique et social que sur celui des libertés individuelles et des droits civiques et politiques. Ces avancées se sont notamment traduites par une croissance économique relativement élevée, une augmentation sensible de la richesse nationale et du niveau de vie moyen de la population, une éradication de l'extrême pauvreté, un accès universel à l'éducation primaire et, globalement, un meilleur accès aux services publics de base et enfin un développement considérable des infrastructures publiques. Grâce à ces avancées, le Maroc a pu enclencher un processus de rattrapage économique vers les pays d'Europe du Sud», résume Jean-Pierre Chauffour, ancien économiste principal pour les pays du Maghreb dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord de la Banque mondiale, au sujet des avancées socioéconomiques indéniables réalisées par le royaume.

Dans Le Maroc à l'horizon 2040 : investir dans le capital immatériel pour accélérer l'émergence économique, un rapport qu'il a rédigé au terme de sa mission en Afrique du Nord et publié en 2018, l'expert observe que le revenu par habitant du Maroc a recommencé à croître plus rapidement au début des années 2000 après la mise en œuvre de plusieurs réformes institutionnelles importantes visant à ouvrir la société. Les révisions de la Constitution en 1992 et 1996 ont en effet amorcé un processus de démocratisation et de modernisation des institutions publiques à travers la création d'institutions plus représentatives, tout en reconnaissant de nouvelles libertés économiques, telles que la liberté d'entreprise.

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Dans la foulée de ces changements constitutionnels et de l'impulsion donnée aux réformes par le roi Mohammed VI lors de son accession au trône en 1999, des réformes ambitieuses et de nouvelles lois ont été adoptées pour libéraliser et ouvrir graduellement l'économie, privatiser des entreprises publiques, restructurer le système financier, renforcer la gouvernance publique et l'Etat de droit, et pour garantir un nombre croissant de droits humains fondamentaux. Les droits des femmes ont été substantiellement renforcés avec la révision unanimement saluée du Code de la famille (Moudawana) en 2004.

Ces évolutions sont riches d'enseignements, mais également de promesses, compte tenu des changements institutionnels qui se sont poursuivis avec la révision de la Constitution en 2011. «Fort de ces avancées, le Maroc a l'ambition légitime d'atteindre le statut d'économie à revenu moyen élevé et d'accélérer son rattrapage économique vers les pays avancés», estime l'économiste. À cette fin, de grands projets structurants ont été réalisés ou sont en cours de réalisation, parmi lesquels on peut citer le port de Tanger-Med, le réseau autoroutier et une série de stratégies sectorielles ambitieuses couvrant l'ensemble des secteurs de l'économie : agriculture et pêche, énergie et mines, bâtiments et travaux publics, industries manufacturières et services, notamment le tourisme et les technologies de l'information et de la communication.

Le nouveau paradigme industriel

Un réseau d'écosystèmes s'articulant autour de projets industriels intégrés émerge aujourd'hui autour de la valorisation de l'exploitation du phosphate, de l'agroalimentaire, de l'industrie pharmaceutique, de l'automobile, de l'aéronautique et des autres nouveaux métiers mondiaux du Maroc. En 2016, l'industrie automobile marocaine avec le groupe Renault a assemblé près de 345 000 voitures avec la perspective prochaine d'atteindre 400 000 voitures. Au début de 2016, le Maroc inaugure la plus grande centrale solaire thermodynamique du monde et s'est fixé pour objectif de produire plus de 52% d'énergies renouvelables d'ici à 2030.

En 2019, le pays lance la première ligne ferroviaire à très grande vitesse du continent africain. En 2018, le port Tanger-Med est devenu après son extension le plus grand hub de transit maritime en Méditerranée et en Afrique. En 2019, l'implantation de PSA Peugeot-Citroën devrait se traduire par la production de 90 000 moteurs et véhicules, puis de 200000 à terme, renforçant ainsi le positionnement du Maroc sur la carte mondiale de la construction automobile et les ambitions sont du même ordre pour l'industrie aéronautique.

Le Maroc a pour ambition en 2020 de faire partie des 20 plus grandes destinations touristiques mondiales en accueillant 20 millions de touristes. D'autres exemples de réussites spectaculaires et de projets ambitieux pourraient être cités. À bien des égards, l'évolution du Maroc fait figure d'exception dans une région du monde en proie à de très grandes difficultés politiques, économiques et sociales.

Réformes et non-réformes

En vingt années, l'espérance de vie d'un nouveau-né marocain a gagné près de dix ans, le revenu national brut par tête a progressé de 80%, gagnant plus de 1 000 dollars sur la période et l'inflation est l'une des mieux maîtrisées à l'échelle mondiale. Cette période a été également marquée par plusieurs de réformes : réforme du système financier, des finances publiques et de la compensation, des entreprises publiques et de la privatisation, du commerce extérieur, du marché du travail, les réformes sectorielles et celles du cadre réglementaire et du climat des affaires.

La génération qui a mûri durant cette période retiendra en revanche les réformes manquées (ou les non-réformes) : celles de l'éducation et de la santé. Une autre réforme cruciale est pour sa part à un tournant stratégique en 2019, celle de la fiscalité. Les 3e Assises de la fiscalité tenues en mai de cette année ont rebattu les cartes des priorités en la matière: au-delà des taux, des exonérations et de l'assiette, le diagnostic fait état d'un besoin urgent de sens à donner à l'impôt et d'une conscience fiscale à inculquer au citoyen.

Gare à l'essoufflement !

Au-delà de la stabilité macroéconomique, le principal défi économique du Maroc à moyen terme est essentiellement lié à sa capacité à générer une croissance plus forte, durable et solidaire. Ce qui soulève des questions quant à la vulnérabilité et à la durabilité de la trajectoire de développement actuelle du pays. Avec un taux d'investissement supérieur à 30% du PIB depuis 2008, le modèle économique marocain fondé sur la demande intérieure risque de s'essouffler sans une augmentation significative des retombées de l'investissement et de la productivité, selon l'analyse des institutions de Bretton Woods.

Ces deux dernières décennies, la croissance a essentiellement reposé sur l'accumulation de capital public, parfois dans le cadre d'opérations conjointes regroupant des IDE et des entreprises d'Etat qu'il sera difficile de maintenir si les gains de productivité totale des facteurs n'augmentent pas. Il faudra pour cela redoubler d'efforts pour améliorer le climat des affaires et renforcer la compétitivité de l'économie, notamment par des politiques commerciales et de concurrence. Si ces conditions sont réunies, la croissance de l'économie non agricole pourrait s'accélérer d'environ 5% à moyen terme.

Alors que la croissance est favorable aux pauvres depuis une dizaine d'années, l'écart entre les taux de pauvreté urbaine et rurale reste important. À l'échelle du territoire, l'évolution du niveau de vie entre les 12 régions indique une convergence, quoiqu'à un rythme asymétrique. Ce processus est loin d'être achevé : en supposant un taux de convergence annuel de 4%, il faudra 24 ans pour que les disparités régionales initiales soient réduites de moitié, selon les statistiques de la Banque mondiale. D'où la nécessité d'accroître les fruits de la croissance découlant du modèle de régionalisation avancée.

De son côté, la pauvreté a fortement baissé au Maroc entre 2007 et 2014. Si l'on utilise les seuils de pauvreté internationaux de 1,9 dollar (seuil d'extrême pauvreté) et de 3,2 dollars (seuil de pauvreté des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure), la pauvreté a diminué de plus de moitié, passant respectivement de 3,2% à 1% et de 17% à 7,5%.

En termes absolus, l'extrême pauvreté avait presque disparu du Maroc en 2014. Les tendances post-2014 sont toutefois moins encourageantes. Les prévisions fondées sur le PIB par habitant indiquent que la réduction de la pauvreté se poursuivra, mais à un rythme beaucoup plus lent. En 2018, l'extrême pauvreté est restée de l'ordre de 1% et la pauvreté mesurée par rapport au seuil de 3,2 dollars en parité de pouvoir d'achat atteindra environ 6,65%, reflétant la faible répercussion de la croissance sur la réduction de la pauvreté.

Le Maroc de 2039 : le Graal de la croissance inclusive

Comment parvenir à une croissance inclusive d'ici vingt années ? À cette question, les pistes de réponses sont avant tout qualitatives: améliorer les institutions d'appui au bon fonctionnement des marchés ; améliorer les institutions et les services publics ; investir dans le capital humain et dans le capital social. Améliorer les institutions d'appui au bon fonctionnement des marchés, en instaurant les mêmes règles du jeu pour tous les acteurs économiques, et notamment l'établissement d'une concurrence libre et loyale, et en promouvant un changement culturel à l'égard de l'entreprise et de l'innovation. En allégeant la réglementation du travail et en améliorant l'efficacité des politiques actives du marché du travail, sachant que la refonte du Code du travail ferait progresser significativement l'emploi formel, notamment chez les jeunes et les femmes. Améliorer les institutions et les services publics en les rendant plus efficaces et équitables.

Cette réforme doit placer l'usager au cœur du système, en tant que bénéficiaire et régulateur, et s'attacher à rendre les services administratifs plus efficients, en simplifiant les procédures et en renforçant la reddition des comptes. Une mise à niveau qui passe également par la modernisation de la fonction publique en poursuivant résolument les efforts de décentralisation, en améliorant les performances du personnel et de l'administration, en réduisant les effectifs superflus et en rationalisant l'administration. Sans oublier le renforcement de l'Etat de droit et la justice en envoyant un signal fort de changement de paradigme dans la protection des personnes, des biens et des contrats.

«Investir dans le capital humain en mettant l'éducation au cœur des réformes. La démarche doit relever d'une forme de "thérapie de choc" destinée à remédier aux principales entraves qui pèsent sur le système éducatif. L'objectif doit être de provoquer un "miracle éducatif", c'est-à-dire une amélioration très significative du niveau des élèves marocains, tel que mesuré par les tests internationaux», préconise Jean-Pierre Chauffour à ce sujet. Pour lui, il faut également investir dans la santé en vue de renforcer le capital humain, en élargissant la couverture médicale, en améliorant l'efficacité des services de santé publics et en renforçant la gouvernance générale du système de santé.

Il est tout aussi impératif de développer la prise en charge et l'éducation des jeunes enfants pour garantir l'égalité des chances dès le plus jeune âge et améliorer les résultats économiques à long terme. Il est impératif de veiller à ce que tous les enfants aient accès à une éducation préscolaire, ainsi qu'aux autres conditions nécessaires à leur développement. Investir dans le capital social en commençant par parvenir à l'égalité hommes/femmes en améliorant l'accès des femmes aux opportunités économiques et en favorisant leur autonomisation. Il est possible de concevoir des politiques publiques qui permettent à la fois de lutter contre les inégalités et les discriminations dont les femmes sont victimes et de promouvoir leur inclusion économique. Il est également recommandé d'encourager une plus grande confiance interpersonnelle. Pour accroître le capital social, le pays doit faire en sorte que la règle de droit soit mieux appliquée et respectée, de promouvoir le sens civique, d'encourager le développement de la société civile et d'accompagner l'évolution des normes socioculturelles.

Bref, un véritable travail de fonds et de nouveau de long terme, au-delà du cynisme d'un certain John Maynard Keynes qui un jour s'exclama : «A long terme, nous serons tous morts!». Dans une enquête qu'il a menée durant le mois de mai 2019, le Conseil économique social et environnemental (CESE) a posé une question déterminante aux citoyens sondés : qu'elle devrait être selon vous la priorité de la politique menée par l'Etat ? Croissance ? Emploi ? Egalité des chances ? [...] Ou bien-être des citoyens ? Statistiquement, ces variables (et résultats) ne sont vraisemblablement pas indépendantes les unes des autres, mais la question n'en est pas moins existentielle comme point de mire de la génération naissante. Nous en attendons impatiemment les résultats.

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