Martina Biene – Volkswagen : « Notre ambition africaine est grande »

L’industrie automobile en Afrique a connu quelques moments forts avant la crise qui a frappé le monde il y a trois ans. Mais à mesure que le business reprend des couleurs, des géants comme l’allemand Volkswagen reprend son déploiement sur fond de l’agenda stratégique de la Zone de libre-échange continental africaine (Zlecaf). Martina Biene est Présidente et CEO de Volkswagen Afrique du Sud et c’est elle qui pilote la stratégie du constructeur au Sud du Sahara. Pour La Tribune Afrique, elle détaille, entre autres, les projets de la firme notamment en Afrique de l’Ouest où un regard particulier est porté sur le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Les défis de l’industrie automobile, mais aussi le futur en véhicules électriques sont autant de sujets sur lesquels elle jette un regard. Entretien.
Ristel Tchounand
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE AFRIQUE - Le groupe Volkswagen a récemment annoncé des résultats en hausse de 7% au niveau global. Qu'en est-il des activités africaines ?

MARTINA BIENE - Nos activités restent dynamiques, notamment en Afrique du Sud et au Rwanda où nous disposons d'une filiale ou encore les activités que nous menons avec nos partenaires au Kenya et au Ghana. Cependant, nous n'avons pas encore conclu notre année pour être à même de communiquer sur nos résultats annuels en termes financiers. Mais je dirais que nos activités vont bon train sur le continent. Elles ne sont encore à la mesure de ce que nous voulons faire, mais les choses se mettent en place pas à pas.

Outre votre importante implantation industrielle en Afrique du Sud, Volkswagen a effectivement lancé ces dernières années des usines d'assemblage dans les trois pays que vous citez. Récemment vous étiez en Afrique de l'Ouest. Très clairement, quelle est la stratégie de Volkswagen sur le continent ?

La marque Volkswagen jouit d'une très bonne réputation dans de nombreux pays africains, mais notre usine en Afrique du Sud est notre implantation industrielle la plus complète sur le continent et qui est à l'image de notre unité en Allemagne. Cela fait 72 ans que nous fabriquons des véhicules en Afrique du Sud, alors que le groupe a 85 ans. C'est dire l'intérêt de ce marché pour nous. Nous n'avons pas encore dupliqué ce type d'énorme empreinte industrielle en Afrique subsaharienne, principalement en raison de l'importation massive des véhicules d'occasion qui arrivent d'une manière ou d'une autre. Fabriquer beaucoup plus sur le continent serait la voie à suivre, mais il y a des préalables à cela.

Dans notre stratégie, nous avons comme priorité de développer notre activité principale qui est la vente de véhicules. Nous voulons vendre de nouvelles voitures en Afrique et c'est la raison pour laquelle nous avons des importateurs indépendants avec qui nous travaillons.

Nous nous sommes en effet lancés dans l'assemblage de véhicules sur le continent (tout comme en Asie). Nous avons une usine d'assemblage au Kenya depuis 2016, au Rwanda depuis 2018 et nous en avons une avec notre partenaire au Ghana depuis 2020. D'ailleurs j'en profite pour annoncer que l'unité du Ghana sera une entité propre de Volkswagen dès mars prochain. Une équipe de notre Board fera le déplacement pour l'occasion.

Que dites-vous des pays dynamiques de l'Ouest africain comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire ?

J'étais au Sénégal et en Côte d'Ivoire, deux pays où les échanges en cours pourraient potentiellement conduire à l'ouverture d'usines d'assemblage. Mais, ils ont besoin d'avoir leur plan directeur de production automobile. Le Sénégal est assez avancé dans ce sens, parce que le pays dispose d'un plan que j'ai d'ailleurs parcouru, mais il faut maintenant le mettre en œuvre. Ensuite nous pourrons examiner ensemble les opportunités. Idem pour la Côte d'Ivoire dont j'ai lu le Livre Blanc. Ce dernier n'est pas au point mort, mais il est très ralenti. Bref, plusieurs pays africains nous intéressent pour une présence plus marquée. Nous échangeons avec de nombreux ministères à travers le continent sur les plans directeurs automobiles de leur pays, en regardant notamment ce qui pourrait être bénéfique pour le pays.

Les crises récentes (Covid et guerre en Ukraine) n'ont-elles finalement pas eu d'effet sur les ambitions africaines de Volkswagen ?

Nous avons été impactés au Rwanda où nous travaillons beaucoup sur tout ce qui est mobilité. Il y a eu un arrêt de nos activités pendant la Covid. Cela était encore plus marqué en Afrique du Sud, parce que nous avons connu une pénurie de semi-conducteurs. L'impact sur le développement de Volkswagen en Afrique était vraiment significatif. Mais en dépit de la Covid et la guerre en Ukraine, notre ambition est grande sur ce continent et nous voulons y être. Cependant, nous aurons besoin d'un cadre qui nous le permette.

Nous croyons vraiment que l'Afrique a du potentiel en matière d'industrie automobile et nous voulons y contribuer. C'est la raison pour laquelle nous sommes allés au Kenya, au Rwanda et au Ghana. Et je vois dans de nombreux pays une forte volonté de développer cette industrie. Mais il faut concrétiser cette volonté.

Peut-on avoir une idée chiffrée du niveau médian d'investissement annuel de Volkswagen ?

Nos investissements dépendent des conditions créées pour nous permettre d'investir.  A ce stade, je  ne peux donner de chiffres, mais  nous sommes prêts  à nous déployer davantage. Quand je dis qu'il faudrait  que la demande en véhicules neufs atteigne un nombre à 5 chiffres par an, c'est  dire qu'à  partir de 10 000 par exemple, il peut devenir opportun d'investir. Pour l'instant, nous nous activons à développer le marché pour générer cette demande. Et cela se réalisera grâce à la politique automobile, les services financiers et l'appui au secteur. Donc une fois que ce sera fait dans les pays que nous regardons, nous investirons davantage.

A l'heure des changements climatiques, les véhicules électriques se profilent en norme pour demain. Mais alors que les infrastructures et l'énergie font parfois défaut dans plusieurs pays du continent, quel est votre regard sur le déploiement de la voiture électrique en Afrique ?

Le monde s'oriente vers le véhicule électrique en raison effectivement des enjeux liés au climat. Et Volkswagen n'y fait pas exception. Il y a une mobilisation aujourd'hui pour trouver les moyens de faire passer progressivement les pays aux énergies renouvelables et de leur permettre d'obtenir de fortes subventions pour le déploiement des véhicules électriques. Mais nous, Volkswagen, aimerions aussi mettre en place notre premier projet de véhicule électrique Lighthouse en Afrique et nous cherchons avec qui en discuter. Nous cherchons à étendre davantage les sujets  liés aux véhicules électriques au Rwanda et à l'île Maurice. Mais spécifiquement le Sénégal et la Côte d'Ivoire sont des pays vers lesquels nous nous tournerons quand ils auront mis en place leurs plans directeurs de production automobile. Nous sommes en discussion à ce sujet.

Au Rwanda -qui est très avancé en termes de plan directeur automobile-- nous examinons leur nouveau projet de tracteurs électriques pour l'agriculture en zone rurale. Le projet inclut des panneaux solaires, des scooters électriques... C'est intéressant. En Afrique de l'Ouest, le Cap-Vert aussi dispose d'une politique de véhicules électriques très orientée vers le futur. Tout cela est intéressant pour nous.

Outre la nécessité de politiques de développement automobile, quels sont les   défis liés à l'essor de cette industrie selon vous ?

Un des facteurs fondamentaux du développement de l'industrie automobile est l'augmentation de la demande de véhicules neufs, car cela pourrait conduire à l'interdiction des importations massives de véhicules d'occasion qui abondent dans les marchés africains. Interdire ces véhicules de seconde et parfois de troisième main qui viennent souvent d'Asie ou d'Europe est un bon début, mais ce n'est pas la seule solution.

Le défi est également d'ordre financier pour les acquéreurs de véhicules. En tant que constructeurs, nous devons -mais aussi les gouvernements- travailler sur le financement des actifs des véhicules. Il nous faut être capable de proposer des schémas de financement accessibles au plus grand nombre, afin que différentes couches de la population  puissent se permettre d'acheter un nouveau véhicule. Cela est possible dans de nombreux pays du continent.

Je mentionnerais également la question du carburant. Dans beaucoup de pays, la qualité du carburant est très mauvaise. S'il y avait donc une sorte de mouvement vers un meilleur carburant, cela aiderait non seulement à réduire le CO2, mais aussi aiderait les constructeurs à proposer sur ces marchés une plus grande variété de véhicules. La vérité est que la mauvaise qualité du carburant sur certains marchés limite la variété de véhicules proposés.

Il est important de tirer tous les leviers, pas uniquement pour Volkswagen, mais pour tous. Pour établir une implantation industrielle qui aille au-delà de l'assemblage, nous aurions besoin d'un seuil vraiment plus élevé d'un nombre à 5 chiffres de nouvelles voitures par an, en termes de demande.

Encore une fois, il faut augmenter la demande de voitures neuves, c'est impératif surtout pour les pays qui veulent développer leur contenu local. Il faudrait également, à mon sens, avoir des accords bilatéraux. Si je prends le cas de la Côte d'Ivoire, ce pays peut fournir au Bénin, au Togo et à d'autres pays d'Afrique subsaharienne francophone, afin d'y soutenir la demande de voitures neuves, en attendant peut-être qu'eux aussi atteignent une taille critique. Après viennent les questions d'ordre fiscal...

Le continent africain dispose aujourd'hui d'un accord de Zone de libre-échange (Zlecaf) en vigueur. Comment cet espace peut-il contribuer à booster l'industrie automobile régionale ?

A Volkswagen, nous regardons la Zlecaf de manière très positive. Cet accord général sur le commerce en Afrique nécessiterait cependant des spécifications pour l'industrie automobile et pour de nombreuses autres industries. Quand nous évoquons la nécessité des plans directeurs dans les pays, c'est justement pour contribuer à accélérer le déploiement de cet accord, avec en plus les accords bilatéraux entre pays. Et pourquoi ne pas espérer que le continent africain, dans le cadre de la Zlecaf, élabore un plan directeur automobile pour toute l'Afrique ? Nous essayons donc, avec toutes nos négociations et toutes nos contributions, d'utiliser le contenu de cet accord de libre-échange continental africain, dans le but de contribuer à sa matérialisation rapide. Après, il y a bien sûr de nombreux préalables nécessaires de la part des Etats. Mais en tant que constructeur automobile présent en Afrique depuis plus de sept décennies, nous tenons à jouer notre partition.

Propos recueillis par Ristel Tchounand.

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