Pétrole en Afrique : retour sur terre...

Le pouls des pays pétroliers restera-t-il indéfiniment irrégulier ? Après la rencontre tant attendue de l'Opep à Vienne, l'avenir à court et moyen terme du marché mondial de l'or noir reste suspendu au gré de la fluctuation des cours, des investissements et des politiques menées par les grands producteurs.
Ristel Tchounand

«Déprime», «déception», «inquiétude»,... Voilà les termes qui reviennent sur l'ambiance qui règne sur le marché pétrolier international depuis la dernière réunion de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), tenue le 25 mai dernier à Vienne. Les pays membres ont en effet décidé reconduire, sur les neuf prochains mois, l'accord de réduction de la production de pétrole, acté le 30 novembre 2016 et entré en vigueur le 1er janvier 2017 pour une durée de six mois.

Conformément aux textes de ce protocole, le cartel va ainsi maintenir à 32,5 millions de barils sa production pétrolière journalière jusqu'en mars 2018. Une nouvelle dont ont eu raison les cours sur les marchés internationaux.

«Surprenante réaction des marchés»

La reconduction de l'accord était déjà anticipée sur les marchés à la veille de la rencontre de Vienne. Les cours avaient commencé à reculer tout doucement, mais l'effet des jours d'après était assez inattendu. Passés sous la barre des 50 dollars, leur oscillation depuis -au gré de l'offre et la demande- peine à les porter au-delà des 51 dollars, niveau pourtant dépassé trois jours avant la réunion de Vienne. «La réaction du marché pétrolier a été surprenante», indique à La Tribune Afrique, Jean-Pierre Favennec, président de l'Association pour le développement de l'énergie en Afrique (ADEA), professeur à Sciences Po et à l'Ecole nationale supérieure du Pétrole et des Moteurs à Paris et consultant WDCooperation. D'après lui, ce recul des cours est dû au fait que les marchés ont jugé qu'«il y avait encore trop de brut disponible».

Le palabre des stocks

Depuis plusieurs semaines en effet, la question de la taille des stocks de pétrole revient souvent. Plusieurs analystes l'estiment capitale dans l'évolution du rééquilibrage des cours de l'or noir sur les marchés internationaux. L'Agence internationale de l'Energie (AIE) a d'ailleurs interpellé sur le sujet à la mi-mai, estimant que la résorption des stocks abondants devrait être une priorité pour les pays pétroliers pour qui la remontée des cours serait salutaire. A ce moment, l'Agence mettait en garde, estimant que même en cas de reconduction de l'accord de l'Opep, «les stocks à la fin de 2017 pourraient rester supérieurs à leur moyenne sur cinq ans. Ce qui suggère qu'il reste beaucoup à faire au second semestre de 2017 pour continuer à les résorber».

Quelques jours avant l'ultime rencontre de Vienne, la publication par l'Agence américaine d'information sur l'énergie d'une baisse de 4,4 millions de barils des stocks américains pendant la semaine du 19 mai, soit deux fois plus que les -2 millions pronostiqués par les analystes, renforçait l'optimisme d'une tendance haussière des cours. Car, face aux efforts de réduction de la production de l'Opep, le nerf de la guerre reste toujours la production américaine qui, facilement adaptable, profite généralement du ralentissement du cartel pour gagner les marchés. Au regard des programmes actuels, l'Opep devrait baigner dans l'inconfort cette année puisque, à priori, la production américaine devrait croître de 790 000 barils par jour, grâce au dynamisme du pétrole de schiste.

Optimisme à moyen terme

Au lendemain de la réunion de Vienne, alors que très peu allaient au-delà de l'inquiétude dominante sur les marchés, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, dans un commentaire à la presse en marge de l'assemblée générale des actionnaires du groupe pétrolier à Paris le 26 mai, félicitait le cartel pour la reconduction de son accord : «Je pense que l'Opep fait bien son travail. C'est une bonne décision. La bonne décision, c'est d'être allé au-delà de six mois [de réduction de la production] parce que cela permet d'avoir un horizon jusqu'en 2018».

Et de l'avis de Jean-Pierre Favennec, les opérateurs qui continuent de baigner dans l'inquiétude observent plus la situation sur le court terme. L'expert admet que l'importance actuelle des stocks de pétrole, conjuguée aux plans de hausse de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, puisse constituer une source d'inquiétude. Mais, assure-t-il, «à moyen terme, deux facteurs devraient favoriser une remontée des cours : d'une part, la demande de pétrole augmente rapidement du fait des prix bas ; et d'autre part, la production de pétrole conventionnel (hors pétrole de schiste américain) stagne ou diminue faute d'investissements, les compagnies pétrolières étant très réticentes à investir dans les nouvelles capacités de production -absolument nécessaires- à cause du faible prix du pétrole».

Investissements : avancer, reculer

Cette hausse de la demande de pétrole- continue depuis 2015, grâce à la consommation dans les principales économies émergentes et les pays en voie de développement- évoquée par Jean-Pierre Favennec, a également retenu l'attention de l'AIE dans son rapport de mars dernier sur le marché pétrolier à moyen terme. En substance, cela devrait avoir une incidence positive sur les cours. Cependant, l'institution s'attend à ce que la hausse de la demande, conjuguée au ralentissement des investissements dans l'exploration, produise un nouveau choc pétrolier d'ici 2020, si gouvernements et entreprises n'appuient pas sur l'accélérateur des investissements dans ce secteur.

Pour rappel, les investissements dans les projets d'exploration-production à travers le monde, qui étaient de 780 milliards de dollars en 2014, ont chuté de 25% en 2015, puis de 24% en 2016. Or, selon les experts, mettre un frein aux investissements revient à réduire progressivement l'offre dans le temps. D'après les précisions scientifiques de Jean-Pierre Favennec, un champ pétrolier privé d'investissements diminue «assez rapidement de l'ordre de 5% environ par an».

tableau investissements pétrole afrique

Grandement affaiblis par l'effondrement des cours de l'or noir ces dernières années, les pays africains tentent aujourd'hui de renouer, tant bien que mal, avec l'investissement. Mais de manière générale, ceux-ci restent dans le domaine de l'exploitation. Cette année, le premier producteur régional, le Nigéria, a annoncé de nombreux projets, dont celui visant à améliorer les infrastructures sectorielles, moderniser des raffineries publiques existantes et développer de nouvelles raffineries. Le tout pour une enveloppe de 10 milliards de dollars, dans le but de porter la production nationale à trois millions de barils par jour, contre 1,68 million actuellement.

En Afrique centrale, de nouveaux projets d'investissements pourraient également bientôt voir le jour au Congo Brazzaville qui ambitionne de porter sa production à 350 000 barils par jour (un niveau jamais atteint), contre 290 000 actuellement. Idem pour la Guinée équatoriale qui vient d'intégrer l'Opep. Bien que le pays soit actuellement versé dans une vaste politique de diversification économique pour sortir son économie de la récession et amoindrir sa dépendance au pétrole, Malabo n'écarte pas les investissements pour le développement de ce secteur qui reste stratégique.

A l'ouest du continent, le Sénégal, pays pétrolier en devenir où d'importantes découvertes de pétrole et gaz ont été faites récemment, le gouvernement veut dynamiser l'exploration pétrolière. Début mai, Dakar a signé avec le pétrolier français Total un accord pour l'exploration sur le bloc Rufisque Offshore Profond d'une superficie de 10 357 km2. Et plusieurs autres projets de ce type sont à venir. Au niveau de la sous-région australe, plusieurs projets de pipeline pétrolier ont été annoncés, notamment en Zambie, en Tanzanie, et en Ouganda. En Afrique du Sud, la ministre du Pétrole Mmamoloko Kubayi, lors d'une intervention au Parlement en mai dernier, a appelé le gouvernement à décider avant la fin de l'année de la construction d'une nouvelle raffinerie. Si Johannesburg y répond favorablement, cela donnera lieu à de nouveaux investissements étrangers. Et les Iraniens sont déjà sur la liste d'attente.

Piège ?

Parallèlement, dans des pays au potentiel non négligeable comme le Togo, dont le sous-sol disposerait d'importantes quantités de pétrole selon la coordination nationale de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), aucun plan d'investissement n'a vu le jour. Les autorités seraient timorées suite à l'expérience douloureuse de 2012 avec la société nationale italienne des hydrocarbures, ENI, avec laquelle Lomé n'avait réussi à s'entendre sur les clauses de l'exploration.

Plusieurs autres pays, pourtant acteurs du secteur pétrolier, sont absents sur l'agenda des investissements pétrolifères. C'est le cas notamment du Tchad en récession suite à la chute des cours, le Cameroun voisin à l'économie pourtant mieux lotie, ou encore le Gabon concentré sur sa nécessaire diversification économique. Le marché mondial de l'or noir étant foncièrement soumis au dictat de la fluctuation des cours, l'ENI a souligné ce paradoxe dans son rapport de mars, estimant qu'en cas d'une éventuelle envolée des cours, l'Afrique pourrait se retrouver perdante, faute d'investissements.

En attendant que se concrétisent les projets déjà dévoilés, l'heure est à la bataille pour une stabilisation des cours du pétrole, au moins, autour des 50 dollars. Pour Jean-Pierre Favennec, c'est une certitude sur le court terme. «Le prix du pétrole devrait dans un premier temps se stabiliser autour de 50 dollars le baril avant de remonter légèrement vers la fin de l'année», prévoit-il. L'expert note que l'Opep (pourtant connu pour la «tricherie» de certains membres comme le Koweït) et la Russie ont «assez remarquablement bien observé les accords de plafonnement de la production». Et ils y ont bien intérêt, car «en tout état de cause, une rupture de la discipline provoquerait un effondrement des prix, préjudiciable à l'ensemble des producteurs qui dépendent pour l'essentiel du pétrole pour alimenter leur budget», concède-t-il.

Le prochain ultime rendez-vous de l'Opep aura lieu en mars 2018 pour rendre compte des résultats de l'accord du 25 mai 2017 et donner le ton pour la suite. L'année prochaine, si tout marche comme le veut le président Donald Trump qui projette de vendre la moitié des réserves de pétrole brut américain, les Etats-Unis auront peut-être introduit dans leur budget annuel cette décision de Trump. Mais dans tous les cas, le monde pourrait connaître une tout autre configuration du marché de l'or noir. n

3 questions à Jean Pierre Favennec, Président de l'Association pour le développement de l'énergie en Afrique

Favennec

Quel bilan faites-vous du marché qui vient de subir un énième rebondissement, avec une légère chute du cours du baril, après la décision de l'Opep de reconduire son objectif de réduction de la production jusqu'en mars 2018 ?

Lors de sa réunion du 25 mai dernier à Vienne, l'Opep a décidé de prolonger de 9 mois le plafonnement de sa production à 32 millions de barils par jour, l'Iran, la Libye et le Nigéria n'étant toutefois tenus par ce plafonnement. Les pays non Opep ont également prolongé les engagements de limitation de la production de décembre dernier. La réaction du marché pétrolier a été surprenante. Considérant qu'il y avait encore trop de brut disponible, les prix ont baissé à l'issue de la réunion de l'opep. Il est clair que les stocks de pétrole sont encore très conséquents et que la production de pétrole de schiste américaine augmente. Ce qui est un «mauvais» signe pour les opérateurs.

Cependant ceci est une nouvelle démonstration que les opérateurs ne regardent que le court terme. A moyen terme, deux facteurs devraient favoriser une remontée des cours. Premièrement, la demande de pétrole augmente rapidement du fait des prix bas. Et deuxièmement, la production de pétrole conventionnel (hors pétrole de schiste américain) stagne ou diminue faute d'investissements. Les compagnies pétrolières sont très réticentes à investir dans les nouvelles capacités de production, absolument nécessaires, à cause du prix faible du pétrole

Au regard du contexte actuel, à quoi devrait-on s'attendre au cours des six prochains mois, selon vous ?

Le prix du pétrole devrait dans un premier temps se stabiliser autour de 50 dollars par baril, avant de remonter légèrement vers la fin de l'année. Les accords de plafonnement de la production ont été assez remarquablement bien observés par les pays producteurs. En tout état de cause une rupture de la discipline provoquerait un effondrement des prix, préjudiciable à l'ensemble des producteurs qui dépendent pour l'essentiel du pétrole pour alimenter leur budget

La Guinée équatoriale vient de rejoindre l'Opep. Pensez-vous que cette adhésion pourrait particulièrement être bénéfique au cartel ?

Il est certain que plus le nombre de pays adhérents sera important, plus l'Opep sera forte. Remarquons cependant que la Guinée équatoriale ne représente que 1% environ de la production totale de l'organisation. Donc cette adhésion est intéressante, mais son influence est limitée.

Ristel Tchounand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.