CEMAC : les banques (souvent) « en infraction » avec la règle prudentielle liée aux bénéficiaires de crédits

Les banques en zone CEMAC présentent certes des progrès en matière de normes prudentielles. Mais quand il s’agit de diversifier leurs portefeuilles de crédits, de nombreux établissements piétinent. La crise économique liée au COVID-19 pourrait les mettre sous pression.
Ristel Tchounand
Libreville, capitale du Gabon.
Libreville, capitale du Gabon. (Crédits : DR)

A première vue, tout semble aller pour le mieux pour le secteur bancaire de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC) : un total bilan en hausse en glissement annuel de 5,3% à 12 363 milliards de Fcfa à fin 2019, un bond de 4,8 % à 10 357 milliards de Fcfa (17 milliards de dollars) des dépôts de la clientèle (ressources à vue, entreprises publiques, secteur privé)..., selon le nouveau rapport de la Banque des Etats de l'Afrique centrale (BEAC). En termes de conformité aux normes prudentielles telles qu'édictées par la Commission bancaire de l'Afrique Centrale (COBAC), les banques progressent avec une quasi-unanimité sur la liquidité. Cependant, « la norme relative à la limitation des risques encourus sur un même bénéficiaire constitue celle à l'égard de laquelle on observe le plus grand nombre de banques en infraction ». Ce constat, la BEAC l'observe au moins sur les trois dernières années.

33% à 43% des banques « en infraction »

Le système bancaire de la CEMAC compte, au 31 décembre 2019, 55 banques en activités dont 16 au Cameroun, 11 au Congo Brazzaville, 10 au Gabon, 9 au Tchad, 5 en Guinée équatoriale et 4 en République centrafricaine. L'analyse de la BEAC (portant régulièrement sur un effectif différent) montre que sur les trois dernières années, 33% à 43% des banques opérantes dans la région n'ont pas respecté la norme prudentielle « relative à la limitation des risques encourus sur un même bénéficiaire ». En d'autres termes, ces établissements disposent de portefeuilles crédits peu diversifiés. Lors d'une intervention en 2017, le gouverneur de la BEAC, Abbas Tolli Mahamat déplorait cette tendance des banques « à se surexposer espérant ainsi satisfaire des objectifs de rentabilité ».

Selon les analystes, la concentration des portefeuilles de crédits des banques de la CEMAC pourrait notamment s'expliquer par l'étroitesse de l'économie formelle dans la zone. « Les difficultés qu'ont eues les banques pour recouvrir les prêts au secteur informel ont fait que de nombreuses banques n'osent plus tellement prêter à cette catégorie de clients », analyse pour La Tribune Afrique un expert financier de la région, citant le cas du Gabon où une vingtaine d'entreprises constituent 80% du PIB : « si une seule banque atteint le ratio maximum de prêts au même bénéficiaire, cela devient dangereux. C'est la raison pour laquelle pour les gros prêts à un même bénéficiaire, les banques se mettent souvent à trois ou quatre pour limiter le risque », explique-t-il.

Un risque qui expose les déposants

Mais l'expert est formel : « C'est grave de ne pas respecter cette norme, parce que cela veut dire que la banque met en danger l'ensemble des autres déposants ». Ce qui rend encore la chose plus flagrante selon ce professionnel de la banque, c'est le fait qu'« il existe beaucoup de techniques pour avoir des effets de levier sur ce ratio ». Techniquement donc, certaines banques arrivent à trouver une parade pour s'en sortir. Mais jusqu'à quand ? En réalité, tant que les bénéficiaires de ces « crédits concentrés » sont solvables, la banque ne s'inquiète pas. Mais qu'arriverait-il si ces clients perdaient du jour au lendemain leurs capacités?

Ailleurs, en République démocratique du Congo (RDC) en l'occurrence, la concentration pendant de longues années du portefeuille de la BIAC (sur l'Etat et une poignée d'entreprises) entre autres, l'a conduite à la faillite, faisant voler en éclat l'argent de 400 000 déposants.

Quel impact de la pandémie de COVID-19 ?

Même si le rapport de la BEAC fait état d'une augmentation des dépôts de la clientèle des banques de la CEMAC, le document ressort également que les banques disposent de créances en souffrances qu'elles n'arrivent à couvrir qu'à 55,8%, affichant des besoins de provisions complémentaires qui ont augmenté de 33% à 40 milliards de Fcfa en un an. De plus, 22 banques sur 48 au 31 décembre 2019, selon le rapport, ne disposent pas de fonds propres nets suffisants pour honorer l'ensemble des normes prudentielles assises sur cet agrégat.

En pleine crise économique liée au coronavirus où, comme partout en Afrique, les banques sont toutes contraintes de se mobiliser en partenaire de l'Etat et notamment appliquer des mesures telles que les moratoires et restructurations de crédits, la situation peut s'avérer plus tendue pour certains établissements. Et ce, en dépit des dispositions prises par la BEAC, notamment pour leur fournir de la liquidité. Entre les lignes du rapport de la Banque centrale qui se penche également sur les effets potentiels de la crise sur les économies de la région, on peut lire de la préoccupation. Concordant avec les pronostics des instances internationales, la BEAC s'attend à une récession économique en 2020 en zone CEMAC. Tous scénarios confondus (modéré et pessimiste), même le ténor économique de la région, le Cameroun, n'échapperait pas à une croissance négative, quand la Guinée équatoriale en paierait le plus lourd tribut. D'une façon ou d'une autre, la pression sur les banques pourrait être réelle.

Ristel Tchounand

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