Ismaïl Douiri : « Le secteur bancaire devra s’adapter à un nouvel environnement »

Ismaïl Douiri est le directeur général délégué du groupe Attijariwafa bank, en charge du pôle Banque de détail à l'international et Filiales de financement spécialisées. Il évoque pour La Tribune Afrique l’impact du prolongement du confinement sur le secteur bancaire marocain, partage l’expérience du groupe en Afrique pendant cette pandémie de coronavirus et jette un regard prospectif sur l’avenir à court terme d’un secteur clé de l’économie régionale.
Ristel Tchounand
Ismaïl Douiri, Directeur Général Délégué du groupe Attijariwafa bank, en charge du pôle Banque de détail à l'international et filiales de financement spécialisées.
Ismaïl Douiri, Directeur Général Délégué du groupe Attijariwafa bank, en charge du pôle Banque de détail à l'international et filiales de financement spécialisées. (Crédits : DR)

Le Maroc est l'un des rares pays à maintenir jusqu'au 10 juin le confinement total de sa population. Alors que cette mesure fait perdre au royaume 1 milliard de dirhams chaque jour, cette dernière fait également ses preuves en matière de ralentissement de la propagation du virus qui a déjà fait 7 601 cas de contamination, 4 978 guérisons et 202 morts.

Dans la stratégie nationale de lutte contre la Covid-19 initiée par le roi Mohammed VI, les banques jouent un rôle central. Leader du secteur, Attijariwafa Bank a dû -comme ses confrères Bank of Africa (ex-Groupe BMCE Bank) et Groupe Banque centrale populaire (BCP) établis ailleurs sur le continent- gérer l'impact de la pandémie à la fois au Maroc et dans ses autres pays d'implantation à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, la Côte d'Ivoire, l'Egypte, le Gabon, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Tunisie.

La Tribune Afrique - Le Maroc a prolongé le confinement jusqu'au 10 juin. Qu'implique cela pour le secteur bancaire national en général ?

Ismaïl Douiri - Il faut souligner que le secteur bancaire a été un acteur proactif dans la gestion de la crise sanitaire et ses répercussions économiques et sociales. Il a œuvré en partenariat étroit avec le Comité de Veille Economique et mis en œuvre ses décisions avec célérité et efficacité.

Dès le début du confinement, les autorités ont considéré que le secteur bancaire était stratégique et devait continuer à opérer de manière normale tout en respectant les règles sanitaires lui permettant de protéger les collaborateurs et les clients. Cela a parfaitement fonctionné et permis au secteur bancaire et financier de distribuer les aides directes, de traiter les demandes de report d'échéance et d'instruire et débloquer les crédits de trésorerie permettant aux entreprises de faire face à leurs charges alors que beaucoup d'entre elles enregistraient un ralentissement brutal de leurs activités et revenus.

La prolongation du confinement n'a donc pas d'implications opérationnelles immédiates sur le secteur bancaire. Indirectement, cependant, elle aura un coût supplémentaire pour l'économie et donc pour les banques, puisqu'elle se traduira par des baisses d'activité et une augmentation du risque de crédit.

Quel est l'impact de cette pandémie sur l'activité et sur la performance de la banque ?

L'impact de la pandémie sur notre performance financière est la conséquence de l'impact de la crise sur l'ensemble des économies où nous opérons, avec certains facteurs de modération et d'autres facteurs d'amplification.

Pour le PNB, qui est l'équivalent du chiffre d'affaires dans le secteur bancaire, l'impact est un ralentissement dont l'ampleur varie selon l'activité : A titre d'exemple, le PNB généré par les crédits à long terme a de l'inertie et sera affecté progressivement par le report des projets d'investissements de nos clients. A l'inverse, les commissions générées par l'utilisation de nos GAB par les touristes étrangers se sont brutalement écroulées.

Les charges sont généralement plus modérées que prévu dans les budgets préparés à la fin de 2019 suite au report de certains projets et à des mesures d'économies ciblées.

Le coût du risque est l'élément le plus difficile à appréhender. Malheureusement, nous pensons que le nombre de clients qui ne pourront pas honorer les échéances de leurs crédits à temps (exception faite des reports d'échéance) va significativement augmenter. Nous ne pouvons pas quantifier cela à ce stade et espérons que toutes les mesures prises par les gouvernements respectifs permettront de réduire ce risque.

Conformément à nos principes de prudence, nous avons tenu compte de ces incertitudes dans les comptes que nous avons publiés au titre du premier trimestre 2020, dont l'essentiel s'est pourtant déroulé dans un environnement non touché par la pandémie. Nous avons ainsi prévu des provisions supplémentaires pour nous préparer à cette dégradation éventuelle du risque. Le PNB consolidé du groupe s'est élevé à 6 milliards de DH, en hausse de 1,5% et le résultat net part du groupe s'est inscrit en retrait de 23,8% à 1,1 milliards de DH.

En tant que groupe bancaire panafricain, quels sont les défis auxquels le groupe est confronté dans la gestion de cette crise à l'échelle continentale ? Attijariwafa bank participe-t-il dans tous ses pays d'implantations aux plans de riposte ?

En tant que groupe panafricain, souvent leader dans ses différents marchés de présence, nous participons pleinement aux plans de riposte nationaux, qui sont très similaires au plan marocain. Nous contribuons financièrement aux fonds de solidarité dédiés à la lutte contre la pandémie et mis en place par les pouvoirs publics dans les différents pays de présence. Nous soutenons les infrastructures sanitaires à travers l'acquisition de respirateurs et menons des actions à caractère social pour venir en aide à des populations démunies qui subissent les effets des restrictions d'exercice ou de déplacement, à travers d'importantes subventions aux associations ou la contribution au financement de banques alimentaires. Nous avons également, dans certains pays, mis en place des offres spéciales à destination du corps médical et de leurs familles.

Nous contribuons aussi en tant qu'entreprise citoyenne à lutter le plus efficacement possible contre la propagation du virus et à protéger nos clients, nos collaborateurs et nos fournisseurs. Forts de l'expérience au Maroc, qui a très tôt pris des mesures très fortes, grâce à la clairvoyance de notre Souverain, nous avons déployé les meilleures pratiques dans la prévention et la gestion de cas d'infection dans nos agences ou sièges : installation de désinfectants dans toutes les agences, nettoyage et assainissement des locaux trois fois par jour, distribution de masques et gants. Cette gestion proactive a été saluée par différentes autorités nationales et par les médias.

Enfin, « last but not least », nos clients sont au cœur de nos préoccupations. Nous entrons à leurs côtés dans une phase inconnue avec un ralentissement simultané et global de l'offre et de la demande. Dans ces moments, il est très important pour nous de rester encore plus proches d'eux et d'analyser avec eux toutes les informations qui peuvent affecter leurs entreprises et leur environnement. Ces informations ne sont pas toutes négatives : de nouvelles opportunités naîtront pour l'Afrique. Il s'agit pour nous et nos clients de savoir les identifier et les saisir. Depuis le début de la crise, nos conseillers ont donc intensifié leurs contacts avec les clients, au téléphone ou à travers des visio-conférences, mais aussi en s'appuyant sur des canaux innovants comme le guichet digital déployé en Tunisie ou l'application de messagerie Whatsapp en Egypte.

Depuis le début de la pandémie, les banques à travers le Continent, sous les conseils des banques centrales encouragent l'utilisation des solutions digitales. Cette crise ne servirait-elle pas finalement de tremplin pour une plus grande digitalisation de la banque ?

Notre transformation digitale ne date pas d'hier. Elle est déployée méthodiquement depuis 15 ans et nous a permis d'avoir l'offre digitale la plus aboutie du marché et la plus reconnue par nos clients, comme en attestent par exemple le nombre de téléchargements et les ratings de nos app mobiles dans les stores.

Afin de faciliter l'adoption de nos services digitaux par les clients les moins habitués aux nouvelles technologies, plusieurs de nos filiales ont rendu l'abonnement à nos solutions de Banque Digitale gratuit pour la période de pandémie à tout nouvel abonné afin de l'encourager à les essayer. Nous avons ainsi pu vérifier la validité du slogan : « l'essayer c'est l'adopter ! ». Cette crise a donc fortement accéléré l'adoption des canaux électroniques et leur usage.

Elle a aussi accéléré la digitalisation de certains processus externes (comme la transmissions d'ordres de virement de masse par nos clients entreprises dans les pays où nous ne l'offrions pas encore) ou internes (donc que les clients ne voyaient pas). Cela aura des répercussions positives sur la qualité des services que nous offrons et sur l'intensification de nos échanges à plus forte valeur ajoutée avec nos clients.

Enfin, elle a permis d'assouplir, au moins de manière temporaire, quelques décisions réglementaires, nous permettant ainsi de simplifier certains processus qui exigeaient des interactions physiques avec nos clients. A travers cette expérience à grande échelle, nos régulateurs pourront juger des bénéfices et des risques associés à l'assouplissement de ces conditions. Nous pourrons, de notre côté, mesurer la réaction des clients à certaines innovations afin d'enrichir la palette de services que nous offrons à distance.

A quoi devrait s'attendre le secteur bancaire d'Afrique francophone dans les prochaines semaines/mois, à votre avis ?

Comme partout ailleurs, le secteur bancaire va d'abord se consacrer au redémarrage des activités de ses clients. En effet, même si le confinement a été mis en œuvre de manière différente dans chaque pays, toutes les économies où nous opérons ont subi un ralentissement significatif au cours des trois derniers mois, et les entreprises doivent reprendre progressivement leur travail en tenant compte des restrictions sanitaires et de modifications importantes dans leurs environnements respectifs.

Il devra aussi s'adapter lui-même à ce nouvel environnement, notamment en revoyant ses priorités d'investissement, en accélérant le déploiement de ses offres digitales et en adaptant ses méthodes de travail pour protéger ses collaborateurs et ses clients d'un virus dont on ne viendra à bout sans doute qu'avec la généralisation d'un vaccin qui reste à découvrir.

C'est une phase délicate et incertaine, mais les mesures énergiques prises par les différents gouvernements, et la mobilisation de tous les intervenants, dont les banques, permettront de transformer tous ces défis en opportunités et de reprendre au plus vite le chemin du développement inclusif.

Article mis à jour le 28.05.2020 à 10:22.

Ristel Tchounand

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