Gazoduc Nigeria-Maroc : la réponse aux grands défis

Le mégaprojet porté par le Maroc et le Nigéria de réaliser un gazoduc qui reliera les deux pays est certes un ambitieux défi, mais tout autant crédible au vu de ses enjeux stratégiques. C'est à travers l'intégration des marchés régionaux que les pays du continent pourront élaborer des projets bancables, capables d'attirer les investisseurs et leur permettre de s'arrimer au marché mondial de l'énergie, dont l'avenir repose en partie sur l'exploitation du gaz. De quoi assurer la viabilité des nouveaux projets d'infrastructure énergétiques en Afrique en quête de débouchés pour monétiser son immense potentiel en ressources naturelles.

Lorsque le roi du Maroc et le président de la République fédérale du Nigéria ont annoncé, le 3 décembre dernier à Abuja, l'ambition de construire un gigantesque gazoduc qui devrait relier les deux pays en longeant toute la côte ouest-africaine, beaucoup avait cru à un coup d'éclat diplomatique du Royaume qui était alors en pleine préparation de son retour au sein de l'Union africaine (UA). Il est vrai que le projet est assez titanesque et pourrait presque relever de l'impossible au vu de sa complexité technique, des acteurs à impliquer et surtout des investissements à mobiliser. Pourtant, dès le retour du roi Mohammed VI de sa visite officielle chez Muhammadu Buhari, une commission a été mise en place côté marocain pour baliser les jalons du méga-gazoduc qui continuait encore à alimenter les spéculations.

Il y  avait de quoi en effet, car ce n'est pas la première annonce du genre à capoter. En 2009, le Nigéria, le Niger et l'Algérie avaient signé également un mémorandum d'entente pour la réalisation d'un gazoduc qui devrait relier le Nigéria à l'Algérie, en traversant le Niger sur une distance de 4 000 kilomètres pour une entrée en service, prévue 2015. Le projet n'a pas survécu à l'effet d'annonce, puisque depuis, il est resté lettre morte, même s'il n'est pas exclut au vu des perspectives qu'il soit un jour réactivé avec la découverte de plus en plus importante de gisements de pétrole et de gaz au Niger, ce qui pourrait amplifier la «bancabilité» du projet.

Cependant, sur ce projet de gazoduc transsaharien, c'est l'absence politique qui a fait le plus défaut et c'est visiblement pour occulter ce mauvais augure que le Maroc et le Nigéria ont décidé d'aller vite en besogne dans le cadre du nouveau projet à l'ordre du jour. Le 15 mai 2017, soit juste six mois après la déclaration d'intention d'Abuja, les deux parties ont annoncé la formalisation de leur entente à travers de nouveaux accords pour le démarrage de la deuxième phase du processus, notamment les études de faisabilité et la mobilisation des partenaires financiers. Le gazoduc Nigéria-Maroc est depuis devenu «un projet viable» sur les radars des marchés financiers et énergétiques qui commencent à voir dans ce projet non pas une ambition politique d'intégration régionale, mais plutôt une nouvelle opportunité pour la mise en valeur du potentiel gazier ouest-africain, l'un des plus importants du continent avec celui prouvé en Afrique australe.

Les accords signés à Rabat entre la Compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC) et l'Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) marocain ont en effet permis de faire passer le projet du méga-gazoduc du stade des ambitions à celui de la concrétisation, puisque la nouvelle phase qui va durer neuf mois va être également consacrée aux aspects techniques, notamment l'ingénierie et la conception. D'ailleurs, et selon le comité de pilotage créé à cet effet, c'est à l'issue de ce processus qu'une décision finale sera annoncée. «Il y a moins de six mois, c'était une annonce. Aujourd'hui on lance les travaux de faisabilité avec un échéancier bien clair», n'a pas manqué de souligner à cette occasion, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, pour qui cela témoigne de la crédibilité du projet.

Au stade actuel, on ne connaît donc que les grands détails du gazoduc qui va se traduire par le prolongement sur près de 3000 km du gazoduc ouest-africain qui relie déjà et depuis 2011, le Nigéria au Ghana sur 678 kilomètres, en desservant au passage le Bénin, et le Togo. Il connectera alors 11 pays placés sur son parcours avec l'option déjà envisagée de le prolonger par la suite jusqu'en Europe, un marché en quête justement de nouvelles sources d'approvisionnement afin de réduire sa dépendance à son fournisseur russe.

Selon l'option qui sera au final choisie, il devrait nécessiter un investissement estimé entre 10 et 20 milliards de dollars et le Maroc a déjà sollicité la participation des bailleurs du fonds arabes qui se montrent également intéressés. Le secteur privé sera également partie prenante pour le financement de l'infrastructure qui devrait être en partie et au départ prise en charge et portée par les fonds souverains des deux pays,  le marocain Ithmar Capital et la Nigeria Sovereign Investment Autority qui ont déjà signé un accord de partenariat stratégique. «Les politiques publiques telles que menées aujourd'hui ne sont pas susceptibles de stimuler les investissements privés notamment dans le secteur de l'énergie, alors que ces projets de long terme sont généralement très risqués», appréhende par exemple dans un entretien à la Tribune Afrique, Kandeh Yumkella, ancien vice-secrétaire général de l'ONU pour qui il est «il est indispensable que le secteur privé soit impliqué dans les grands projets d'infrastructures».

Un contexte favorable

Le chemin est encore long et il va falloir régler beaucoup de détails notamment diplomatiques, techniques et financiers. Mais le contexte dans lequel prend forme ce projet commun, porté par deux pays du continent, permet d'en parier déjà sur la crédibilité et donc la faisabilité. D'abord pour les deux pays, car si le Maroc qui, est également en train de développer son secteur, pouvait également sécuriser une nouvelle source d'approvisionnement tout en tirant profit de son expertise industrielle en la matière, pour le Nigéria, il s'agira d'une véritable aubaine économique. La première économie du continent qui a connu ses dernières années une conjoncture des plus défavorables en est aussi le premier producteur et exportateur de produits pétroliers et le pays est à la recherche de nouveaux débouchés pour la valorisation de son immense potentiel surtout gazier.

C'est d'ailleurs une des priorités de sa nouvelle stratégie de croissance qui s'appuie sur une diversification de son économie tout en tirant pleinement profit de ses ressources énergétiques, surtout à la suite de la baisse de ses exportations vers certains de ses anciens importants clients, comme les Etats-Unis. Ensuite, le marché gazier ouest-africain est en plein essor avec la découverte de nouveaux gisements dans plusieurs pays qui seront traversés par le gazoduc. En plus de la Côte-d'Ivoire et du Ghana où des découvertes ont été faites ces dernières années, le Sénégal et la Mauritanie viennent également d'annoncer d'importants gisements mis à jour au large de leurs côtes. La région s'imposera d'ici quelques années comme un des acteurs majeurs du marché mondial de l'énergie gazière et c'est là enfin, l'autre condition favorable au projet de gazoduc: la demande mondiale en énergie surfe sur des perspectives des plus prometteuses avec une montée en puissance du gaz comme l'une des principales sources du mix énergétique des prochaines décennies.

Les défis sont certes complexes, mais les enjeux sont stratégiques pour les pays qui seront impliqués dans la réalisation de ce mégaprojet d'intégration régionale qui permettra de valoriser les ressources de la sous-région et d'en rentabiliser la production. Car il ne suffit pas de disposer des ressources pour en tirer pleinement les profits qui vont avec, comme c'est le cas justement aujourd'hui pour le Nigéria qui est obligé de «torcher», c'est-à-dire d'en brûler une production presque aussi équivalente au gaz qu'il exporte, par manque surtout d'infrastructures pour le transport ou la production.

Ce n'est pourtant pas la demande qui manque, tant pour le pays qui accuse paradoxalement un déficit criant en matière de disponibilité d'énergie, que pour les autres pays de cette sous-région de plus de 300 millions de personnes, l'une des moins électrifiées du monde, donc de la sous-région. En dépit d'un potentiel estimé à au moins 25 000 MW, l'Afrique de l'Ouest n'exploite jusque-là que moins de 20 % de ses capacités énergétiques, même si ces derniers temps les projets nationaux ou sous-régionaux se multiplient pour rehausser l'offre et contribuer à l'émergence d'un véritable marché sous-régional de l'énergie.

C'est à peu près l'argument que le Maroc met en avant pour justifier l'opportunité du projet de gazoduc qui «permettra à terme à tous les pays de l'Afrique de l'Ouest d'alimenter leurs centrales électriques respectives en gaz, mais aussi d'alimenter leurs unités industrielles et domestiques». Ainsi, d'après les orientations initiales qui devraient porter le projet, le pipeline sera conçu de manière à «accélérer les projets d'électrification dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest, servant ainsi de base pour la création d'un marché régional compétitif de l'électricité, susceptible d'être relié au marché européen de l'énergie». Côté nigérian, on met également la vocation du projet à contribuer «à la création de pôles industriels susceptibles d'attirer les investissements étrangers. Le projet facilitera de ce fait l'essor de secteurs allant de l'industrie à la transformation alimentaire en passant par les engrais et améliorera la compétitivité des exportations, principalement entre pays africains».

Infrastructures énergétiques, le grand défi

Sous ses différents angles, le projet de réalisation du gazoduc Maroc-Nigéria apparaît donc comme l'une des alternatives que priorisent les analystes et experts pour permettre au continent de combler son déficit en matière d'énergie et surtout d'intégrer le marché mondial de l'énergie. «Les investissements dans l'énergie sont complexes. D'une part, ils requièrent des compétences d'ingénierie pour concevoir les projets, et d'autre part, nécessitent des compétences financières pour concevoir les financements à long terme» reconnaît dans un entretien à La Tribune Afrique, Kandeh Yumkella, ancien vice-secrétaire général de l'ONU. Celui qui a été également directeur de l'ONUDI, fait remarquer que dans plusieurs cas de figure, «l'Afrique ne dispose d'abord pas des expertises adéquates pour concevoir des projets de long terme, qu'il s'agisse d'énergie, de routes ou d'autres types d'infrastructures».

Le développement de projets géants un peu partout au monde pour la mise en valeur des sources d'énergie conventionnelles ou non, laquelle s'explique par la croissance attendue de la demande, est un facteur à prendre en compte. Pas seulement comme des opportunités, mais aussi comme des défis puisqu'il va falloir être compétitif pour faire face à la concurrence. «Dans une économie mondialisée marquée par l'éclatement des chaînes de production, la qualité des infrastructures de production, de communication et de transport joue un rôle au moins aussi important dans la stratégie compétitive d'une économie», argumente Jean Baptiste Harelimana, chargé des programmes à l'Institut africain du monde (IAM). Selon l'avis de cet expert en financement d'infrastructures énergétiques, étant donné ses multiples avantages, l'intégration accrue des systèmes et des marchés énergétiques africains notamment au niveau régional et continental, est considérée comme une priorité.

«L'intégration des marchés de l'énergie nécessitera des investissements en infrastructures physiques -lignes électriques, gazoducs et oléoducs- et un meilleur fonctionnement du marché de l'énergie. Une meilleure intégration des marchés de l'énergie nécessitera des actions communes», finit-il par conclure dans une tribune en marge du dernier sommet Afrique/Etats-Unis sur le financement des infrastructures énergétiques. Harelimana estime également que le grand défi pour le continent est de parvenir notamment à «définir des mesures appropriées pour garantir un meilleur fonctionnement des marchés de l'énergie et de trouver les investissements supplémentaires nécessaires au développement des infrastructures requises, en particulier au niveau des interconnexions énergétiques c'est-à-dire les lignes électriques, gazoducs et oléoducs». Une donne qu'intègre le mégaprojet de gazoduc Nigéria-Maroc, comme en atteste le lancement de plusieurs autres initiatives du genre sur le continent.

En Afrique australe, l'autre marché gazier important du continent, la Tanzanie et l'Ouganda viennent de signer, le 30 mai dernier,  un accord-cadre pour la construction d'un pipeline d'exportation de pétrole brut de 1 445 kilomètres et qui devrait mobiliser une enveloppe de 3,55 milliards de dollars pour une entrée en service prévue d'ici les trois prochaines années. En juin 2016, le Kenya et l'Ethiopie ont auparavant signé un autre accord relatif, lui aussi, à la réalisation d'un pipeline, au coût estimé à près de 1,8 milliard d'euros, devant transporter du pétrole entre la ville côtière de Lamu et Addis-Abeba et qui devrait être mis en service en 2021. Il s'agit là aussi du premier volet d'un autre mégaprojet d'infrastructures énergétiques: le «Lamu Port and Lamu Southern Sudan-Ethiopia Transport Corridor» (Lapsset) qui vise comme principal objectif de connecter la région par des oléoducs afin de transporter le brut éthiopien, sud-soudanais et kényan au port en construction de Lamu, pour un coût initial estimé à près de 25 milliards de dollars.

C'est qui est bien la preuve que l'Afrique prend enfin en charge la réponse à ses grands défis. Un pas de plus pour le continent qui, après avoir longtemps compté sur l'assistanat auprès de la communauté internationale, commence à compter sur ses propres moyens... en faisant confiance à l'Afrique.

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Commentaires 3
à écrit le 07/09/2017 à 10:30
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Les grands gisements gaziers du Sénégal et de la Mauritanie qui sont sur le point d'être mis en exploitation par les américains ont besoin d'un gazoduc de ce gazoduc et l'Algérie sait pertinemment que le projet de gazoduc se réalisera car de nombreus...

à écrit le 23/06/2017 à 3:52
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Aucun

à écrit le 21/06/2017 à 19:56
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si jamais ils s'ajouteront au Nigeria , le Sénégal , la Mauritanie , et d'autres de la CEDEAO ??????

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