Hydrogène vert : entre mythe de la décarbonation et réalité financière

L'Afrique était à l'honneur à l'occasion de la 13e édition des Tables Rondes de l'Arbois et de la Méditerranée sur le thème de « L'hydrogène : mythes & réalités », organisées début mai par l'Université d'Aix-Marseille, en partenariat avec l'UM6P et le CNRS. Alors que l'hydrogène vert est présenté comme la solution du futur pour la décarbonation, de nombreux défis subsistent et divisent les experts. Décryptage.
(Crédits : LTA/Marie-France Réveillard)

« J'ai appris énormément (pendant cet évènement) : que ça allait coûter très cher et que ça prendrait du temps (...) l'hydrogène est sûrement une solution. C'est un peu compliqué, on ne sait pas trop où on va (...) Capter le CO2 n'est pas si simple, ni même construire des réservoirs (de stockage) », déclarait Daniel Nahon, le fondateur des Tables rondes de l'Arbois et de la Méditerranée, en clôture de l'évènement. « Cela me rappelle un ministre qui prétendait capter l'énergie des étoiles », a-t-il poursuivi avec ironie, devant un auditoire d'experts attentifs. Néanmoins, les perspectives de production de l'hydrogène vert suscitent un intérêt grandissant auprès des industriels et des institutions internationales.

Selon le rapport Africa's Extraordinary Green Hydrogen Potential, commandé par la Banque européenne d'investissement (BEI), l'Alliance solaire internationale et l'Union africaine (UA), avec le soutien de l'État mauritanien, d'HyDeal et de CGLU Afrique, publiée en décembre 2022, l'Afrique pourrait produire jusqu'à 50 millions de tonnes d'hydrogène vert d'ici 2035, permettant une réduction de 40 % des émissions de carbone sur le continent. Elle serait même en mesure d'approvisionner le marché mondial à hauteur de 25 millions de tonnes d'hydrogène vert, soit 15 % du gaz utilisé dans toute l'Union européenne (UE).

Encore essentiellement utilisé dans l'industrie lourde, l'hydrogène reste produit à 96% grâce aux énergies fossiles selon l'Agence internationale de l'Énergie (AIE), mais il pourrait à terme, devenir le vecteur d'une électricité bas-carbone, grâce aux énergies renouvelables, selon les plus optimistes des observateurs.

Cette perspective enthousiasmante alimente les débats entre experts. Les opérations médiatiques comme l'illumination de la Tour Eiffel via l'hydrogène décarboné en 2021, tout comme les ambitions européennes sur fond de rivalités énergétiques franco-allemandes, entretiennent l'engouement général. Néanmoins, entre mythes et réalités : quel bilan dresser à l'issue de ces 48 heures de débats scientifiques autour de cette énergie aussi prometteuse que coûteuse ?

La course africaine à l'hydrogène vert

« Au XIXe siècle, Jules Verne avait déjà identifié le potentiel de l'hydrogène, puis le sujet est revenu après les chocs pétroliers, avant de disparaître. Aujourd'hui, les progrès des EnR, la perception de plus en plus claire que le pétrole doit être réservé pour des usages " nobles ", et les progrès techniques qui ont permis de faire baisser les coûts, ont participé à remettre la question à l'ordre du jour », explique l'économiste et spécialiste des énergies vertes, Marc Guillaume (Énergies ultravertes, Descartes & Cie, 2020).

« Par ailleurs, suite au Covid et à la guerre en Ukraine, plusieurs acteurs politiques ont cherché à réanimer cette économie génératrice d'emplois. Depuis 2 ans, il y a une floraison de projets et la concurrence s'organise, mais je ne crois pas que l'hydrogène soit pour demain », ajoute-t-il.

À ce jour, seulement 4 % de la production mondiale d'hydrogène vient de l'électrolyse (hydrogène vert), contre 4% du charbon, 7 % du pétrole et 85 % du gaz naturel méthane. Toutefois, la production de l'hydrogène vert progresse, sur fond de pression climatique, de conjoncture gazière internationale incertaine et à grand renfort de subventions internationales.En Afrique, sa production pourrait atteindre 4 millions de tonnes en 2030 (contre 10 000 tonnes en 2022), d'après le cabinet Rystad Energy.

Le gouvernement mauritanien et l'entreprise britannique Chariot annonçaient en mai dernier, la création d'un site de production d'une capacité de production d'hydrogène renouvelable de 10 GW (Projet Nour). Dans le nord du pays, le projet Aman de l'opérateur australien CWP Global compte investir 40 milliards de dollars pour développer une production d'hydrogène de 1,7 million de tonnes par an.

Au sud du continent, la Namibie annonçait en 2021, un projet de 9,4 milliards de dollars, pour générer 2 gigawatts d'électricité renouvelable pour les marchés régionaux et mondiaux. L'année suivante, l'Afrique du Sud présentait ses plans pour soutenir un pipeline de projets d'hydrogène vert d'une valeur de 17,8 milliards de dollars sur les dix prochaines années.

Le Maroc, prochain provider mondial d'hydrogène vert ?

Principalement utilisé dans les raffineries, la sidérurgie ou pour produire de l'ammoniac, des engrais ou du méthanol, l'hydrogène vert a le vent en poupe dans le royaume chérifien qui campe avec OCP Group, parmi les leaders mondiaux du marché des engrais phosphatés.

« Nous ambitionnons de produire un million de tonnes d'ammoniac vert à l'horizon 2027 et 3,2 millions de tonnes d'ici 2032. Nous avons annoncé un investissement vert de 13 milliards de dollars sur les quatre prochaines années, destiné à la production de l'hydrogène vert et d'ammoniac », explique Karim Saoud, vice-President of Water and Energy d'OCP Group.

À ce jour, le groupe marocain a signé un partenariat avec les Pays-Bas pour un projet-pilote préindustriel de production de 4 tonnes par jour d'ammoniac vert, équipé d'une capacité d'électrolyse de 4 MW, dont 2 MW PEM et 2 MW Alcalin. Par ailleurs, OCP Group s'attèle à un second projet pilote de 10 MW avec la compagnie Shell.

« Notre ambition doit être supportée par la recherche et le développement et c'est précisément dans ce cadre que nous travaillons avec l'Université Mohammed VI Polytechnique », précise le vice-président of Water and Energy d'OCP Group.

« L'Afrique s'industrialise et on peut imaginer d'intégrer à la base de nos usines, une énergie verte comme l'hydrogène décarboné », explique Hicham El Habti, le président de l'Université Mohamed 6 Polytechnique (UM6P) qui accueille 4 400 étudiants (dont 600 doctorants) et plus de 200 enseignants-chercheurs permanents. L'Université qui a multiplié les partenariats internationaux avec des universités aussi prestigieuses que le MIT aux États-Unis, lancera un Master spécialisé sur l'hydrogène, dès la rentrée prochaine, afin de répondre aux compétences requises par l'essor de cette production.

« Nous voulons inventer un nouveau modèle construit sur la base des énergies propres. L'Afrique va jouer un rôle très important dans la décarbonation de l'économie mondiale, même si elle n'y est pour rien en matière de dérèglement climatique (n'étant responsable que de 4 % des émissions de GES à l'échelle mondiale, ndlr) », précise-t-il.

Depuis 2021, le Maroc dispose d'une « Feuille de route Hydrogène vert, vecteur de transition énergétique et de croissance durable », incluse dans sa stratégie nationale pour atteindre un mix énergétique de 52 % d'ici 2030. Les revenus annuels indicatifs associés à la demande escomptée et inscrite dans cette feuille de route pourraient atteindre « jusqu'à 22 milliards de dirhams en 2030 et 330 milliards de dirhams en 2050 en valorisant l'hydrogène vert et ses dérivés au prix de leurs alternatives conventionnelles ».

La course à l'hydrogène de l'Union européenne

L'Afrique approvisionnera-t-elle demain l'Europe en énergie décarbonée ? Ces dernières années, l'UE a multiplié les protocoles d'accord sur l'hydrogène vert avec plusieurs pays africains. Face à la crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine, l'Allemagne multiplie les investissements pour s'extraire de son historique dépendance au gaz russe.

En mars dernier, un consortium dirigé par le groupe allemand Conjuncta signait un protocole d'accord avec le gouvernement mauritanien, le fournisseur d'énergies égyptien Infinity et le groupe Abu Dhabi Future Energy Company (Masdar) pour la construction d'un complexe d'hydrogène vert de 32 milliards d'euros. Opérationnelle à l'horizon 2028, cette usine d'une capacité maximale de 10 GW, produira 8 millions de tonnes d'hydrogène vert par an.

D'ici 2030, l'UE ambitionne de faire rouler 100.000 camions à l'hydrogène décarboné (un objectif inscrit dans sa « stratégie de l'hydrogène pour une Europe climatiquement neutre », 2020). Une équipe de chercheurs de l'Atelier d'écologie politique a calculé, à la demande de Reporterre, le volume d'électricité nécessaire pour faire rouler les camions grâce à de l'hydrogène produit par électrolyse avec de l'électricité non fossile.

Conclusion : « pour alimenter cent mille camions de plus de seize tonnes parcourant une moyenne de 160 000 km/an, il faudrait 92,4 TWh/an (térawattheures par an), soit quinze réacteurs nucléaires ou 910 km² de panneaux solaires » (L'hydrogène, trop gourmand en énergie pour être écologique, Reporterre, 1.02.2021).

En 2022, le rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) indiquait que l'hydrogène vert ne représenterait pas plus de 2,1 % du bilan énergétique global en 2050 (et 5,1 % en 2011).  Pour l'économiste et spécialiste des EnR, Marc Guillaume, « décarboner la France ne sert à rien, car elle n'émet que 1% de GES, et l'Europe est à 6% : cela ne changera pas le film ! ».

Déconstruire les mythes relatifs à l'hydrogène...

S'il ne s'agit pas de « piller » les ressources naturelles africaines, les exportations d'hydrogène pourraient bien absorber une grande partie de l'électricité renouvelable produite sur un continent où 600 millions d'habitants n'ont toujours pas accès à l'électricité, déplorent certaines organisations non gouvernementales. Pour Paul Lucchese, président du programme de collaboration internationale sur l'hydrogène de l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE), « il revient aux gouvernements africains de prendre en compte leurs propres besoins en développant une stratégie nationale, pour que ces productions ne se fassent pas au détriment des besoins des populations locales ».

Par ailleurs, le processus de production de l'électricité produite grâce à l'hydrogène par électrolyse (procédé séparant l'eau en oxygène et en hydrogène, via un courant électrique) enregistrerait une déperdition de 30 %, selon le Réseau de Transport et d'Électricité (RTE), auquel s'ajoutent 30 % à 40 % de déperdition supplémentaire lors de sa transformation en électricité à travers une pile à combustible. Ensuite, l'hydrogène étant un gaz explosif, les risques d'accident ne sont pas à exclure.

Enfin, la rentabilité de ce type de production reste incertaine, car le processus demeure coûteux. Dès 2014, le centre d'analyse France Stratégie indiquait que « les éléments technico-économiques disponibles [...] de production solaire avec stockage à l'aide d'hydrogène révèlent des coûts de production extraordinairement élevés, même pour une expérimentation et qu'en raison de son coût, le stockage énergétique via l'hydrogène dans le réseau de gaz n'apparaît pas pertinent à un horizon prévisible ». Une décennie plus tard, le coût reste dissuasif pour de nombreux observateurs. Toutefois, les interprétations divergent. Selon un rapport publié par BloombergNEF en avril 2021, suite aux progrès de la science, les coûts de l'hydrogène vert pourraient baisser jusqu'à 85% à l'horizon 2050.

À condition de surmonter toutes ces limites, l'hydrogène vert pourrait in fine, permettre de décarboner de nombreux secteurs industriels, d'alimenter les transports et de stocker de l'électricité.

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