Fiscalité : à Kampala, l’ATAF arme l’Afrique pour la 4e révolution industrielle

Réunis à Kampala du 19 au 22 novembre pour la quatrième conférence internationale sur la fiscalité en Afrique sous l’égide du Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF), les responsables du Continent se mobilisent pour ne pas être en reste dans le flot mondial de la numérisation. Décryptage.
(Crédits : ATAF)

« La quatrième révolution industrielle est le dernier cadeau à l'Afrique pour qu'elle puisse se transformer. Nous devons renforcer nos capacités en profitant de l'espace numérique ». Cette déclaration du professeur Bitange Ndemo, intellectuel kényan enseignant à la Business School de l'Université de Nairobi, résume le message porté par la conférence internationale sur la fiscalité en Afrique organisée à Kampala du 19 au 22 novembre par le Forum sur l'administration fiscale africaine (ATAF) en partenariat avec l'Autorité fiscale de l'Ouganda et avec la participation de l'Union africaine, des Nations Unies, de la Banque africaine de développement (BAD), l'OCDE, le FMI, la Banque mondiale et le Commonwealth.

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Placée sous le thème « Innovation, numérisation et exploitation de la technologie pour améliorer les systèmes fiscaux », la rencontre -inaugurée par le président ougandais Yoweri Museveni en présence 450 participants venus de 48 pays- se veut être un plaidoyer pour éveiller les esprits des fiscalistes africains sur la nécessité du numérique pour développer une fiscalité en phase avec les enjeux du futur. « J'ai toujours considéré que les administrateurs fiscaux doivent être à la fois des politiciens, des économistes et des business men. A présent [en raison de la réalité numérique], je pense qu'ils doivent également être des analystes de données », s'est fendu le Nigérian Tunde Fowler, président de l'ATAF après plusieurs heures de discussions.

Museveni

Fondée en 2009 à Kampala avec 24 pays africains, l'ATAF, basée à Pretoria (Afrique du Sud), compte aujourd'hui 38 pays membres, dont 14 d'Afrique francophone : le Cameroun, le Sénégal, le Maroc, le Bénin, le Togo, le Burkina Faso, le Gabon, le Burundi, Madagascar, le Mali, le Tchad, la Côte d'Ivoire, la Mauritanie et le Niger. Dès le départ, l'objectif est clair : accroître la mobilisation efficace des recettes fiscales pour les programmes de développement nationaux, pour qu'in fine, les pays réduisent leur dépendance à l'aide au développement, une question devenue centrale, alors que l'Afrique est à dix ans l'échéance de l'agenda 2030 et court vers l'agenda 2063. Sous l'impulsion de son président et de son secrétaire général, le Sud-africain Logan Wort, l'ATAF a porté la voix de l'Afrique au niveau mondial.

« Il faut reconnaître que l'Afrique a pris conscience de son de besoin de transformation. L'agenda 2063 de l'Union africaine en est la preuve. Mais il faut qu'on arrive au constat que cet agenda ne sera pas réalisé sans une augmentation des recettes fiscales », insiste Duminsani Masilela, Commissaire général de l'Autorité fiscale de l'Eswatini.

De nombreux efforts ont été consentis ces dernières années tant dans la formation des agents fiscaux à travers le Continent, que dans le suivi de la TVA, de l'IR ou l'IS. Les 24 programmes mis en oeuvre par l'ATAF au sein des pays membres a permis la collecte de 300 millions de dollars de taxes supplémentaires, assortie de contributions supplémentaires de plus 1 milliards de dollars. De même, le ratio moyen impôt/PIB de plusieurs pays s'est amélioré. Cependant, les défis restent majeurs. Traditionnellement, ces derniers concernent l'étroitesse de l'assiette fiscale au sein des économies africaines qui limitent les possibilités de recouvrements supplémentaires, sachant que l'imposition des matières premières reste la première source de recettes pour beaucoup de pays. L'ampleur de l'économie informelle aussi est un frein, tout autant que l'évasion fiscale, souvent le fait des multinationales.

L'économie numérique, défi de taille

Mais à l'ère du digital et alors qu'elles n'ont pas encore fini de répondre à ces défis majeurs, les administrations fiscales doivent composer avec un autre challenge de taille : l'économie numérique, dynamisée par la dématérialisation des transactions commerciales (e-commerce, e-paiement,...). Tous ont voulu se rappeler les déclarations du président rwandais Paul Kagamé à l'ouverture du Forum économique mondial sur l'Afrique en 2016 à Kigali : « L'Afrique ne doit pas continuer à faire du rattrapage quand la 5e révolution arrive ».

De manière pratique, les pays du Continent tentent de jouer la carte numérique. L'Afrique du Sud le Maroc et les pays d'Afrique de l'Est restent avancés en la matière. Mais d'autres prennent également le taureau par les cornes. C'est le cas de Madagascar dont le système fiscal est entièrement numérisé avec à la clé un portail dédié aux petits contribuables. Ici, on pense déjà à taxer les opérations digitales. « Nous n'avons pas d'autre choix que de numériser la fiscalité. C'est l'actualité du Continent », nous confie Romaric Ramakararo de la Direction générale des impôts de Madagascar.

L'Ouganda a poussé le bouchon en taxant les réseaux sociaux. Avec le Kenya et le Rwanda, ils constituent les trois pays d'Afrique de l'Est ayant lancé un Système électronique de suivi du fret qui vise à lutter contre l'évasion fiscale.

En outre, plusieurs pays du Continent travaillent désormais en tenant compte du Global Tax Agenda des Nations Unies et ont rejoint des programmes tels le Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) et le Tax Inspectors without Borders (TIWB) lancés par l'OCDE respectivement en partenariat avec le G20 et le PNUD.

Par ailleurs, les technologies de Blockchain sont de plus en plus regardées. Le professeur Bitange Ndemo pense même que « une cryptomonnaie adossée au diamant », à titre d'exemple, peut favoriser la disciple fiscale en Afrique, laquelle permettrait une augmentation des recettes et pourquoi pas influencer positivement la fréquence des emprunts des Etats.

La recherche, l'urgence

Alors qu'outre l'évasion fiscale, l'Afrique est également confrontée à « l'optimisation » fiscale à outrance des entreprises -souvent des multinationales, dans un contexte d'étroitesse de l'assiette fiscale et de faiblesse des législations, l'ATAF milite pour un renforcement d'urgence de la recherche par les Africains. D'après l'organisation, c'est la seule manière pour le Continent de tirer avantage du numérique et de positionner véritablement sur la fiscalité internationale et jouer sa partition dans la quatrième révolution industrielle.

A court terme, les administrations fiscales, les universités et le secteur privé sont encouragés à rejoindre le Réseau africain des chercheurs en fiscalité (ATRN) qui tiendra son prochain congrès à Dakar dans une semaine. « C'est la quatrième année consécutive que nous tenons ces rencontres dans un pays d'Afrique francophone et aller au Sénégal est pour nous un moyen de mobiliser les chercheurs dans cette partie de Continent », nous explique Désire Ottner, en charge de l'ATRN.

« Nous avons remarqué qu'on a tendance à s'appesantir un peu trop sur les recherches produites à l'extérieur de l'Afrique », affirme Dr Nara Monkam, directrice de la recherche chez l'ATAF. « Cela nous expose par conséquent, poursuit-il, au danger d'importer à nouveau des théories qui ne s'appliquent pas à nos réalités africaines. C'est pour cela que nous voulons encourager les chercheurs africains y compris les administrations fiscales de faire plus attention aux données et à l'analyse des données, et ainsi réaliser des recherches approfondies qui allient théorie et pratique, afin d'apporter des réponses aux challenges de la numérisation, de la digitalisation, de la fiscalisation et de la technologie ».

Article mis à jour le 21.11.19 à 16:41.

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