Jean-Pierre Favennec : « Le poids de l’Afrique sur la scène pétrolière va se renforcer »

A quelques jours de la réunion de l’OPEP le 30 novembre à Vienne, les projecteurs sont actuellement braqués sur le cartel. Arrivera-t-il à un accord ? Quel est le poids aujourd’hui des pays africains dans ces tractations et au sens plus large sur le marché pétrolier. Dans un entretien avec La Tribune Afrique, Jean-Pierre Favennec, président de l’Association pour le développement de l’énergie en Afrique (ADEA), directeur général de l’Institut africain de l’Energie (IAE), professeur à Sciences Po et à l'Ecole nationale supérieure du Pétrole à Paris et consultant WDCooperation, livre son analyse. Interview.
Ristel Tchounand
Jean-Pierre Favennec, président de l’Association pour le développement de l’énergie en Afrique (ADEA), directeur général de l’Institut africain de l’Energie (IAE)

A quelques jours de l'ultime rencontre de l'OPEP le 30 novembre prochain, une question taraude tous les esprits. Le cartel parviendra-t-il à un accord selon vous?

Je dirais oui. Il se peut qu'il n'y ait pas accord le 30 novembre, mais si c'est le cas, il y aura forcément accord très peu de temps après. Tout simplement parce qu'actuellement, la baisse du prix du pétrole les conduits dans des situations financières extrêmement difficiles ou dans certains cas tout simplement catastrophiques. Il est donc nécessaire pour les pays de l'OPEP que les prix du brut remontent au minimum au-delà de 50 voire 60 ou 65 dollars le baril. Ce que l'on voit actuellement, c'est-à-dire cette augmentation très importante de la production des pays de l'OPEP, c'est un jeu tacite si je puis ainsi dire. Pour qu'il y ait accord le 30 novembre, il faudra que chaque pays accepte de réduire sa production à un certain pourcentage par rapport à la production maximale. Le jeu c'est de montrer qu'on est capable de produire beaucoup pour pouvoir même en réduisant conserver une production satisfaisante.

Actuellement l'accord d'Alger conclu en septembre dernier, qui a mis sur les rails ce projet de réduction de la production de l'OPEP d'environ 33,5 - 34 millions à quelque chose compris entre 32 et 33 millions de barils concerne la plus part des pays sauf au moins trois d'entre eux. L'Iran, parce qu'il sort des sanctions et donc veut revenir à sa production d'avant les sanctions, c'est-à-dire 4 millions de barils par jour au lieu d'un peu plus de 3 millions actuellement. D'autre part deux pays ont des problèmes de production actuellement. Il s'agit de la Libye pour des raisons évidentes et le Nigéria parce que dans la zone de production il y a beaucoup d'attaques de populations hostiles et qui se rebellent contre les installations de production. Ces trois pays ont été laissé un peu en dehors de l'accord pour leur permettre de revenir à des niveaux de production un peu plus normaux.

Donc l'effort sera évidemment porté par les autres pays avec l'Arabie Saoudite en première ligne. La Russie aussi va sans doute s'engager à réduire sa production dans les prochains mois de manière à conforter les efforts de l'OPEP et d'arriver à un prix du pétrole satisfaisant.

En parlant justement de la Russie, l'OPEP vient de demander aux pays non membres de réduire leur production de 500 000 barils par jour. Concrètement quel serait l'effet d'une telle mesure ?

Avec environ 40% de la production mondiale et dans le contexte actuel d'excédent pétrolier sur le marché, l'engagement de l'Opep dans un processus de réduction est quand même coûteux. Cela demande une certaine solidarité de la part des autres gros producteurs, la Russie en l'occurrence. La Norvège, le Mexique ou Oman peuvent également y participer de façon conséquente.

L'accord n'est pas encore effectif. Alors en fonction de ce qui se passe au quotidien, les opérateurs du marché pétroliers sont plus ou moins confiants dans la capacité de l'OPEP à réduire sa production et dans la capacité des pays non membres de faire preuve de solidarité. Les accords de ce type sont extrêmement complexes à mettre en place et prennent toujours beaucoup de temps.  C'est pour cela que les pays de l'OPEP ont tendance ces derniers jours à augmenter au maximum leur production de façon à arriver sur la table des négociations dans la situation la plus favorable en disant : ''je produis beaucoup, vous me demander un effort, je peux réduire''. A ce moment, il vaut mieux être dans une situation où on produit le plus, afin que l'effort demandé soit facile à faire.

Certains critiquent l'effort prévu par l'OPEP l'estimant pas assez conséquent vu la réalité actuelle du marché. Quel est votre avis ?

Premièrement, il vaut mieux un petit effort que rien du tout. Deuxièmement, c'est la tendance qui compte. Donc au lieu d'augmenter leur production comme ils l'ont fait au cours des derniers mois et même des deux dernières années, les pays de l'OPEP s'engagent à la réduire, cela va dans le bon sens. N'oublions pas deux choses très importantes et qui vont d'ailleurs beaucoup jouer. D'une part il y a le potentiel de production des pétroles de schistes des Etats-Unis qui est important et qui va évidemment augmenter avec l'augmentation du prix du brut. Mais à l'inverse, on est dans une situation où il n'y a pratiquement plus d'investissement ou très peu par rapport à ce qui prévalait auparavant dans le secteur du pétrole. Du coup, nous nous attendons à ce que fin 2017-2018, une tension naisse sur le marché. Tout simplement parce que quand il n'y a pas d'investissement ou peu d'investissement, la production ne progresse plus et a même tendance à réduire. Il faut savoir qu'un champ pétrolier, s'il n'est pas entretenu, s'il n'y a pas d'investissement, la production a tendance à diminuer assez rapidement de l'ordre de 5% environ par an. Il est très clair que le manque d'investissement actuel va produire progressivement un manque de pétrole sur les marchés, lequel sera peut-être compensé par la ré-augmentation de la production de l'OPEP, ainsi que celle des pétroles de schistes. Mais pour l'instant, s'il y a beaucoup de pétrole sur le marché, la diminution des quantités au cours des prochains mois semble une évidence avec un accord de l'OPEP. Ce qui va entraîner une augmentation modérée du prix du brut.

Aujourd'hui, quel est le poids des pays africains sur le marché pétrolier ?

Ce poids est relativement limité pour la raison suivante. D'abord, il y a quatre grands producteurs africains qui sont traditionnellement en Afrique du Nord à savoir la Libye et l'Algérie, ainsi qu'en Afrique de l'Ouest au sens large du terme, le Nigéria et l'Angola. Avec la situation en Libye la production est faible. Peut-être qu'elle va repartir un peu avec la réduction de l'emprise de Daesh sur l'une des régions de production. La production en Algérie reste à peu près stable, mais la consommation interne augmente de plus en plus donc les exportations ne progressent pas. Au Nigéria, comme je le disais, le problème des attaques et les vols de pétrole fait que la production n'est pas à son maximum. Ensuite il y a l'Angola. Au total, la production de ces quatre pays africains de l'OPEP représente environ 10% de la production du cartel. C'est important, mais ce n'est pas fondamental. Le cœur du jeu reste au sein du Golfe notamment l'Arabie Saoudite et les pays qui lui sont alliés, ainsi que l'Iran et l'Irak notamment.

Quels sont les pays africains qui montent ?

Nous sortons d'une importante conférence à Dakar sur la production pétrolière où nous avons encore eu l'occasion de revenir sur les nombreuses découvertes de pétrole faite récemment. Et un pays comme le Ghana est en train de devenir un producteur substantiel, sans oublier la guinée équatoriale, le Congo et le Gabon [qui est réintégré l'OPEP en juillet 2016, ndlr]. Donc, très probablement cette région africaine va continuer à se développer. Ne perdons pas de vue les productions potentielles de pétrole qui vont se développer à partir de l'Ouganda et du Kenya. Tout cela fait que le poids de l'Afrique va augmenter. De même, la consommation africaine d'or noir, qui est encore faible, va augmenter. Mais je pense sérieusement que progressivement, le poids de l'Afrique sur la scène pétrolière va se renforcer.

Ristel Tchounand

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Commentaire 1
à écrit le 09/02/2017 à 15:28
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deux points aux propos rapportés de cet interview intéressante : 1) les précédents accord de réduction des quotas OPEP n'ont jamais été efficaces (car aucun pays n'a jamais voulu que sa production soit contrôlée, vous voyez l'Arabie saoudite inspec...

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