RDC : lassée, la Gécamines fait table rase de ses accords avec les opérateurs internationaux

L’année 2018 pourrait être celle du renouveau du secteur minier en RDC, avec la promulgation attendue d’un code minier qui cristallise déjà les attaques des opérateurs internationaux et l’annonce par la Gécamines d’une véritable mue. L’opérateur public a dans une autocritique rare décrit son modèle comme « obsolète et à réformer » et compte changer de fond en comble tous ses partenariats (12 JV) pour rééquilibrer les rapports entre les opérateurs et Gécamines, que cette dernière juge loin de lui être favorables ou rentables.
«Pour le dire de manière concise, nos mines se vident actuellement de nos ressources naturelles, quand nos caisses ne se remplissent pas des revenus de leur production», a déploré Albert Yuma-Mulimbi, PDG de Gécamines au moment d'expliquer les nouvelles orientations prévues pour redresser la situation du groupe congolais
«Pour le dire de manière concise, nos mines se vident actuellement de nos ressources naturelles, quand nos caisses ne se remplissent pas des revenus de leur production», a déploré Albert Yuma-Mulimbi, PDG de Gécamines au moment d'expliquer les nouvelles orientations prévues pour redresser la situation du groupe congolais (Crédits : DR)

Alors que le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) s'apprête à promulguer un nouveau code minier, son bras armé dans le secteur, la Gécamines vient également d'annoncer de son côté un «plan stratégique de redressement». Un plan annoncé par Albert Yuma-Mulimbi, Président du Conseil d'Administration de la Gécamines, ce lundi 5 février en marge de la conférence Mining Indaba qui se tenait au Cap.

Zéro dividendes

La Gécamines compte également réviser les contrats de partenariats miniers qui la lient aux différents opérateurs actuellement en activité sur le sol de la RDC. L'opérateur est à ce jour, partenaire minoritaire dans 12 joint-ventures, qui représentent selon le management, un volume global de réserves de 32 millions de tonnes de cuivres et près de 3 millions de tonnes de cobalt ou encore le traitement annuel de plus de 600.000 tonnes de cuivre.

« Nous nous sommes aperçus à partir de 2013, que ces partenariats, entrés en production commerciale entre 2004 et 2009 pour les plus importants d'entre eux, n'affichaient que des résultats négatifs, empêchant toute distribution de dividendes aux actionnaires. Cette situation inquiétante, contraire à toutes les projections des études de faisabilité sur lesquelles nous nous étions basés pour développer ces partenariats s'est malheureusement répétée année après année jusqu'à aujourd'hui. Ainsi en matière de dividendes, la Gécamines aurait dû avoir perçu à fin 2016, la somme de 362 millions de dollars. Elle ne les a jamais encaissés ! », a précisé Yuma-Mulimbi.

Absence de rentabilité

L'opérateur étatique qui a pour rappel dû faire face à des années de conflits internes et régionaux et à un sous-investissement chronique, s'est vu obligé de céder ses principaux actifs industriels et miniers dès 1995. Depuis la Gécamines est passée d'un groupe produisant entre 400 et 450.000 tonnes de cuivres au milieu des années 1980, à l'entreprise d'aujourd'hui dépendante des dividendes issues des partenariats étrangers, pour contribuer au développement du pays. Sauf que le management du groupe déclare n'avoir reçu que les montants des Pas de portes «quand ils ont été payés en totalité et les royalties, quand elles ont été calculées correctement», en guise de revenus.

Le patron de la Gécamines a également déploré le fait qu'en 2016, «sur un chiffre d'affaires cumulé de 2,59 milliards de dollars de tous nos partenaires, les revenus pour la Gécamines ont été de 88 millions». Un montant jugé «non rentables» par le management qui revendique un apport de 32 millions de tonnes de cuivres et 3 millions de tonnes de cobalts. Le patron du groupe va plus loin et décrit la situation comme inacceptable. «Pour le dire de manière concise, nos mines se vident actuellement de nos ressources naturelles, quand nos caisses ne se remplissent pas des revenus de leur production», s'insurge Yuma-Mulimbi.

Des résultats d'audits inquiétants

Un manque à gagner qui a poussé l'entreprise à commanditer des audits auprès des cabinets Mazar, PwC et Ernst & Young, qui ont tour à tour passé à la loupe les partenariats conclus, les états financiers et la modélisation économique et financière des partenariats. «Nous avons principalement découvert que la situation réelle de nos entreprises communes nous priverait de bénéfices pour de nombreuses années, voire pour toute la durée de ces partenariats», alerte le management de Gécamines.

Les audits ont ainsi fait ressortir un déficit de 600 millions de dollars, causé par le non-respect des projections des études de faisabilité. S'y ajoutent des pratiques managériales «souvent à la marge de la loi» de ses partenaires, minorant les résultats comptables, recourant à des filiales pour la sous-traitance ou encore ne respectant pas les régimes liés aux conventions réglementées. Une situation qui entraîne selon le management des déséquilibres majeurs dans la gouvernance du groupe et lui fait perdre «toute faculté de contrôle réel des principales décisions de l'entreprise que dans la structure de financement des projets».

L'entreprise accuse par ailleurs, des géants comme la China Molybdenum Co (CMOC) ou l'anglo-suisse Glencore, d'engranger «de très gros profits, qui ne sont pas équitablement partagés avec l'Etat et avec leur partenaire local Gécamines. D'ailleurs leurs maisons mères voient leur cours de bourse s'envoler, malgré les pertes récurrentes de leurs principales sociétés opératrices en RDC», signale le PDG de Gécamines. Cette situation a ainsi donné lieu à des déséquilibres liés à l'absence de contrôle et à la structure de financement.

Durcir les contrats avec les acteurs internationaux

Pour remédier à cette situation, le management du groupe préconise d'introduire dans ces partenariats, des décisions réservées qui seront non négociables et qui devront requérir le vote de la Gécamines pour leur adoption. Cette mesure devra verrouiller les investissements dépassant ceux prévus dans les études de faisabilité établies au préalable et introduira la nécessité d'une approbation formelle de la Gécamines pour les négociations avec «sous-contractants stratégiques». Le groupe compte par ailleurs forcer ses partenaires à appliquer la loi de février 2017, sur la sous-traitance qui favorise l'accès aux entreprises congolaise. «Cette loi constitue pour tous les donneurs d'ordres une obligation qu'ils doivent respecter».

L'entreprise compte également durcir le contrôle de la production de ses partenaires vu «les incohérences particulièrement importantes dans les bilans matières». Un renforcement des contrôles qui s'étendra également aux prix de vente des minerais extraits en RDC, alors que les contrats de vente devront dorénavant faire l'objet d'un appel d'offre. Les contrats liants Gécamines aux opérateurs internationaux comporteront également des obligations de résultat se basant sur les éléments de l'étude de faisabilité ou encore le renforcement du levier fiscal.

Niveau financement, la Gécamines compte instituer un ratio minimal entre capitaux propres et part d'endettement, «de manière à réduire la part des frais financiers affectés à la rétribution des apporteurs de capitaux au détriment des actionnaires». Cette mesure devrait se traduire par la valorisation des gisements dans les états financiers de l'entreprise. «La prise en compte de la valeur de nos titres dans JV actuelles, imposera donc à nos partenaires d'apporter du capital en numéraire, qui sera alloué aux investissements et réduire la dette pour les premières années d'exploitation», explique le patron de Gécamines.

Contrats aux clauses vertueuses

Les nouveaux contrats de joint-ventures de la Gécamines reposeront dorénavant sur quatre principes «vertueux» : La rétribution en nature du groupe public, qui se chargera de commercialiser comme il le souhaite sa part de la production en fonction de ses seuls intérêts. En cas d'une faible rentabilité, c'est l'opérateur investisseur qui devra supporter les risques et sera ainsi seul responsable de ses choix opérationnels et de financement. L'évolution positive des cours des matières produites en RDC impliquera dorénavant, un partage du surplus dégagé sur la base de paliers favorables à la Gécamines au fur et à mesure que le prix augmentera. Des paliers qui seront calculés sur la base des coûts cumulés et des revenus cumulés de l'investisseur.

Les contrats ne prendront par ailleurs, plus la forme d'entreprises communes où le titre sera cédé. «Nous développerons un contrat d'amodiation, qui garantit l'amodiataire, que l'amodiant et nous épargne de prendre en compte toutes les problématiques liées au partage du bénéfice, qui on l'a vu présente de grandes difficultés quand les deux parties n'ont pas le même objectifs», avance Yuma-Mulimbi. Le PDG de Gécamines se montre confiant et argue que ce nouveau modèle de joint-venture permettra de préserver ses intérêts, «alors que dans le cas de la JV traditionnelle, elle ne perçoit quasiment aucun revenu. C'est le cas que nous vivons dans 100% de nos partenariats actuellement».

Le démarrage de ce chamboulement réglementaire et pratique de la Gécamines est prévu pour le deuxième trimestre à venir, pour une mise en place opérationnelle de la structure entre fin 2018 et le premier trimestre 2019. Les sites pilotes de cette nouvelle version de la Gécamines seront l'usine d'enrichissement de cuivre et de cobalt de Deziwa (région de Kolwezi) et le site de rejets de Kingamyambo.

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