Ambroise Fayolle – BEI « Nous allons beaucoup augmenter nos financements verts en Afrique »

Par Ristel Tchounand, envoyée spéciale à Abidjan  |   |  1961  mots
« Non, nous n’essayons pas de dicter le contenu du mix énergétique des pays africains. [...] Nous préférons nous concentrer sur le financement vert parce que c’est notre domaine d’expertise », déclare à LTA Ambroise Fayolle, Vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI). (Crédits : DR)
COP 27, stratégie africaine, politique de financement des énergies fossiles, … Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Ambroise Fayolle, Vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI) revient sur des sujets cruciaux liés à l’engagement sur le continent de la banque publique de l’Union européenne qui co-organisait avec la Banque africaine de développement (BAD), du 18 au 20 octobre à Abidjan, la troisième édition du Sommet Finance en Commun (FiCS). Interview.

LA TRIBUNE AFRIQUE - Pourquoi avoir choisi Abidjan pour cette troisième édition du FiCS -première en présentiel et que retenir de cette messe du financement par les banques publiques de développement ?

AMBROISE FAYOLLE, Vice-président de la BEI - Coorganiser ce sommet de toutes les banques publiques de développement du monde avec nos amis de la Banque africaine de développement nous a paru être une décision naturelle et importante. Le choix d'Abidjan l'a également été, déjà parce que la capitale ivoirienne abrite le siège de la BAD.

Nous avons créé ce sommet après avoir constaté que les grandes banques de développement se réunissaient entre elles, les banques bilatérales de développement ayant des actions à l'étranger se retrouvaient également, mais personne ne rencontrait les banques publiques de développement nationales. L'idée pour nous était de rassembler toutes les banques publiques de développement, au nombre de 520, avec 2 300 milliards de projets gérés. Ce sont des montants absolument considérables. Nous avons certes des mandats différents, mais nous partageons beaucoup de choses, notamment le fait que nos actionnaires sont publics. Nous avons donc une vision à long terme.

De cette troisième édition, je retiens la très forte sensibilité des institutions -qu'elles soient multilatérales,  bilatérales ou nationales- à la thématique de la transition climatique verte et juste qui constitue justement le thème qui nous a réunis.

Quels sont aujourd'hui les piliers de la stratégie de la BEI en Afrique ?

En Afrique, notre thématique générale depuis quelques années est celle de la transition climatique. Cela correspond à notre politique globale à savoir la transformation de la BEI en tant que Banque européenne du climat. Nous avons une feuille de route qui s'applique également à notre action en dehors d'Europe, donc en Afrique, qui fait que nous allons beaucoup augmenter les volumes de nos financements en faveur des projets qui permettent de mieux lutter contre les changements climatiques, tant dans le domaine des énergies renouvelables,  que celui de l'innovation, de l'efficacité énergétique ou de l'adaptation.

Cependant, nous n'allons pas faire que des projets climatiques. Nous avons une autre grande thématique en faveur de l'amélioration de la santé. En Afrique en particulier, nous soutenons fortement l'idée qu'il y ait des vaccins fabriqués sur le sol africain pour les Africains. Nous avons donc financé des projets très intéressants avec l'Institut Pasteur de Dakar au Sénégal ou au Rwanda ou en Afrique du Sud, afin de contribuer à favoriser cette production de vaccin sur le continent africain.

« La COP en Egypte sera un succès si nous arrivons à montrer que nos stratégies sont claires, s'établissent sur le long terme et se mettent en œuvre dès maintenant. »

Depuis plus deux ans, le monde vit une situation assez chaotique avec d'abord la crise de Covid-19, puis la guerre en Ukraine alors que l'urgence climatique s'accentue. Ce contexte a-t-il poussé la BEI à revoir les contours de sa stratégie africaine ?

Oui. La situation mondiale est assez complexe et elle nous a poussés à revoir notre stratégie dans le sens d'une accélération des investissements en lien avec les changements climatiques. Nous pensons que si nous voulons être en ligne avec les objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre de l'Accord de Paris en 2015 ou dans le cadre de la stratégie européenne de la neutralité carbone 2050 et la nécessaire indépendance énergétique, nous devons accélérer les investissements dans le domaine vert. Et c'est ce que nous sommes en train de mettre en œuvre.

La COP 27 approche à grands pas. Organisée cette fois en Egypte, on parle d'une COP africaine, qu'il faudrait prioriser les problématiques africaines dans les échanges et surtout que ce soit une réunion du concret, avec notamment un agenda pour le versement des 100 milliards de dollars promis par les pays développés aux pays africains. Quel sera le message de la BEI à Charm el-Cheikh ?

La réunion d'Abidjan est une réunion que nous avons conçue comme un point d'étape vers la COP 27. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si les autorités égyptiennes  au plus haut niveau étaient présentes au FiCS. Les Egyptiens souhaitent effectivement faire de cette COP celle du concret et je pense qu'ils ont raison. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est peut-être moins de nouveaux engagements, parce que les engagements ont été pris et sont très ambitieux. Il faut aujourd'hui montrer que ce que nous faisons fonctionne, c'est-à-dire venir avec des projets qui sont en ligne avec les ambitions affichées.

Je pense que si nous arrivons à monter que nos stratégies sont claires, qu'elles s'établissent sur le long terme et se mettent en œuvre dès maintenant, nous aurons fait un grand progrès et ce sera le succès de la COP en Egypte, en Afrique, et plus globalement le succès de la COP tout court.

En ce qui concerne la BEI, nous avons des projets de financements qui seront signés en Egypte et qui démontreront notre engagement. Je pense que chacune des institutions présentes à cette occasion aura le même objectif. Par ailleurs, la COP est aussi le moment d'échanger entre nous sur le meilleur moyen de faire des progrès dans la lutte contre les changements climatiques.

Quelques précisions concernant les projets que vous annoncerez en Egypte ?

Les projets qui vont être annoncés représentent l'ordre du milliard d'euros. Mais cela représente des choses très différentes. Vous avez des petits projets qui sont très intéressants, mais aussi de grands projets. A noter que ce sont toujours des projets que nous cofinançons.

Outre le climat et la santé, quels sont vos autres secteurs d'investissement sur le continent africain ?

Pendant la crise de Covid, nous avons choisi d'aider le maximum des PME africaines. N'ayant pas de réseau sur place, nous les avons soutenues en finançant les institutions financières africaines telles qu'Ecobank ou Afreximbank...  Cela a permis de renforcer les ressources de ces institutions à un moment où il n'était pas forcément facile de lever de la ressource pour financer les PME. Voyez-vous, il n'y a pas que les thématiques climatiques qui comptent pour nous, même si celles-ci sont devenues notre priorité et que nous nous sommes engagés à porter 50% de notre action sur cette thématique d'ici 2025.

« Non, nous n'essayons pas de dicter le contenu du mix énergétique des pays africains. »

La BEI est une banque de développement. L'une des priorités du développement en Afrique aujourd'hui est l'industrialisation, la transformation locale des matières premières dont le continent regorge en quantités importantes. Quel est l'engagement de la BEI en matière d'industrie en Afrique ?

Je pense que c'est un sujet absolument important et je crois qu'il y a une opportunité pour les économies africaines autour de la thématique de l'hydrogène vert. Ce type de projets -nous le constatons lors de nos actions de financement- sont souvent à un stade peu avancé. Mais dans les domaines industriels en Europe, l'hydrogène vert est très intéressant, parce que cela permet de faire des processus industriels efficaces et bas carbone. C'est souvent la raison pour laquelle dans les grandes industries fortes émettrices de gaz à effet de serre comme la sidérurgie, le ciment ..., l'hydrogène vert a le plus grand potentiel, parce qu'il permet vraiment de décarboner.

Si on arrive sur le sol africain à financer des projets d'hydrogène vert et bas carbone, cela permettrait de développer des procédures industrielles particulièrement intéressantes, parce qu'elles bénéficieront de ce faible niveau de carbone.

Une vingtaine d'institutions a convenu l'an dernier à Glasgow de cesser progressivement le financement des énergies fossiles en Afrique à partir de fin 2022. La BEI en fait partie. Mais alors que cela a ouvert un débat des « pour » et des « contre », on revendique sur le continent le droit de se développer parce que l'Afrique ne compte que faiblement dans les émissions de gaz à effet de serre. Qu'est-ce que vous y répondez ?

Je comprends très bien le débat. Tout d'abord, nous ne disons pas à la BEI que nous sortons des projets gaziers en Afrique. Nous suivons une politique au niveau mondial que nous appliquons dans tous les pays. Elle a été décidée par notre conseil d'administration, donc par les Etats européens. Cette politique consiste à dire que nous avons des ressources certes importantes, mais qui sont limitées au regard de l'ampleur des besoins des financements dans le domaine des changements climatiques. Et nous préférons concentrer ces ressources limitées sur ce que nous pensons avoir de la valeur ajoutée, car c'est notre domaine d'expertise, c'est-à-dire le financement de projets d'énergie renouvelable, d'innovation...

Nous ne disons pas ce que le mix énergétique des pays doit inclure, non. Nous n'essayons pas de dicter le contenu du bouquet énergétique des différents pays. Ce que nous disons c'est que nous avons décidé de limiter notre action dans le domaine de financement des énergies fossiles à ceux qui émettent moins de 250 grammes de CO2 par kilowattheure. Et nous le faisons parce que c'est dans ce domaine que nous avons le plus de valeur ajoutée par rapport aux moyens dont nous disposons, certes importants en volume mais faibles comparés à l'ampleur des besoins.

« Je crois que L'Europe et l'Afrique sont des partenaires indispensables si on veut maîtriser les problématiques climatiques qui sont de plus en plus complexes. »

La BEI a annoncé 1000 milliards de mobilisation financière d'ici 2030. Quelle serait la part de l'Afrique ?

C'est compliqué parce que lorsque nous finançons un projet, nous ne le faisons jamais tout seul et ramenons d'autres partenaires. Nous finançons chaque année près de 60 milliards d'euros de projets, dont la moitié au moins doit être en faveur du climat et de l'environnement, soit 30 milliards. En général, nous finançons environ 30 % d'un projet. Cela génère un investissement. L'effet de levier se situe entre 3 et 4. C'est ainsi que nous passons de 30 à 100 milliards. Sur 10 ans, on obtient les 1000 milliards dont vous parlez.

En outre, l'Afrique est le principal continent de financement de la BEI en dehors de l'Europe. Nous avons financé près de 4 milliards d'euros de projets en Afrique en 2021, alors que nous réalisons environ 8 milliards d'euros de financement en dehors de l'Europe. Vous voyez que l'Afrique est vraiment le cœur de notre action avec près de la moitié de nos financements hors Union européenne et un peu plus de la moitié de ces projets ont été en faveur des changements climatiques.

Votre mot de la fin ?

Je crois que l'Europe et l'Afrique sont des partenaires indispensables si on veut maîtriser les problématiques climatiques qui sont de plus en plus complexes. Et quand on vient en Afrique, on voit bien à quel point l'Afrique, certes faible émettrice de gaz à effet de serre, est déjà la première victime des changements climatiques.  Ainsi, les thématiques de besoin d'adaptation, des thématiques d'investissement pour le développement urbain, pour un transport plus propre en ville, pour des politiques de logement, de gestions de l'eau et des eaux usées constituent un ensemble extrêmement important pour nous et sur lesquels nous avons très envie d'être partenaires des Etats, des gouvernements, des municipalités et des partenaires privés en Afrique.

Propos recueillis à Abidjan par Ristel Tchounand.