Gaz : un fossile qui a de l'avenir en Afrique

Disposant d'un important potentiel gazier mais encore peu exploité, l'Afrique est en passe de devenir un acteur clé du marché mondial. A condition toutefois que les financements destinés à la réalisation des infrastructures nécessaires et adaptées suivent. L'enjeu est double pour le continent qui pourra ainsi faire d'une pierre deux coups : combler son déficit criant en énergie, mais aussi répondre à une demande mondiale en pleine expansion.

Après l'âge d'or du pétrole, l'Afrique se prépare à vivre, dans les prochaines années, celui du gaz. En dépit des déconvenues et des vents contraires qui n'ont pas permis au continent, principalement les gros producteurs, de s'appuyer sur l'exploitation de leurs gisements d'or noir pour accélérer leur développement socio-économique, le potentiel gazier offre à l'Afrique une nouvelle occasion d'inverser la tendance et d'amorcer véritablement la marche tant espérée vers l'émergence. D'autant plus que contrairement au pétrole, où l'enjeu principal était de tirer de substantiels revenus grâce surtout à l'exportation, pour le gaz l'enjeu est double. D'une part, il s'agira de combler le déficit criant en termes d'accès à l'énergie qui plombe la dynamique de croissance et d'autre part, mobiliser de nouvelles ressources financières sur un marché mondial très prometteur, notamment pour ce qui est du gaz naturel liquéfié (GNL).

Le secteur gazier africain est en plein essor et la dynamique va s'accélérer sur les prochaines années en raison d'une demande mondiale de plus en plus importante, mais aussi et surtout des investissements dans les infrastructures d'exploration, de production, de transport et de distribution. Dans une de ses dernières études sur les perspectives africaines en gaz, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que «la production gazière de l'Afrique subsaharienne devancera celle de la Russie d'ici 2040 sur les marchés internationaux». A cette échéance, l'Afrique subsaharienne produira près de 175 milliards de mètres cubes par an (mmc/an) de gaz naturel, alors que la production russe sera d'environ 130mmc/an. Le continent deviendra donc un des acteurs majeurs du marché mondial, même si le volume de sa production restera inférieur à celui des Etats-Unis, avec près de 240mmc/an attendus en 2040, grâce notamment à l'essor de l'exploitation du gaz de schiste. Ce qui fait de la production africaine l'une des plus prisées, en raison notamment de l'argument marketing du respect de l'environnement.

«Le gaz est amené à jouer un rôle dans la transition énergétique en raison de son abondance, de son aptitude à être utilisé avec des hauts rendements et de ses qualités environnementales, aussi bien sous l'angle du climat avec ses faibles émissions de gaz à effet de serre, que sous celui de la qualité de l'air avec de très faibles rejets de polluants atmosphériques et de particules», détaille les experts de l'AIE dans le World Energy Outlook 2015.

Un potentiel confirmé pour le continent

Le potentiel gazier du continent était prometteur depuis déjà une décennie, même si ce n'est que récemment que le secteur a entamé une nouvelle dynamique de croissance, grâce notamment à aux découvertes de gisements offshore qui se succèdent ces dernières années : en Afrique de l'Ouest, en Afrique australe, mais aussi en mer méditerranéenne au large des côtes égyptiennes, avec le gigantesque gisement de Zohr et ses réserves estimées à 850 milliards de mètres cubes de gaz et qui a été mis en évidence en 2016 par l'italien ENI. Dans ce domaine, certains pays du continent comme le Nigéria et l'Algérie disposent d'une certaine expertise dans l'exploitation et l'exportation du gaz, surtout liquéfié. Mais d'ici quelques années et à la suite de l'entrée en service de plusieurs plates-formes de production, la liste des pays producteurs va s'allonger. Selon l'AIE, c'est l'Angola, le Mozambique, le Nigéria et la Tanzanie qui en deviendraient les premiers producteurs. Mais d'autres pays disposent également d'un potentiel confirmé devrait leur permettre de jouer également un rôle majeur sur les marchés. C'est le cas notamment en Afrique de l'Ouest puisqu'en plus du Nigéria, qui est actuellement un des principaux acteurs du marché mondial du gaz et qui disposent des plus importantes réserves du continent, des pays comme le Ghana ou la Côte d'Ivoire, et tout récemment le Sénégal et la Mauritanie, ont annoncé la découverte de nouveaux gisements assez consistants, comme celui découvert en janvier 2016 au large de Saint-Louis avec des réserves estimées à 450 milliards de mètres cubes, soit le plus grand gisement de l'Afrique de l'Ouest. Cette dynamique confirme ainsi les projections faites auparavant.

En 2014 déjà, une étude du cabinet de consulting international PricewaterhouseCoopers (PwC) mettait en relief les perspectives très reluisantes de l'industrie gazière du continent avec une très forte croissance attendue à la suite de la découverte de nouveaux gisements en Afrique occidentale et orientale. Les estimations établies à l'époque dans Africa oil & gas review : on the brink of a boom faisaient cas de près de 15 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz naturel confirmées, avec une production annuelle qui déjà se hissait à 184 milliards de mètres cubes. Depuis, de nouveaux gisements ont été mis à jour et les investissements dans le secteur n'ont cessé de grimper en flèche.

Les perspectives favorables pour l'industrie gazière africaine sont largement portées par la dynamique que connaît le marché mondial avec la hausse attendue de la demande énergétique. Dans ses Perspectives énergétiques à l'horizon 2040, publiés en 2017, la firme américaine ExxonMobil s'attend, sur la base de l'analyse des tendances du marché mondial, que  la demande énergétique mondiale augmente d'environ 25 % d'ici 2040, portée par une croissance économique associée à la croissance démographique. «Le pétrole et le gaz naturel représenteront probablement près de 60 % de l'offre mondiale en 2040, tandis que l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables augmenteront d'environ 50 % pour constituer près de 25 % du mix énergétique mondial», a fait ressortir l'analyse. Ce qui rejoint, dans l'ensemble, la plupart des scénarii auxquels s'attendent experts et acteurs du marché. La demande en gaz est celle qui évolue le plus, principalement pour répondre aux besoins croissants en électricité et à l'intensification de la demande industrielle. Selon l'étude, si le pétrole reste encore et pendant un temps la principale source d'énergie au monde, le gaz connait une croissance assez soutenue qui tire celle de l'ensemble des énergies.

«Le gaz naturel est la source d'énergie qui croît le plus et à l'horizon 2040. Il représentera un quart de la demande mondiale d'énergie en plus de supplanter dans la prochaine décennie le charbon comme deuxième combustible mondial .Car étant abondant et polyvalent, il permet au monde d'aller vers une production d'électricité moins émettrice de CO₂, et émerge comme étant un carburant possible pour certains types de transports», commentent les analystes de la firme.

Avec 30 % des réserves mondiales de gaz, le continent a donc de quoi s'attendre à profiter du boom qui se profile pour l'industrie du secteur.

Un acteur majeur du marché mondial en devenir

 «L'Afrique subsaharienne restera un acteur clé sur les marchés pétroliers internationaux, tout en émergeant en tant qu'acteur de premier plan pour ce qui est des marchés de gaz naturel», avait annoncé l'AIE pour qui  «investir dans des projets liés au gaz naturel liquéfié (GNL) pourrait augmenter de façon significative la diversification des importations gazières vers l'Europe qui cherche à réduire sa dépendance russe».

Le Nigéria, en dépit des problèmes propres à son écosystème industriel, est déjà un des principaux fournisseurs mondiaux de gaz et l'Algérie un acteur clé dans l'approvisionnement énergétique européen, notamment français, et plusieurs autres pays (Angola, Libye, Guinée équatoriale, Gabon) disposent d'embryon de sites industriels sur lesquels ils peuvent s'appuyer pour monter en gamme et donc devenir de plus en plus compétitifs. La moitié de la croissance globale de la production de gaz africain serait, selon plusieurs analyses, destinée à la production nationale d'électricité et à l'industrie. Mais une partie pourrait être exportée vers l'Europe et l'Asie, des marchés très prometteurs qui convoitent déjà les opportunités. L'Afrique n'exporte pour le moment qu'une petite partie de son gaz, tout comme elle en consomme une petite quantité par rapport à son potentiel. De nouveaux arrivants sur le marché africain sont en train de faire exploser la demande. Les Etats-Unis ont certes et depuis plusieurs années réduit progressivement et drastiquement leurs importations africaines de gaz, principalement du Nigéria, avant que la Chine ne prenne le relais. Entre 2015 et 2016, les importations chinoises du GNL nigérian ont en effet bondi de près de 60 % et Pékin a annoncé dernièrement de nouvelles ambitions pour acheter plus.

Défis et enjeux de la valorisation

La montée en flèche de la demande mondiale, ainsi que le besoin local en énergie, offre une nouvelle opportunité pour les pays africains disposant de gisements avérés d'accélérer les réformes pour accompagner l'émergence d'une véritable industrie gazière africaine. C'est en effet tout l'enjeu pour le continent, car aussi prometteuses que soient les opportunités qu'offre le marché mondial du gaz, il reste des défis à relever, même pour les pays disposant d'une relative expertise en la matière -comme l'Algérie ou le Nigéri- pour tirer pleinement profit de leur gisement. C'est ce que les experts appellent le défi de la valorisation ou de «monétisation du gaz».

Par manque d'infrastructures d'extraction, de transport ou de distribution, l'Afrique perd énormément déjà à travers la pratique dite de «torchage» consistant à brûler une grande quantité du gaz produit. Selon la Banque mondiale, le phénomène est certes mondial, puisque près de 150 milliards de m³ de gaz naturel sont ainsi gaspillés chaque année. Mais à lui seul, le continent s'adjuge une facture de 40 milliards de dollars, soit  la moitié de sa consommation d'énergie. Certaines années, la production que le Nigéria exporte équivaut à celle de gaz évasé ou brûlé, même si ces dernières années, le développement de certaines techniques de production plus modernes a permis par exemple à certaines compagnies opérant dans le pays de réduire de moitié leur taux de «torchage», à l'exemple du français Total entre 2005 et 2015. La liquéfaction du gaz (GNL) offre en ce sens et d'après les experts, de nouvelles pistes pour la valorisation du gaz.

La situation de l'industrie gazière nigériane est à ce titre assez révélatrice des principaux enjeux stratégiques, mais aussi des défis qui se posent aux pays africains dans cette nouvelle ère de «prospérité gazière» qui se profile pour le continent et qui ne reste pour l'heure qu'au stade des prévisions. Ainsi, dans une de ces notes d'analyses sur le profil énergétique du Nigéria et les perspectives de son secteur, l'Agence américaine de l'information sur l'énergie (EIA) explique que si le Nigéria est le quatrième exportateur de GNL au monde, il pourrait être relégué d'ici quelques années  au-delà du dixième rang des fournisseurs.

A moins que les investissements conséquents suivent pour, entre autres, moderniser et renforcer son industrie. La bonne nouvelle, c'est que dans le sillage de la croissance que connaît la demande mondiale, les investissements conséquents, notamment en Afrique, prennent de plus en plus de l'ampleur dans des projets gaziers géants. Même s'il va falloir aux décideurs publics de poursuivre les réformes réglementaires et surtout fiscales pour mieux drainés les flux, ce qui conforte les prévisions selon lesquelles l'Afrique se hisserait dans  les deux prochaines décennies au rang de deuxième exportateur net de gaz et d'acteur majeur du marché mondial. A charge pour le continent d'en savoir tirer des gains de croissance pour accompagner son développement, en tirant la leçon de ceux perdus  durant l'épopée des booms pétroliers pour éviter une nouvelle malédiction, cette fois, du gaz...

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