Terres arables et investissement : le chaînon manquant de la réglementation

Longtemps parent pauvre des IDE dirigés vers le Continent, le secteur agricole nourrit aujourd'hui les convoitises et assure d'un avenir prometteur. Pour accompagner cette dynamique et mobiliser davantage de capitaux, les pays africains ont l'obligation de réformer leurs politiques publiques et d'instaurer un cadre réglementaire propice aux investissements. De l'amélioration de la compétitivité du secteur, dépend en grande partie le pari de l'Afrique de se nourrir et de nourrir la planète.
L’agriculture traditionnelle (ici au Malawi) devra se moderniser si l’Afrique veut contribuer à nourrir les 9 milliards d’humains qui peupleront la planète en 2050.

Dans le combat qui a longtemps marqué la grande «ruée» vers les terres arables africaines, la tendance ne cesse de s'inverser. Les petits exploitants ont pris conscience de la nécessité de faire front contre l'hégémonie des puissantes multinationales qui s'appropriaient les milliers d'hectares de ces terres, aidés en cela par la complicité des gouvernants africains qui regardaient plus du côté des investisseurs que des déséquilibres socio-économiques que ces deniers engendraient par leur action.

Grâce notamment aux efforts de la société civile, les enjeux locaux s'inscrivent progressivement en haut de la liste des facteurs à prendre en compte dans la signature des contrats à coups de milliards que valent ces terres sur le marché international.

Aujourd'hui, les flux d'investissements que draine le secteur agricole sur le Continent montent en puissance. En cause, la concurrence effrénée et des Etats davantage intéressés par l'impact de ces flux. Et si l'on est certes encore loin de la masse critique des investissements dont l'Afrique a besoin pour combler son déficit en infrastructures -notamment agricole, la tendance qui se dégage des derniers chiffres sur les IDE en Afrique montre que ce secteur attire de plus en plus l'intérêt des capitaux internationaux.

Réformes agraires et gouvernance

L'une des raisons qui expliquent cet engouement latent, c'est la dynamique à laquelle l'on assiste actuellement sur le Continent et qui consiste en la mise en œuvre de véritables réformes agraires pour améliorer le climat des affaires dans le secteur et le rendre, par conséquent, davantage compétitif. Autre constat, les pays africains sont désormais engagés dans l'amélioration de leur environnement des affaires liées aux secteurs agricole et agroalimentaire. Une amélioration qui se traduit par la réforme des politiques publiques visant le régime foncier, les subventions aux intrants, les incitations à la production, la transformation locale, etc.

C'est dans ce cadre que le président de la BAD, Akinwumi Adesina, a entre autres proposé la mise en place d'un impôt sur les terres agricoles non exploitées ou sous-exploitées, «afin d'inciter à une commercialisation plus rapide des produits agricoles et de libérer tout le potentiel agricole en Afrique». La mobilisation des capitaux privés ne pourrait en effet atteindre sa vitesse de croisière, sans un cadre législatif propice et une gouvernance adaptée dans ce secteur où la rentabilité des investissements s'attend sur le long terme.

Un des handicaps majeurs qui a longtemps freiné la libération du potentiel agricole du Continent, c'est un environnement des affaires soit inexistant, soit assez caduque pour prendre en compte les réels enjeux de l'heure. Les investissements représentent pourtant un besoin structurel pour le développement de l'agro-industrie en Afrique.

Dans une de ces études sur la question, la BAD a mis en relief cette problématique en relevant que  «la plupart des pays africains ont des lois foncières de base qui sont incomplètes et mal appliquées, décourageant l'investissement privé».

En dépit de son potentiel et de sa contribution au PIB continental, le secteur agricole ne bénéficie que de 3% en moyenne des prêts bancaires, ce qui donne une idée du soutien avec lequel les petits exploitants agricoles (80% de la production africaine) arrivent à maintenir leurs activités. D'autant que l'investissement public est lui aussi resté longtemps à la traîne avec moins d'une dizaine de pays qui ont atteint actuellement l'objectif de consacrer 10% à 15% de leur budget au secteur agricole, convenu en 2003 dans la célèbre «Déclaration de Maputo».

D'après les estimations de la FAO, entre 2003 et 2011, le Continent n'a drainé que moins de 10% des IDE agricoles. Désormais, on assiste à des flux plus consistants, l'Afrique attirant certes plus de 40% des transactions foncières enregistrées depuis 2010 et mieux encore, c'est presque l'ensemble de la filière agricole qui draine désormais le plus gros des capitaux.

Alors que la FAO estime que plus de 700 milliards d'euros d'investissements seront nécessaires d'ici à 2050 pour assurer la transformation du secteur agricole africain, une autre étude de la BAD rapporte que les dépenses consacrées par les gouvernements africains à́ l'agriculture se sont élevées à environ 12 milliards de dollars en 2014. Par ailleurs et selon les estimations de la même source, les dépenses consacrées à l'agriculture africaine par les bailleurs multilatéraux et bilatéraux, ainsi que les fondations et les organisations non gouvernementales, se sont élevées à environ 3,8 milliards de dollars la même année où la valeur des IDEdans l'agriculture et l'agroalimentaire en Afrique s'est élevée à 10 milliards de dollars. Il y a donc encore de la marge, notamment pour combler le déficit en infrastructures agricoles ou dans l'organisation des filières. C'est là où l'importance des capitaux privés s'avère cruciale, à travers la mobilisation des fonds institutionnels et des actifs bancaires, ainsi que des mécanismes de financement innovants. Au rang de ces derniers, les fonds climatiques offrent une nouvelle opportunité au secteur agricole africain.

Savanes africaines, l'or noir de demain

Avec ses 600 millions d'hectares de terres arables non cultivées, soit à peu près 60% de l'ensemble des surfaces mondiales, le continent africain représente l'un des plus grands pôles de croissance au niveau mondial, puisqu'il va falloir trouver toutes les alternatives pour nourrir les 9 milliards de personnes qui habiteront la planète à l'horizon 2050.  C'est peut dire que les savanes africaines représenteront d'ici peu l'or noir de demain pour les pays africains. A condition de bien se préparer pour éviter la «malédiction du pétrole», les perspectives s'annoncent des plus prometteuses pour le Continent. «Il faut d'urgence des réformes politiques pour doper l'investissement privé dans l'agriculture et l'agro-industrie en Afrique», plaide en ce sens Jennifer Blanke, vice-présidente de la BAD pour qui, le développement d'une agriculture et une agro-industrie viables et dynamiques en Afrique est tout à la fois un défi et une opportunité de marché colossale pour les entreprises.

Le secteur de l'agroalimentaire et l'agro-industrie devrait passer de 300 milliards de dollars, aujourd'hui, à 1 000 milliards de dollars à l'horizon 2030, quand 2 milliards de personnes auront alors besoin de nourriture et de vêtements. Aux entreprises et investisseurs locaux de pouvoir saisir cette opportunité et exploiter ce potentiel pour l'Afrique et les Africains, car une fois que l'environnement des affaires dans le domaine parviendra à une meilleure régulation, les capitaux étrangers ne vont pas rater l'occasion d'imposer leurs lois...

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