Un littoral à sécuriser, un océan à préserver

Les ressources marines et océaniques peuvent permettre à l'Afrique de bâtir une véritable économie de développement. Seulement, leur exploitation pose la question transversale de la surexploitation et de la durabilité. Plus que jamais, l'Afrique est prise entre le marteau d'exploiter ses ressources pour le développement d'un continent pauvre et l'enclume de préserver l'avenir des futures générations.
Ibrahima Bayo Jr.

Pour l'Union africaine, l'économie "bleue" est "la nouvelle frontière de la renaissance de l'Afrique". Avec 38 états côtiers, 13 millions de kilomètres carrés de zones maritimes et 240 000 kilomètres carrés de lacs, le continent a de quoi se constituer en pôle économique pour amorcer une croissance basée sur l'économie liée à l'eau et à l'exploitation ses ressources. Mais, l'exploitation de cette vaste aire de développement économique sera-t-elle respectueuse de l'environnement ?

Potentiel économique et défis "écolo-climatiques"

Si l'économie bleue peut constituer un potentiel pour l'essor économique du continent le plus pauvre, toute la difficulté pour l'Afrique sera d'inscrire l'exploitation des ressources issues des milieux aquatiques dans le cadre d'une gestion économique intelligente, durable et respectueuse de l'environnement. En effet, des phénomènes naturels ou provoqués par l'homme impactent l'exploitation de ressources côtières, halieutiques et marines africaines.

Sur le plan climatique, la fonte des glaces et la montée du niveau de la mer qui l'accompagne a eu des répercussions sur le continent noir. L'érosion côtière due à la montée des eaux menacent la viabilité des Etat insulaire comme l'Ile-Maurice qui a vu 11 % de son littoral emporté par l'érosion et fragilisé les récifs coralliens. Un Etat côtier comme le Togo a perdu 296 millions de dollars soit 3 % de son PIB en 2013 en raison de la dégradation côtière et des opportunités économiques perdues à cause de l'érosion. De plus, le dérèglement climatique et la hausse des précipitations qu'il entraîne s'est traduit par des inondations qui ont touché 500.000 personnes rien qu'en Afrique de l'Ouest.

Outre ces menaces d'origine naturelle, d'autres phénomènes causés par l'homme entravent le décollage économique l'océan. La plus spectaculaire, c'est le pillage des ressources maritimes par les bateaux européens, russes ou asiatiques par le truchement de la pêche illicite, illégale et non déclarée (INN) prenant la forme d'exploitation sans autorisation, de prises d'espèces protégées, d'utilisation d'équipements interdits et de non-respect des quotas de pêche dans les eaux territoriales africaines.

Cette activité opère une véritable saignée économique des ressources du continent (une perte de 1,5 milliard d'euros dans le Golfe de Guinée) et peut nuire à la protection et à la sauvegarde des espèces et au renouvellement de la faune et des écosystèmes marins. Elle peut également causer des problèmes de sécurité alimentaire pour les communautés côtières qui vivent de produits de la pêche. Pire encore, elle entraîne la paupérisation des 12,3 millions d'Africains employés dans le secteur et donc leur exode vers d'autres cieux.

Le paradoxe du développement

D'un autre côté, l'Afrique est riche en ressources minérales dont certaines sont localisées sur les littoraux. Leur exploitation s'accompagne de l'installation de plateformes pétrolières pour leur extraction, d'oléoducs sous-marins pour leur acheminement, de terminaux pour leur stockage et d'usine de liquéfaction pour leur transformation avant leur exportation vers les pays consommateurs. C'est durant ce mouvement de transport que ces combustibles sont les plus vulnérables.

Des pirates, le plus souvent des pêcheurs en arrêt de travail en raison de surpêche ou de repos biologique décrétés par les Etats, sont spécialisés dans le bunkering. Une technique de siphonage de carburants dans les pipelines des sociétés pétrolières ou de détournement de brut dans des barges ou les terminaux de stockage. Une activité illégale qui a fait perdre au Nigéria 7% de ses revenus pétroliers en 2013, avant que les opérations de sabotage n'enfoncent encore plus l'économie du pays. Dans le Golfe de Guinée, les pertes sont estimées à 2 milliards de dollars. Cette situation entraîne parfois aussi des catastrophes écologiques. En effet, ces vols commis à l'arrachée entraînent souvent une déperdition de fuel qui polluent la mer de façon accidentelle ou provoqué.

En matière de pollution marine, le déversement illégal d'effluents pétroliers et de déchets toxiques par les navires vraquiers représente la menace la plus sérieuse pour les océans et les mers. L'affaire du Probo Koala est restée dans les esprits comme une des plus graves catastrophes écologiques sur le continent. En 2006, ce un navire affrété par la société suisse Trafigura a déchargé près de 600 tonnes de déchets toxiques sur le port d'Abidjan provoquant la mort d'une dizaine de personnes et l'intoxication de dizaines de milliers d'autres. Outre les conséquences humaines, les impacts sur les mangroves, les herbiers marins et les écosystèmes côtiers n'ont pas encore été mesurées avec précision.

La pollution marine peut, dans d'autres cas, être provoquée par le dégazage des navires pétroliers. Pour minimiser les risques d'érosion, les citernes des pétroliers, des navires de pêche ou de guerre sont ventilées pour en éliminer les gaz nocifs. Dans bien des cas, ce sont les combustibles de propulsion (souvent de mauvaise qualité) qui, après leur utilisation, sont rejetés par les bateaux dans la mer en raison du non-équipement de certains ports d'infrastructures de pompages des déchets.

Autres éléments de contamination des mers et des océans, les eaux usées non traitées qui polluent les zones côtières ou encore la floraison d'algues toxiques nourries par des fertilisants issus d'activités agricoles. Ces algues toxiques contribuent à la création de « zones mortes » dénommées ainsi en raison de l'absence d'oxygène. Et pour allonger la liste des défis, l'accélération de l'activité agricole dopée par une explosion de la démographie conduit à la construction de barrages donc le détournement de rivières, de fleuves pour l'irrigation des terres.

Les défis écologiques sont énormes pour un continent dont les richesses minérales, côtières et marines sont foisonnantes. La tentation de bâtir une économie "bleue" pour amorcer le développement économique de l'Afrique est forte. Pourtant l'Afrique doit regarder ses promesses d'avenir avec les jumelles de la durabilité.

Ibrahima Bayo Jr.

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