Chaine logistique africaine : Et si l'oligopole des transporteurs routiers prenait fin ?

La chaîne de valeur de la logistique en Afrique se démarque par l'inégalité entre ses différents maillons. Là où les ports sont modernes, les corridors restent mal entretenus et les passages de frontières loin d'être fluides. Résultat : le coût du transport de marchandises est parmi les plus élevés au monde.
Amine Ater
Une file de camions traversant la route principale de la ville portuaire de Mombasa, à la périphérie de Nairobi, la capitale du Kenya, le 4 mars 2016.

L'attractivité du continent africain reste, en grande partie, corrélée aux efforts consentis en matière d'infrastructures routières. En effet, le coût du transport de marchandises en Afrique est le plus élevé au monde, selon la Banque mondiale (BM). Une situation devenue un handicap pour l'activité économique, notamment en termes d'investissements privés. La hausse des tarifs de transport empêche également les pays africains de tirer parti de la croissance rapide du commerce mondial. Résultat : les pays dépourvus d'accès au littoral restent enclavés, malgré la libéralisation de leurs régimes commerciaux respectifs.

Une logistique hors de prix

En termes de valeur, les exportations entre les pays africains sont passées de 12 à 38 milliards de dollars, entre 2000 et 2015. Selon la BM, la part moyenne des exportations intra-régionales se situe à 13 % par rapport à l'ensemble des exportations. Une proportion inférieure au commerce intra-UE (60 % des exportations totales). En termes de coûts, les échanges intra-régionaux en Afrique se situent à près de 50 % de plus que ceux pratiqués en Asie de l'Est. Le continent perd chaque année près de 40 % de son PIB à cause du déficit en transports, alors que la demande en transport en conteneurs devrait augmenter de 6 % à 6,8 % par an, jusqu'en 2040. D'un autre côté, 30 % à 40 % de la valeur des produits importés en Afrique correspondent au coût du transport. Les coûts logistiques sont également 4 à 6 fois plus importants en Afrique subsaharienne que dans les autres pays émergents : faire transiter un container de Tokyo à Mombasa (Kenya), soit 11 840 km, est facturé à 750 dollars. Le coût de transit du même container entre Mombasa et Kigali, soit une distance de 1 437 km, est de 2 250 dollars. Donc pratiquement le triple !

Des freins à la compétitivité

Une amélioration de la quantité, de la qualité, de la portée des transports commerciaux et des services logistiques nécessaires (supply chain) reste nécessaire à une exploitation efficiente du potentiel commercial du continent. Pour le moment, la logistique commerciale existante (coûteuse et peu développée) est synonyme de frais indirects élevés pour les fabricants, vu qu'une supply chain de qualité modeste accroît les coûts de production et élimine au passage les avantages découlant de la faiblesse de coûts de main-d'œuvre.

Ce gap mine également les chaînes d'approvisionnement agricoles, particulièrement l'acheminement d'intrants, graines, engrais et pesticides généralement importés. L'augmentation de la productivité agricole et la pérennisation de l'agro-industrie restent liées à la mise en place de chaînes de transport et de logistique rapides, efficaces et abordables. L'éclosion d'un écosystème de petites entreprises voulu et promu par la BM, la BAD et une grande partie des gouvernements africains est ralentie par les coûts prohibitifs, imposés par les systèmes actuels de logistique à ces structures.

Peut mieux faire

Il n'empêche que le continent a enregistré des progrès non négligeables en la matière, bien qu'ils ne soient pas suffisants pour pour permettre aux opérateurs africains de rivaliser avec leurs concurrents. Selon le classement Doing Business, 9 des 10 pays ayant conduit les plus importantes réformes en matière de logistique commerciale, entre 2009 et 2014, sont situés en Afrique subsaharienne. Durant la même période, 70 % des pays africains ont mis en œuvre au moins une réforme dans ce secteur. Ce qui s'est traduit sur le terrain par la levée de certains barrages routiers dans les corridors stratégiques. Cette avancée toutefois loin d'être suffisante, selon la BM qui a fixé les priorités pour améliorer la compétitivité en facilitant non seulement le commerce dans les corridors liant les principaux ports du continent aux marchés enclavés, mais aussi le passage transfrontalier entre pays africains.

La mutualisation des efforts pourrait faire office de nouvelle doctrine pour les pays africains. En clair, les gouvernements partageant des objectifs similaires dans les différentes sous-régions du continent pourront unir leurs forces de manière à remédier aux contraintes logistiques qui ralentissent leurs possibilités commerciales. L'Afrique australe compte ainsi un programme accéléré d'intégration économique ou encore un programme similaire entre la RDC et les pays de la région des Grands Lacs.

Monopole du segment routier

L'objectif premier de ces rapprochements reste la réduction des prix, tant pour le producteur que pour le consommateur, notamment pour les produits alimentaires de base. Selon une analyse de la BM, l'effet des obstacles aux échanges commerciaux est quantifiable en évaluant la distance supplémentaire qui ferait augmenter les coûts de manière équivalente au franchissement de frontières. Par exemple, lorsque le maïs, le riz ou le niébé franchissent la frontière entre le Niger et le Nigeria, leur prix de vente prend en compte une charge équivalente à la distance parcourue entre les deux pays, soit quelque 693 km supplémentaires.

Parallèlement, la fluidification des échanges transfrontaliers entraînerait une stabilisation des prix dans une région comme l'Afrique de l'Ouest où la production est corrélée entre les pays. Ce qui signifie qu'une intégration plus poussée et dotée de marchés régionaux plus vastes permettrait de réduire l'impact des effets de prix découlant de chocs locaux sur les couches les plus pauvres de la région. D'un autre côté, la réduction des obstacles au commerce, conjuguée à la mise en place d'une infrastructure commerciale résiliente, devrait permettre une mobilisation plus rapide et efficace face aux pénuries alimentaires dues notamment aux catastrophes naturelles.

Il n'empêche que ces scénarios ont peu de chances d'évoluer dans la bonne direction, tant qu'il n'existe pas de palliatif au transport routier. En effet, l'absence de services ferroviaires sur les principaux corridors inter-Etats permet aux entreprises de camionnage de fixer les prix à leur convenance. Des dirigeants d'entreprises de camionnage ont expliqué aux experts de la BM qu'il leur faut moins de 3 ans pour rembourser l'achat d'un camion neuf.

Moderniser l'héritage colonial

Ce monopole  des entreprises de transport routier de marchandises pousse les gouvernements à envisager sérieusement la modernisation du réseau de chemins de fer hérité de l'époque coloniale. C'est ainsiq ue le Congo a lancé une série d'appels d'offres en 2015 pour réhabiliter la ligne entre Pointe-Noire et Brazzaville, avec l'objectif d'en faire un «point de passage obligé» pour l'ensemble de l'Afrique centrale. La même dynamique que l'on retrouve également en Afrique de l'Ouest avec la réhabilitation de la ligne Dakar-Bamako qui devrait désenclaver le Mali. La ligne Abidjan-Ouagadougou, également en cours de restauration depuis  2015 et dont les travaux sont assurés par Bolloré Africa Logistics, devrait porter le trafic ferroviaire à 5 millions de tonnes de marchandises, contre 910 000 tonnes en 2015.

A terme, cette ligne devrait être complétée par la réhabilitation de la ligne Cotonou-Parakou, qui devra être prolongée par la suite jusqu'à Niamey au Niger, puis jusqu'au Port de Lomé au Togo. Ce qui donnera naissance à une ligne Abidjan-Ouagadougou-Niamey-Cotonou-Lomé. Un projet baptisé «Blue Line» par le groupe Bolloré. La face est-africaine n'est pas en reste, puisque l'année 2015 a connu le lancement d'une ligne ferroviaire de 752 km, reliant Djibouti à Addis-Abeba avec l'objectif de renforcer la dynamique industrie éthiopienne à l'Océan Indien.

Au niveau de l'ensemble de la supply chain africaine, le maillon le plus efficient reste finalement le transport maritime qui n'a jamais cessé de se développer et de se moderniser. Aujourd'hui, le port de Djibouti exporte majoritairement vers l'Arabie Saoudite, l'Egypte et l'Inde et les ports de Dar Es Salam (Tanzanie), Mombasa (Kenya) et de Beira (Mozambique) importent massivement d'Inde et de Chine. D'après la BAD, l'activité portuaire en Afrique est estimée à 265 millions de tonnes en 2016 et pourrait dépasser les 2 milliards de tonnes à l'horizon 2040.

Amine Ater

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