Corruption : en RDC, l’Association des banques pourra bientôt « exclure » certains de ses membres

L’enquête autour du programme des 100 jours du président Félix Tshisekedi a ouvert la boite de Pandore de la corruption en RD Congo. Coûtant son poste à un patron de banque, cette affaire relance le débat autour de l’éthique des banques, historiquement mêlées aux faits de corruption dans le plus grand pays francophone au monde. En coulisse, l’Association congolaise des banques (ACB) prépare depuis peu le changement de ses statuts, afin de pouvoir « sanctionner » et « exclure » les membres dont l’irrégularité peut affecter l’image internationale du secteur.
Ristel Tchounand
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC).
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC). (Crédits : DR)

Placer sous discipline ou tout simplement rayer de sa liste les banques à l'éthique douteuse, mêlée à des affaires de corruption. C'est l'orientation qu'entend prendre l'Association congolaise des banques (ACB) dont les statuts actuels ne lui permettent pas de prendre des mesures contre les établissements qui rouspètent la déontologie du métier.

« Telle que conçue actuellement, l'ACB n'est pas une association contraignante. Nous sommes en train de changer nos statuts. Nous devons convoquer une assemblée générale extraordinaire qui va modifier l'organisation de l'association congolaise des banques en une association contraignante, c'est-à-dire que nous pourrons sanctionner nos membres et même les exclure », révèle à La Tribune Afrique Yves Cuypers, président de l'ACB.

En RDC, l'enquête pour corruption autour du programme d'urgence des 100 jours du président Félix Tshisekedi font l'actualité avec notamment la détention provisoire de plusieurs personnalités dont le directeur de cabinet du président Vital Kamerhe, l'avis de recherche de son neveu ou l'audition vendredi 10 avril de ministres et du gouverneur de la Banque centrale du Congo, Deogratias Mutombo.

Un patron de banque déjà évincé

L'enquête en cours a coûté son poste à Thierry Taeymans, ancien directeur général de la Rawbank, première banque du pays. Il a été libéré après une semaine de détention provisoire et aurait consenti à « rembourser 37 millions de dollars » au Trésor public en cas de non achèvement des travaux liés au marché remporté par son client dans le cadre du programme des 100 jours, selon la presse locale qui cite des sources judiciaires. Cependant, Taeymans était à nouveau entendu vendredi, de même que Patricia Kabasele de la Rawbank.

L'histoire accumule les faits

Détournement de deniers publics, blanchiment des capitaux, trafic d'influence,... certaines banques reviennent souvent dans les affaires liées à la corruption en RDC. Il y a quelques années, les scandales financiers qui impliquent Francis Selemani Mtwale, proche de Joseph Kabila et alors patron de la filiale congolaise de BGFI Bank provoque son éloignement. Le rapport d'une ONG à l'époque le donne pour principal maillon dans un présumé projet de prise de contrôle de plusieurs banques par le clan Kabila.

Lire aussi : Crise BIAC : « Une affaire de politique et d'ego »

Si Henry Claude Oyima, PDG du groupe bancaire gabonais démentait à Jeune Afrique, tout lien entre les affaires louches congolaises et l'éloignement du « frère » de Kabila, l'opinion n'oublie cependant pas qu'en 2016, Jean-Jacques Lumumba, petit-fils du héros de l'indépendance, claque la porte de BGFI Bank RDC où il est cadre, après avoir refusé de « fermer les yeux » sur des opérations douteuses mêlant le clan Kabila. Révolté, il devient un lanceur d'alerte et un activiste de lutte anti-corruption en RD Congo. Actuellement, plusieurs autres affaires dont celles mêlant notamment Albert Yuma de la Gecamines ou encore le sulfureux minier israélien Dan Gertler, refont surface.

Tous ces faits ont sérieusement entaché la réputation internationale des banques congolaises. A un moment donné, certaines banques étrangères refusaient même de réaliser des opérations en dollars sur la RDC. L'été dernier, les départements d'Etat et Trésor américains ont réclamé aux banques la mise en place de « dispositifs de sanctions efficaces contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et contre la corruption ».

Lire aussi : Banques : les géants américains en Afrique plus risquophobes qu'on ne l'imaginait ? (2/2)

Projet « freiné» par le COVID-19

L'ACB avait dans un premier temps appelé les banques à renforcer leur dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux ainsi que leur suivi des comptes de personnalités politiques. Ainsi, depuis quelques mois, l'association prépare le changement de ses statuts pour devenir une association contraignante, un élan freiné par la pandémie, selon son président. « L'assemblée que nous aurions dû avoir il y a quelques semaines ne n'est pas encore tenue pour cause de force majeure, en raison du COVID-19 », déclare Yves Cuypers, soulignant que cela reste une priorité pour l'ACB.

La RDC se classe 168e dans l'indice 2020 de perception de la corruption de Transparency International. Alors que les Congolais assistent à une démarche inédite d'audition, d'interpellation et de détention de hautes personnalités, les appels se multiplient pour que la justice aille jusqu'au bout. Lundi sur Twitter, le député et ex-gouverneur du Kasaï, Claudel Lubaya a estimé que sans une enquête approfondie sur le rôle de la Rawbank dans l'affaire des 100 jours, l'image de l'ensemble du secteur bancaire en serait négativement impactée.

Une source dans le milieu financier pense que les autorités sont contraintes à poursuivre leur action, pour ne pas perdre en crédibilité. « A partir du moment où on tire le bouchon d'une bouteille comme celle-là, difficile de faire marche arrière. Je ne pense pas qu'ils reculeront, parce que les magistrats ont commencé à faire activement la traque de cet argent [débloqué pour le programme des 100 jours, ndlr] », nous explique-t-elle. A suivre !

Ristel Tchounand

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