Cabinets d'affaires en Afrique  : les locaux s'organisent pour tirer leur épingle du marché

Montée en flèche de la croissance continentale, hausse des volumes d'investissement étrangers, dynamisme entrepreneurial, libéralisations en cours, amélioration du climat des affaires et engouement des multinationales pour les ressources du sous-sol... Les raisons ne manquent pas pour faire de l'Afrique la terre promise des cabinets d'affaires occidentaux ! Mais les locaux veulent aussi leur part de marché.
Ibrahima Bayo Jr.

Baker McKenzie, Allen & Overy, DLA Piper, Latham &Watkins, Linklaters, Dentons, Clyde & Co, les plus grandes écuries mondiales en matière de droit des affaires se ruent désormais sur le Continent pour tenir boutique en Afrique.

« Les cabinets y voient un relais de croissance pour leurs marchés saturés dans lesquels les grands projets à forte valeur ajoutée et mobilisant de grandes équipes d'experts n'existent plus - villes nouvelles, infrastructures, énergie », analyse Christophe Bachelet, administrateur de DLA Piper au Maroc.

Le plus souvent, ces grands cabinets s'appuient sur leur renommée déjà bâtie à l'international pour se poser en référence dans l'accompagnement des multinationales dans leur implantation, des États dans la (re) négociation des contrats, des fonds d'investissement dans leur placement ou encore les organismes de coopération attirés par les perspectives sur le Continent. Il faut ajouter qu'avec leurs moyens financiers, techniques et humains conséquents, les grands cabinets creusent leur avance.

En face, les cabinets locaux comptent bien se faire une place sur ce marché. Sans aller jusqu'à prétendre les mettre en coupe réglée, les homologues étrangers choisissent la collaboration. La perspective ne manque pas de sel.

« Ces cabinets ont compris que pour réussir une transaction en Afrique, il est essentiel d'avoir une présence sur le terrain. Ils ont pris des mesures, soit pour implanter des filiales en Afrique, soit pour s'associer avec des cabinets africains et faire équipe avec eux », résume Mouhamed Kébé, directeur du cabinet Geni & Kébé, une référence basée à Dakar, présente dans 15 pays.

En réalité, la collaboration est une parade aux obstacles d'ordre légal notamment l'interdiction pour les étrangers d'exercer dans certains pays. Pour contourner les barrages, « ces cabinets étrangers font appel, à leur tour, aux cabinets locaux pour leur connaissance du droit national ou régional, des rouages de l'administration locale, voire des particularismes culturels locaux dont la méconnaissance peut avoir un impact négatif sur l'exécution des projets d'investissement », souligne Aboubacar Fall, avocat associé de Geni & Kébé, basé à Seattle aux États-Unis. Bien souvent, l'intégration de cabinets locaux dans les marchés des cabinets étrangers est un « must ». En Afrique, la structuration des acteurs économiques change.

« En raison de la concurrence ardue, ces acteurs restent stratégiquement attachés à la présence, dans les équipes de projet des grands cabinets étrangers, d'avocats d'origine africaine ou de cabinets partenaires africains. Pour les clients, c'est désormais une exigence car c'est pour eux un gage de succès sur le Continent, puisque les locaux ont une bonne connaissance du contexte local, synonyme de gain de temps et d'une meilleure gestion des risques notamment réputationnels à l'ère du numérique », explique Fortuné Ahoulouma, du LABS-NS Avocats, un cabinet d'affaires dédié à la RSE.

La collaboration entre les locaux et les extracontinentaux induit un échange de bonnes pratiques et un transfert de connaissances dans les deux sens. Formés dans les plus grandes écoles ou universités occidentales, les avocats d'affaires africains ont roulé leur bosse dans les grandes écuries étrangères. Débarrassés du « complexe des compétences liées au diplôme », ils reviennent s'installer en Afrique par opportunité ou par patriotisme pour faire jeu égal, au moins sur le Continent avec leurs homologues internationaux.

Volonté d'affirmation face aux écueils

Sans entrer dans une logique de guerre de positionnement face à l'hégémonie supposée des internationaux, les cabinets africains font valoir leurs arguments pour se tailler une place sur le marché des activités juridiques et financières.

Pour Christophe Bachelet, « ce sont la connaissance du droit local, de la pratique et du contexte politique qui sont essentiels. Connaître le terrain est primordial ». Et Aboubacar Fall de compléter : « Contrairement à ces cabinets internationaux, qui n'ont d'autre souci que de gagner les marchés et les avantages financiers qu'ils procurent, les experts locaux ont l'avantage du "souci de l'intérêt du pays" qui les conduit à aller au-delà de la simple prestation de services spécialisés et à s'impliquer entièrement pour la réussite d'un projet ».

Mais la compétitivité des locaux face aux internationaux est entravée par quelques écueils. On leur reproche le manque de vision transfrontalière. « La critique est fondée et est la conséquence de deux situations majeures. L'une, structurelle, résulte du fait que dans la plupart des législations africaines, les avocats n'ont pas la possibilité d'avoir des filiales hors de leur pays. L'autre résulte du fait que les avocats du Continent eux-mêmes n'ont pas encore intégré l'idée d'exporter leur cabinet vers d'autres pays du continent. Le fait que plusieurs systèmes juridiques - common law pour les pays francophones et lusophone, civil law pour les anglophones- coexistent au sein du Continent, justifie en partie cette situation ».

Pour surmonter ces obstacles, une directive de l'UEMOA permet par exemple à un cabinet établi dans le barreau d'un État membre de s'implanter dans un autre, sans formalités particulières. Du côté des acteurs, on a aussi compris l'importance du réseautage avec la mise en place de LEX Africa et de l'Africa Legal Network. Pour appuyer le mouvement, la BAD a lancé la Fédération des consultants africains (Féca), ce qui devrait pousser les États à protéger l'expertise locale, eux qui sont souvent habitués à faire plus confiance aux internationaux. L'intégration régionale pèse aussi sur l'intégration juridique et permet aux cabinets locaux de mieux s'organiser.

L'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires (Ohada) a influencé la création de cabinets à dimension régionale. Géni & Kébé au Sénégal et Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés en Côte d'Ivoire sont cités en référence par tous les professionnels. Il faut souligner la nécessité pour les cabinets locaux de se mettre au diapason des plus grands cabinets internationaux ,notamment sur le plan des pratiques numériques. Les professionnels indiquent qu'ils en ont les moyens et les compétences, mais doivent renforcer leur ancrage et élargir leur sphère d'influence au point de tutoyer les grands du domaine.

Certains cabinets, notamment sud-africains ou nigérians, se sont lancés à la conquête de l'Occident où ils ont pignon sur rue dans les grandes capitales. Le cabinet ghanéen AB & David possède un bureau à Londres et Emery Mukendi Wafwana & Associés de la RDC a ouvert un bureau à New York. Même si des efforts restent encore à fournir, avec le positionnement de l'Afrique en hub des affaires, le jour n'est pas loin où les cabinets locaux traverseront la rive en sens inverse pour s'imposer en Occident !

Trois questions à Michel Brizoua-Bi

Président de l'association des cabinets d'avocats d'affaires africains (ABLFA en anglais)

Michel Brizoua-Bi

L'ABLFA est de création récente (2015). Est-ce un pas de plus vers une sorte d'union sacrée des cabinets africains face à l'hégémonie supposée des cabinets étrangers sur le Continent ?

Les cabinets africains n'ont pas attendu la création de l'ABLFA pour unir leurs forces. Il existait déjà sur le Continent plusieurs réseaux de cabinets d'avocats qui sont très actifs, notamment en Afrique anglophone. Il faut noter aussi l'existence d'institutions regroupant des barreaux au plan régional ou continental. En somme, le besoin de regroupement des avocats du Continent date de plusieurs années. L'ABLFA a souhaité mettre un accent particulier sur le droit des affaires et soutenir le rôle de promotion collective dévolu à nos barreaux.

Cependant, il ne faut pas voir la naissance de l'ABLFA comme une forme de réponse à cette « hégémonie » des cabinets occidentaux en Afrique. Elle ambitionne de mieux promouvoir l'expertise juridique disponible dans les cabinets d'affaires en Afrique. En la matière, il existe un manque de visibilité internationale des acteurs locaux sur la plupart de nos marchés. Quant aux cabinets occidentaux, ils sont actifs et continueront de l'être sur le Continent à la demande de leurs clients que sont les gouvernements, les institutions financières et les grandes multinationales.

En définitive, nos rôles sont complémentaires et les connaisseurs des grands projets savent bien qu'il est difficile, voire impossible, de les concevoir et de les structurer sans une collaboration entre cabinets internationaux et cabinets locaux. L'ABLFA n'est donc pas dirigée contre qui que ce soit, mais plutôt en faveur de l'expertise juridique africaine qui est encore méconnue.

Quel doit être le positionnement des cabinets locaux par rapport aux étrangers ?

La taille et les moyens tant humains que financiers des multinationales du droit ne permettent pas une comparaison raisonnable des moyens d'intervention des cabinets du Continent. Cela dit, certains marchés comme le Nigeria, le Kenya et l'Afrique du Sud ont des structures qui peuvent rivaliser sur ces points avec les cabinets internationaux. Le savoir-faire, l'expérience et la connaissance intime tant des législations que de l'environnement des affaires nous semblent être des éléments qui vont permettre aux acteurs locaux d'offrir une vraie valeur ajoutée et se poser en interlocuteurs incontournables comme c'est le cas dans les pays que je viens de citer, en plus du Maroc.

Quel rôle les États peuvent jouer pour favoriser les cabinets nationaux et si possible protéger leurs marchés ?

La création de l'ABLFA a été un premier signal fort envoyé aux États et aux acteurs du secteur privé pour leur signaler qu'il existe bien une expertise juridique sur le Continent. Il faut donc espérer que nos États associent plus fréquemment les acteurs locaux aux grands projets dans le cadre de processus d'appels d'offres transparents. Quant à la nécessité d'établir des protections spécifiques de nos marchés du droit par l'État, nous ne croyons ni en l'utilité ni en l'efficacité à long terme de telles mesures.

Le client qui cherche un cabinet d'avocats pour obtenir une réponse à une problématique susceptible de dénouer des négociations d'un grand projet par exemple, ne s'intéresse pas de prime abord à la nationalité de son conseil, mais plutôt à la qualité et à l'efficacité de la solution qu'on lui offre.

Si d'aventure cette compétence n'est pas disponible localement, il devra forcément la rechercher ailleurs tout en prenant la précaution de s'assurer que la réponse peut lui parvenir via un relais local. L'exercice de la profession d'avocat obéit dans chacun de nos pays à des règles précises et il faut les respecter quelle que soit l'origine de l'expertise internationale qui est sollicitée.

Ibrahima Bayo Jr.

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