Comment le marocain BCP s’est offert la BIA Niger pour devenir le leader du marché local

Le groupe bancaire marocain BCP a enfin finalisé le processus de rachat de la BIA-Niger, deuxième établissement bancaire du pays. A travers cette opération annoncée depuis plusieurs années, le deuxième groupe bancaire qui dispose déjà d’une filiale dans le pays, la Banque atlantique, s’érige en leader sur le marché nigérien. Avec l’arrivée d’un nouvel actionnaire stratégique, l’Etat se désengage de la BIA qui connaît ces dernières années de grandes difficultés financières, mais aussi de gouvernance. «La Tribune Afrique» vous dévoile, en exclusivité, les coulisses de ce long feuilleton qui a connu plusieurs rebondissements, ainsi que les acteurs clés du processus.
Poignée de main symbolique entre Mohamed Benchaaboun, PDG du Groupe marocain BCP, et Muhamadu Issoufou, président du Niger, scellant la transaction autour de BIA-Niger.

La BIA Niger est enfin, et cette fois pour de bon, dans le giron de la Banque Centrale Populaire (BCP). En novembre dernier, La Tribune Afrique révélait en exclusivité cette transaction, qui marque la fin d'un long feuilleton qui été rythmé par de multiples rebondissements et qui vient de connaitre son épilogue. Le groupe bancaire marocain a en effet annoncé ce mardi 11 juillet la finalisation de la prise de contrôle de la Banque Internationale pour l'Afrique au Niger (BIA-Niger), la deuxième institution bancaire du pays.

C'est à travers sa filiale africaine Atlantic Business International (ABI), que la BCP a conclut l'opération de rachat et qui s'est soldée par la signature, au cours d'une cérémonie qui s'est tenue en grande pompe le  jour même à Niamey,  d'une convention entre l'Etat nigérien représenté par son ministre des finances Hassoumi Massaoudou et le groupe BCP représenté par son président Mohamed Benchaaboun. Le ministre délégué au budget Ahmat Jidoud qui a pris part aux dernières négociations entre les deux parties ainsi que Kamal Mokdad, le nouveau directeur général en charge de l'international de la banque marocaine dont c'est l'une des premières grosses opérations depuis qu'il a rejoint la BCP, en dernier, étaient également présent à la cérémonie. L'une des preuves de l'importance de cette prise pour la BCP, c'est la présence aussi dans la capitale nigérienne de Mohamed Karim Mounir, le directeur général de la BCP et Habib Koné, celui d'ABI.

Selon les détails communiqués par la BCP à l'issue de la cérémonie, « la structuration retenue consiste en l'acquisition de la participation de l'Etat, combinée à une augmentation du capital à même de renforcer significativement les fonds propres de la banque ». Deux opérations qui permettent ainsi au groupe marocain de détenir désormais 69,51% du capital et des droits de vote de BIA-Niger alors que dans un premier temps, un scénario en deux étapes a été envisagé.

Un deal à plusieurs milliards de FCFA

Le montant total des deux opérations n'a pas été divulgué mais selon le ministre de l'Economie et des finances Hassoumi Massaoudou, en plus de l'achat des parts que détient l'Etat du Niger dans le tour de table de la banque, la BCP va injecter de nouvelles liquidités permettant de rehausser le capital de BIA-Niger pour un montant estimé à près de 19 milliards de FCFA. « Face à l'impérieuse nécessité de sauvegarder une fois de plus la BIA-Niger, de stabiliser le secteur financier national et de préserver des centaine d'emplois et des ménages nigériens, le gouvernement s'est évertué depuis 2012 à  identifier un repreneur stratégique doté de compétences et de ressources nécessaires pour donner une nouvelle impulsion à la Banque » s'est par ailleurs réjoui le ministre Massaoudou, laissant ainsi transparaître le ouf de soulagement  pour le gouvernement nigérien qui vient par cette opération de se débarrasser d'un vrai boulet!

Pour ce qui est du rachat des parts de l'Etat et des autres actionnaires minoritaires qui quittent le navire, il faut se référer à quelques détails donnés par le PDG de la BCP en septembre 2015 alors que la première tentative de rachat était en cours. Mohamed Benchaâboun avait alors laissé entendre que l'opération allait nécessiter une enveloppe estimée entre 230 à 240 MDH (autour de 20 millions d'euros soit entre 13 et 15 milliards FCFA) dont 100 MDH soit dans quelques 5 milliards DH pour le rachat des parts de l'Etat nigérien. Si depuis cette date la situation financière de la banque, en 2012, le Niger a dû débourser quelques 4,5 milliards FCFA pour reprendre à Coris Bank international les 35% qu'il cède aujourd'hui à la BCP.

Ainsi, comme nous le rapportions il y a quelques mois, en plus des 35% des parts que détenait l'Etat dans le capital de la BIA depuis 2012 et le départ précipité de Coris Bank International, la BCP va se porter acquéreur des parts que détiennent certains acteurs minoritaires dont certains ont été presque poussés à la porte par les autorités nigériennes ou ont vu la valeur de leurs parts s'effriter en compensation aux créances qu'ils détenaient auprès de la banque.

Alors que le processus piétinait depuis des années à cause notamment à la réticence de certains actionnaires tel l'homme d'affaire nigéro-nigérian Tahirou Mangal, le gouvernement nigérien ne faisait plus mystère de son impatience à finaliser l'opération. A plusieurs reprises d'ailleurs, la conclusion de la transaction a été annoncée avant que le processus ne soit suspendu, comme c'était le cas en novembre 2015 avec déjà la signature d'une convention entre l'Etat du Niger et la BCP et qui a été par la suite entérinée au niveau des instances sous-régionales de l'UEMOA.

Les réunions statutaires, conseil d'administration et Assemblée générale, qui devaient valider l'opération ont été à plusieurs reprises boycottés par certains actionnaires réticents. C'est le cas du businessman Tahirou Mangal, actionnaire un temps à hauteur de 25% de la BIA a ainsi beaucoup hésité à vendre même une partie de ses parts, alors qu'il est aussi l'un des plus importants créanciers de la Banque. Disparu des radars depuis quelque temps, certaines informations le localisent en Afrique du Sud où dans un pays du Golfe, Tahiru Mangal qui est également actif dans le secteur nigérien de transport d'hydrocarbures mais aussi de pèlerins avec sa compagnie Max Air, connait des soucis depuis l'arrivée de Muhammadu Buhari à la tête du Nigeria.

Il serait impliqué selon plusieurs médias nigériens et nigérians dans certaines affaires louches sur lesquelles Buhari veut faire la lumière dans le cadre de son opération de lutte contre la corruption. Mangal, qui bénéficie d'un solide réseau au Niger notamment au sein du pouvoir de Niamey, a pu jusque-là se mettre à l'abri en se faisant rare, ce qui n'a pas manqué d'impacter ses activités et par conséquent le pousser enfin à lâcher prise dans le dossier BIA.

L'opération d'augmentation de capital devrait quand à elle permettre d'apporter de l'argent frais pour permettre à la BIA-Niger, engluée depuis quelques années dans des difficultés financières et des problèmes de gestion, d'apurer son lourd passif. Et surtout repartir sur de nouvelles bases.

« En rejoignant le Groupe BCP, BIA-Niger bénéficiera de l'expertise et de l'appui d'un actionnaire de référence qui lui permettra également d'accélérer son agenda stratégique », n'a d'ailleurs pas manqué de souligner le groupe marocain dans son communiqué.

Prochaine étape, une filiale locale dédiée à la micro-finance

Selon nos informations, le deal entre la BCP et l'Etat du Niger a été acté depuis une semaine et en marge de la cérémonie de signature de la convention, la délégation marocaine a été reçue par le président de la république Issoufou Mahamadou avec qui elle a échangé sur les ambitions du groupe BCP au Niger à travers cette acquisition.

« Nous avons évidemment parlé de l'apport dont le groupe banque centrale du Maroc va faire bénéficier à la Banque Atlantique du Niger et la BIA pour contribuer à permettre à cette banque d'avoir la place qu'elle mérite sur le marché, lui apporter aussi l'expertise technique ainsi que l'appui pour pouvoir développer de nouvelles offres autour de la micro finance de la banque de détail mais également contribuer au financement des projets stratégiques pour le pays dans le domaines des infrastructures et de l'énergie notamment », a expliqué à la presse à la sortie de l'audience le président de la BCP, Mohamed Benchaaboun.

« Nous avons également parlé de la possibilité d'introduire une nouvelle filiale dans la micro finance pour inclure socialement et financièrement les populations, mais également, de la possibilité d'introduire la banque participative qui pourrait permettre d'adresser une frange particulière de la population et augmenter le taux de bancarisation du pays qui est autour de 5% ». Mohamed Benchaaboun, PDG du groupe BCP.

PRNBCP

Mohamed Benchaaboun, PDG de BCP en entretien avec Mahamadou Issoufou, le Président du Niger

BCP, nouveau leader du marché bancaire nigérien

A travers cette nouvelle acquisition, la banque marocaine s'érige en leader du marché bancaire nigérien, une première pour le groupe dans la sous région. La BCP est en effet déjà présente au Niger à travers la Banque Atlantique Niger, la filiale locale du holding ABI et qui détient près de 10% du marché nigérien.

A travers cette opération, la BCP consolide également son offensive africaine, cinq ans après son arrivée simultanée dans six pays de l'UEMOA à travers la prise de contrôle de ABI et son réseau bancaire sous la marque Banque Atlantique. Ce qui pour la BCP, « confirme la détermination du groupe, en tant qu'acteur régional de premier plan, à contribuer plus activement au développement socio-économique du continent, notamment en favorisant la bancarisation et l'accès aux services financiers à toutes les catégories sociales ».

Il reste à régler les dernières modalités statutaires pour que la BCP affine sa stratégie non seulement pour la restructuration de la BIA Niger mais également pour le développement du groupe sur le marché local avec désormais à son actif, deux filiales opérant sous deux marques distinctes.

La Banque atlantique du Niger (BANE), première filiale de BCP au Niger qui contrôle son capital à hauteur de 78% des parts détenus par ABI, a vu le jour en avril 2005 et a démarré ses activités en février 2016. Avec son réseau de 15 agences répartis sur l'ensemble du territoire nigérien en plus de son siège de Niamey, elle se classe au terme de l'exercice 2013, à la 5e place selon la taille du bilan et le volume des dépôts et 4e selon le volume des crédits. La BIA, la nouvelle filiale nigérienne de la BCP, est l'une des premières banques nigériennes et est passé depuis sa création en 1980 sous le contrôle de plusieurs groupes internationaux dont entre autres l'ex-Meridien International Bank Limited, la défunte Belgolaise, BNP Paribas Fortis et Coris Bank International, le dernier actionnaire de référence en date.

Depuis 2012, année où l'Etat nigérien a pris le contrôle de la banque à travers la participation de la société publique des produits pétroliers (SONIDEP), plusieurs repreneurs stratégiques notamment africains se sont d'ailleurs intéressés à la BIA, le marocain Attijariwafa Bank et le camerounais Afriland First Group, mais les casseroles que traîne la banque, avec l'augmentation substantielle d'année en année de créances en souffrances ainsi que de profondes divergences au sein du management et même au niveau des actionnaires locaux, ont fini de les échauder.

A plusieurs reprises, le processus de reprise par la BCP a faillit d'ailleurs capoter même si les deux parties n'ont jamais coupé les négociations. La dernière ligne droite a été amorcée en novembre dernier lorsqu'une délégation nigérienne conduite par le ministre Ahmed Jidoud à Casablanca pour reprendre langue avec les marocains.

Avec l'arrivée en octobre dernier du ministre des Finances Hassoumi Massaoudou, un proche du président Issoufou, le processus s'est accéléré surtout que même le syndicat des agents de la banque est monté au créneau pour mettre la pression sur les autorités nigériennes afin de finaliser l'opération. Les travailleurs de la banque avaient un temps cru que l'opération allait capoter en raison de la suspension du processus de rachat alors que la BIA se trouvait dans une zone de turbulences amplifiées par des tensions au niveau de sa direction générale, lesquels se sont exacerbées avec l'arrivée de Diori Safiatou Boulama la directrice générale qui a succédé à Ouhoumouhou Mahamadou, une ancienne pourtant de la maison.

Il a fallut que le ministre Hassoumi Massaoudou rassure que l'opération sera menée à son terme et au terme du processus, la BCP a décidé que « l'ensemble des emplois et acquis sociaux seront préservés ». C'est peut-être une coïncidence, mais le renvoi de l'ascenseur des marocains aux agents nigériens n'est pas passé inaperçue à travers cette précision

A titre de rappel, c'est la tension qui prévalait au niveau du management de l'établissement notamment la fronde de certains actionnaires et hauts cadres nigériens de la banque contre l'ancien directeur Thierno Seydou Nourou Sy qui a précipité son départ du Niger dans des conditions assez rocambolesques et en même temps d'ailleurs que de Coris Bank International, quasiment deux ans après son arrivée sur le marché nigérien. L'expérience a laissé un mauvais souvenir pour le groupe privé burkinabé lequel privilégie désormais des nouvelles implantations plutôt que des acquisitions dans le cadre de sa stratégie africaine.

Une affaire potentiellement explosive

La BCP réalise à priori un joli coup qui lui permettra de gravir les marches pour accéder à la première place du marché nigérien, détrônant ainsi la Société nigérienne de banque (SONIBANK) à capitaux tunisiens et coiffant au poteau au passage ses consœurs marocaines que sont le groupe BMCE Bank of Africa et Attijariwafa bank présentes sur le marché local à travers leurs filiales respectives BOA Niger et CBAO Niger. Le marché nigérien est partagé par une dizaine d'établissements bancaires pour l'essentiel portés par des groupes régionaux ou panafricains...

Le plus difficile reste pourtant à venir pour la BCP et sa filiale africaine ABI car l'affaire peut se révéler potentiellement explosive. En plus de sa mauvaise santé financière et ses problèmes de management, des audits lancés dernièrement ont aboutis d'après des informations exclusives que détient La Tribune Afrique, à des dossiers de mauvaise gestion et de malversations impliquant des responsables du groupe. Des dossiers qui pourraient aboutir à des poursuites judiciaires tant le préjudice pour la banque est consistant.

Il est  vrai que dès le départ, la BCP était au courant de la mauvaise situation de la BIA mais a décidé de prendre le risque avec la convention signé en novembre 2015. Dans un premier temps, le rachat de la banque devrait se faire en deux temps avec une première phase qui devrait consister en l'acquisition des 35% des parts de l'Etat et de certains actionnaires privés nigériens et par la suite une augmentation du capital.

Flairant certainement un bon coup, la BCP s'est montrée particulièrement patiente sur ce dossier qui traînait depuis des années et qui reboutait plus d'un repreneur. Fort heureusement pour la banque, les acteurs principaux du deal, coté nigérien, se sont montrés assez fermes surtout qu'ils connaissaient le dossier en profondeur même si l'opération a été gérée par trois ministres des finances successifs qui, divine coïncidence, ont tous été à la tête du cabinet du président Issoufou Mahamadou, le président en exercice du Niger depuis 2011.

Ouhoumoudou Mahamadou, l'actuel ministre directeur de cabinet à la présidence du Niger n'est en effet autre que l'ancien ministre des finances qui a pris la tète de la BIA après sa reprise par l'Etat en 2012. C'est lui qui a entamé les négociations avec les marocains avant de prendre la direction du cabinet du président à la place de Saidou Sidibé, qui lui, est revenu aux finances où il a continué à mener les négociations avant d'être nommé, en septembre 2016, à la tête de la Cour des comptes du Niger.

Et pour clore la boucle, Hassoumi Massaoudou qui vient de conclure l'affaire a été également à la tète du cabinet de Issoufou Mahamadou depuis 2011 avant de passer à l'Intérieur puis à la Défense et atterrir finalement au ministère des finances en octobre 2016. C'est certainement cette proximité entre les acteurs clés du processus, tous membres du même parti que le président de la République dont ils font également parti du premier cercle et depuis des décennies, qui expliquent que les engagements de la partie nigérienne à l'égard de la BCP ont été maintenus.

C'est aussi, leur influence politique qui a permis de conduire le processus à terme, d'autant que certains actionnaires privées locaux avaient usé de tous les artifices pour bloquer la vente de la BIA au marocain. Certains ont dû d'ailleurs être poussés par la porte ce qui permet à la BCP, déjà actionnaire principal, d'avoir les coudées assez franches pour engager la restructuration de la banque. C'est à tout point de vue une nécessité au vue de la situation de la BIA qui, une fois assainie, peut s'appuyer sur sa plus grande présence sur le marché et une certaine notoriété acquise au fil des années, pour porter la stratégie de la banque marocaine au Niger.

D'autant que le pays qui affiche l'un des taux de bancarisation les plus bas de la zone UEMOA, autour de 3 à 4% contre une moyenne régionale de 6 à 7%, offre de réelles marges d'expansion avec une économie de plus en plus dynamique portée notamment par un secteur privé embryonnaire mais en pleine croissance, une dynamique industrielle pour l'essentiel basée sur l'exploitation des ressources minières et aussi dernièrement, par le lancement de grands chantiers d'infrastructures.

Avec la finalisation de ce rachat, l'Etat nigérien se désengage donc de la BIA, une opération qui tombe fort opportunément en cette période de conjoncture particulièrement marquée par une pression sur les caisses du trésor.

Selon toujours nos sources, c'est le début d'un processus de désengagement de l'Etat de certaines banques du pays à capitaux publics comme la banque agricole (BAGRI) où la nouvelle banque en gestation, la banque de l'Habitat et qui attisent déjà la convoitise d'investisseurs... tunisiens.

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Commentaires 3
à écrit le 13/07/2017 à 18:47
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Article fort documenté à travers lequel le lecteur pourrait découvrir des non dits dans ce dossier. Le personnel de la BIA NIGER doit remercier l'actuel Ministre des Finances qui est resté intraitable devant les tentatives de certaines personnes à bl...

à écrit le 13/07/2017 à 17:00
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Ce n'est pas Mahamadou Issoufou qui est sur la première photo, mais Hassoumi Massaoudou, le ministre des finances. Merci de corriger la légende de la photo.

à écrit le 13/07/2017 à 11:34
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Fallait au moins gardé les 49% Du part..

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