La BADEA lance sa « Stratégie 2030 » et renforce son engagement dans le secteur privé

Sidi Ould Tah, directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, revient dans cet entretien sur la nouvelle orientation de cette banque qui fera désormais la part belle au secteur privé, à travers la « Stratégie 2030 » et confirme la participation prochaine de la BADEA à Smart Africa.
(Crédits : LTA)

La Tribune Afrique - Créée après le choc pétrolier, la BADEA a connu un certain nombre d'évolutions depuis 45 ans. Quel bilan en tirez-vous ?

Sidi Ould Tah - La BADEA est une initiative issue de la volonté 18 pays arabes, en partenariat avec plusieurs institutions financières arabes comprenant la Banque islamique de développement [BID, ndlr], le fonds saoudien, le fonds koweïtien de développement, le fonds d'Abu Dhabi et bien d'autres. En ressources propres, nous avions à l'origine, 6 milliards de dollars pour des projets dont la valeur globale a atteint 30 milliards de dollars. En moyenne, pour 1 dollar investi, nous arrivons à en lever 4. Historiquement, nous étions focalisés sur les infrastructures et nous avons mené plus de 200 projets routiers en Afrique.

Parmi nos principales réalisations, nous avons aussi accompagné les barrages de Mandini [Burkina Faso, ndlr], de Kandadji [Niger, ndlr] et de Taoussa [Mali, ndlr] ou le port de Cotonou qui a bénéficié de deux financements de la BADEA.

Nous avons aussi été parmi les bailleurs de l'aéroport d'Addis-Abeba qui est devenu un véritable hub [...] La BADEA a investi dans de nombreux projets d'électrification rurale et, au niveau social, nous avons contribué au financement d'hôpitaux au Sénégal, au Rwanda, au Burundi, mais aussi dans les universités [Ouaga 2, Bénin, Tchad, ndlr]. Au total, ce sont plus de 700 projets financés depuis la création de la BADEA.

Que recouvre votre nouvelle orientation, appelée « Stratégie 2030 » ?

Notre nouveau plan quinquennal sur la période 2020-2024 bénéficiera de 1 milliard de dollars par an dont un quart sera orienté vers le secteur public et le reste vers le privé et le commerce.

C'est un grand changement. Notre stratégie repose sur 4 axes principaux : le secteur privé et le commerce, les infrastructures, les PME, l'entrepreneuriat des femmes et des jeunes, et enfin le développement de la chaîne de valeur agricole, avec un axe transversal relatif au renforcement des capacités.

Nous avons retenu une forme circulaire, car ces axes sont inextricablement imbriqués les uns aux autres. On ne peut développer ni les PME, ni l'agriculture, ni le secteur privé sans infrastructures. De la même manière que les chaînes de valeur permettront le renforcement des PME qui faciliteront l'emploi des femmes et des jeunes, et ainsi de suite.

Quelles sont les actions engagées pour renforcer les capacités sur le continent ?

Dans le cadre de notre programme d'assistance technique, nous menons des actions de transfert de compétences et nous finançons des séminaires de formation. Nous travaillons avec l'Université de Cape Town (UCT) à laquelle nous avons confié une mission de formation destinée au renforcement des capacités pour les agences d'exécution de projets dans la zone SADEC (Communauté de développement d'Afrique australe). Nous avons des programmes de même nature avec l'Université Hassan II au Maroc, avec l'Agence de coopération technique en Tunisie, avec des centres de formation en Algérie et dans d'autres pays arabes.

De quelle manière soutenez-vous les PME et TPE subsahariennes ?

Concernant les PME, nous investirons a minima 10 millions de dollars, auxquels la BADEA ajoutera 10 millions de dollars en dons pour le renforcement des capacités dans le cadre du programme d'appui à l'inclusion financière des PME.

Nous voulons servir les entreprises dont les besoins dépassent ceux de la micro-finance mais qui restent en deçà de ce qui peut intéresser les banques commerciales. Nous devrions recevoir l'agrément et avoir rempli toutes les formalités d'ici le 31 décembre pour commencer à mettre en place cette initiative au Rwanda dès le 1er janvier 2020, où nous avons décelé une grande capacité d'absorption et une certaine rapidité au niveau des procédures.

Pourquoi réorienter maintenant votre stratégie autour du secteur privé ?

Cette stratégie a été établie à travers une approche participative. Nous avons fait appel à plusieurs consultants pour élaborer des documents stratégiques sur la situation en Afrique, sur les relations arabo-africaines et entre l'Afrique et le reste du monde.

Plusieurs consultations ont été organisées en amont, avec d'éminentes personnalités, des membres de gouvernements africains et avec nos principaux partenaires financiers. Cela nous a permis d'obtenir une photographie assez précise de la situation et de ce qu'attendent les Africains aujourd'hui. Nous avons pris en compte l'Agenda 2063 de l'Union africaine, les objectifs de développement durable des Nations unies et les différentes stratégies nationales. De fait, nous avons constaté une forte demande autour du financement du secteur privé au niveau des gouvernements qui ne veulent ou ne peuvent plus s'endetter pour financer des infrastructures.

Est-ce le résultat du glissement de certains secteurs-clés qui relèvent désormais des acteurs privés ?

Effectivement, au niveau des énergies par exemple, le secteur est appelé à être entre les mains du secteur privé à travers les producteurs indépendants. C'est le cas aussi au niveau des concessions portuaires ou des télécommunications. Aujourd'hui, près de 80 % de l'activité économique repose sur les PME, PMI et TPE. Il faut donc fortifier ce tissu économique. Ensuite, il existe une volonté politique affichée des gouvernements africains de développer les échanges continentaux à travers la Zleca [zone de libre-échange continentale, ndlr] et de transformer les produits africains sur le continent, pour créer plus d'emplois et davantage de valeur ajoutée. L'Afrique ne veut plus seulement être un exportateur de matières premières et un importateur de produits finis.

Quel regard portez-vous sur la surestimation des risques qui freinent encore les investissements en Afrique ?

Le risque est une question de perception. C'est pourquoi nous disposons de notre propre système de notation. Un Etat peut être noté par des agences de notation internationale telles que Moody's, Fitch ou Standard & Poor's, comme un pays à haut risque sans l'être pour nous, s'il ne nous a jamais fait défaut. Notre appréciation du risque est totalement différente de celle de certains acteurs internationaux, car elle est basée sur une longue histoire de coopération. Certains pays très mal notés ou pas notés du tout peuvent donc être très solvables au regard de la BADEA.

Pensez-vous que l'ouverture au commerce de la Zleca sera possible dès juillet 2020 ?

Je ne me prononcerai pas sur les échéances, mais la volonté politique de faire avancer la Zleca est affirmée. Celle-ci n'est par ailleurs pas seulement une question de politique commerciale, de barrières douanières et de barrières non tarifaires, mais elle est, selon notre perspective, un élément intégrateur. Il faudra un ensemble d'interventions sous la forme d'investissements à plusieurs niveaux : dans les infrastructures d'abord parce que pour circuler, il faut bien des routes, des ports, des aéroports et des chemins de fer. Ensuite, il faut développer les réseaux de fibre optique pour que les télécommunications soient beaucoup plus fluides et que les transferts des données soient facilités. Nous y travaillons avec plusieurs partenaires sur l'Arab Africa Trade Bridge [AATB, ndlr]. Par ailleurs, notre soutien prend en considération tous les goulots d'étranglement qui freinent les échanges de produits de pays à pays.

Comment prévenir les risques d'échecs de partenariats publics privés (PPP) dont certains exemples retentissants ont impacté le continent ?

Nous tenons beaucoup à la transparence dans le processus même de sélection des PPP. Dans le cadre de notre programme d'assistance technique, nous avons la possibilité de venir en aide aux pays dans le recrutement de consultants indépendants, de juristes, de financiers, pour les aider à mener les négociations et à défendre leurs intérêts, y compris dans le cadre de PPP.

Quelle est la prochaine étape-clé, inscrite à l'Agenda de la BADEA ?

Nous sommes résolument engagés dans la connectivité de l'Afrique, qui est une question primordiale pour la réussite de l'intégration africaine, mais aussi pour la mise en œuvre de la Zleca. Nous avons exprimé le souhait de rejoindre Smart Africa. Le processus est très avancé. Nous avons participé à la dernière réunion du Conseil des ministres concernant Smart Africa, qui s'est tenue à Conakry. A cette occasion, nous avons officiellement annoncé notre intention de participer au projet de la connectivité africaine. Notre offre a été bien reçue. Nous allons donc travailler avec les autres institutions financières, dont la BAD pour développer cette initiative et éventuellement la financer.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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