Rentrée africaine du Medef : vers un recentrage stratégique post-Cotonou

Alors que la France est en perte de vitesse sur le Continent, le patronat cherche à sortir de l'ornière et à y relancer sa dynamique. Entre défense des intérêts nationaux et réflexion autour d'une stratégie européenne commune, l'Hexagone entend tirer son épingle du jeu en s'appuyant sur les PME et sur l'expertise « made in France ».
Le Medef pourra compter sur le soutien d'Emmanuel Macron, attendu en Ethiopie et au Kenya en mars 2019, où il devrait se rendre accompagné d'une délégation d'entrepreneurs.
Le Medef pourra compter sur le soutien d'Emmanuel Macron, attendu en Ethiopie et au Kenya en mars 2019, où il devrait se rendre accompagné d'une délégation d'entrepreneurs. (Crédits : DR)

Malgré la vague d'enthousiasme en Afrique suscitée par l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée, la France continue de perdre des parts de marché dans presque tous les secteurs. « Depuis plus d'une dizaine d'années, le Continent représente une terre d'attractivité [...] La France n'est pas en perte de vitesse, elle connaît une évolution normale au vu de cette attractivité mondiale », relativisait Patrice Fonlladosa, président du Comité Afrique du Medef International et président Afrique et Moyen-Orient du groupe Veolia, le 5 septembre dernier au siège du Medef.

Pourtant, la France a perdu l'an dernier son rang de premier fournisseur européen au profit de l'Allemagne, et si la balance commerciale est restée excédentaire, les parts de marché ont été divisées par deux depuis 2000, passant de 11 % à 5,5 % en 2017. Une chute qui a concerné tous les secteurs d'activité -à l'exception de l'aéronautique- et qui révèle une perte de compétitivité-prix des productions françaises. « Nous avons progressé dans toute une série de pays, comme au Zimbabwe ou en Ethiopie,... Même si nos parts de marchés dans les pays où l'on était dominant ont baissé, globalement aujourd'hui, on y gagne », précisait Bruno Mettling, président du Conseil de chefs d'entreprise France-Afrique de l'Ouest du Medef et PDG d'Orange Afrique et Moyen-Orient.

Toutefois, la réussite du groupe télécoms ne reflète pas la situation des PME françaises qui cherchent de nouveaux accès aux marchés africains. L'échéance des accords de Cotonou en 2020 pourrait bientôt faire bouger les lignes, car la France mise sur une démarche partenariale renouvelée dans un cadre européen -encore à l'étude, basée sur une logique « gagnant-gagnant » et centrée sur les PME.

Une stratégie européenne est-elle possible ?

La baisse de compétitivité des entreprises françaises en Afrique s'oppose au dynamisme de l'Allemagne, de l'Italie ou encore de l'Espagne. Par ailleurs, l'impressionnante ascension chinoise dont les exportations sont passées de 3 % en 2001 à près de 18 % aujourd'hui, et la progression constante de l'Inde, de la Turquie, du Brésil ou de la Russie viennent bousculer les intérêts de l'Hexagone sur son ancien pré-carré. La France serait-elle en mesure de trouver une issue favorable dans le cadre d'une politique européenne commune pour l'Afrique ?

La dynamique est déjà engagée avec l'élaboration d'un nouveau Plan stratégique Union européenne (UE)-Union africaine (UA). L'Europe représente encore le premier partenaire économique et commercial du Continent et le premier contributeur en fonds de développement. De plus, au regard des besoins et du potentiel de l'Afrique et face à la concurrence asiatique, russe ou américaine, l'UE pourrait apparaître comme une solution idoine à la perte de vitesse des Français sur le Continent au moment où le président Emmanuel Macron déclare qu'« il n'y a plus de politique africaine de la France » (discours de Ouagadougou du 28 novembre  2017).

Les inquiétudes relatives au retour du protectionnisme post-Brexit incitent les Européens à renforcer leurs liens avec le Continent, en développant de nouvelles synergies entre l'action publique et privée et en s'engageant dans le financement de projets de développement. Cependant, le cadre réglementaire qui régit les relations entre l'UE et l'Afrique -intégrant les Etats du Pacifique et des Caraïbes- semble aujourd'hui obsolète : « Le périmètre des accords de Cotonou est incohérent », constate Bruno Mettling.

Dans le cadre de la redéfinition de la relation Afrique-UE, la France cherche à s'imposer comme le « hub » mondial pour les investissements en Afrique et le moteur de la relation entre l'Europe et le Continent, sans garantie toutefois que ses partenaires européens n'acceptent le leadership de l'Hexagone. D'ailleurs, l'Allemagne, aux prises avec la question migratoire, semble s'orienter vers des relations bilatérales avec les pays africains, comme en témoignent les récents déplacements de la chancelière Angela Merkel au Sénégal, au Ghana et au Nigéria en août dernier, ou encore les initiatives proposées par Berlin comme le Plan Marshall africain.

L'expertise française face à la compétitivité chinoise

A l'horizon 2050, la population africaine passera de 1,2 milliard à 2 milliards d'habitants et sera pour l'essentiel jeune, urbaine et connectée. L'explosion des classes moyennes et de leurs besoins incite les entrepreneurs français à se mobiliser autour des questions liées à la formation, aux TIC et à l'habitat, en particulier. « La France ne devra surtout pas manquer la révolution numérique engagée sur le Continent », prévient Bruno Mettling.

De son côté, Gérard Wolf, président de la « Task Force Ville Durable » du Medef et de Brics Access, revient sur l'urbanisation qui laisse augurer de belles perspectives à venir : « Le principe est partout le même en Afrique, entre 25 % et 80 % des habitats sont informels selon l'UN-Habitat »... Un enjeu qui concentre l'attention des entrepreneurs français réunis le 10 septembre 2018 au siège du Medef autour de la réorganisation de l'espace, des smart-cities et des défis liés au développement urbain, des thèmes qui seront au cœur du prochain Sommet Afrique-France en 2020.

Au niveau de l'emploi, ce sont 100 000 postes en France qui dépendent des exportations vers l'Afrique et les entreprises françaises ambitionnent d'en créer plusieurs milliers sur le Continent dans les années à venir. Pour atteindre cet objectif, la France entend s'appuyer sur les transferts de compétences et de technologies. « La formation est dans la génétique de notre pays », insiste Gérard Wolf qui considère par ailleurs que l'Hexagone bénéficie de « filières d'excellence, d'un savoir-faire et d'une connaissance culturelle » du Continent. Toutefois, quel sera le poids de « l'excellence française » face à la compétitivité des entreprises chinoises ? « Les Chinois ne sont pas champions partout et dans certains endroits, ils viennent nous chercher pour nos expertises. Ils ont besoin de l'innovation française », explique Gérard Wolf.

Avancer en étroite collaboration avec la Chine ? Les entrepreneurs français tâtonnent : « Les règles commerciales sont peu compatibles avec les nôtres, mais nous pourrions envisager des joint-ventures avec les Chinois », a déclaré pragmatique Patrice Fonlladosa. « Le plus grand partenaire d'Orange en Afrique est Huawei », a d'ailleurs précisé Bruno Mettling.

S'appuyer sur le secteur privé local

Le Medef a réaffirmé sa volonté de s'appuyer sur les PME pour pénétrer « les champions » africains anglophones comme le Nigéria, le Kenya, le Rwanda, l'Ethiopie ou encore le challenger ougandais. Les PME françaises -trop- peu nombreuses sur cette région du Continent représentent un véritable levier de développement pour le Medef. Leur présence a triplé ces trois dernières années au Kenya, passant d'une trentaine à une centaine ; elles bénéficient également d'une Chambre de commerce basée à Nairobi. Le patronat français multiplie les initiatives à l'est du Continent, comme en témoignent les rencontres de mars dernier, organisées par le Medef au Kenya et en Ethiopie, avec une délégation d'une soixantaine d'entrepreneurs parmi lesquels plusieurs dirigeants de PME, tous secteurs d'activité confondus.

Parallèlement aux groupes tels que Total, Vinci ou Orange qui continuent de s'assurer de belles marges de progression sur le Continent, les PME sont à la traîne. Pour y remédier, le Medef cherche à construire des ponts entre le secteur privé local et les entrepreneurs français. « Manque d'information, facteur risque sécuritaire élevé et manque de garantie » sont autant de défis pour les PME et les ETI françaises que le Medef cherche à relever.

Signe que les temps changent, si la Côte d'Ivoire tient encore le haut de l'affiche à l'ouest du continent, l'Afrique centrale semble relayée au second plan des priorités du patronat français. La stratégie africaine du Medef se recentre sur l'Afrique de l'Est où l'expertise française devra faire face à la concurrence accrue d'acteurs anglophones multiples, déjà durablement implantés dans la région. Le Medef pourra compter sur le soutien d'Emmanuel Macron, attendu en Ethiopie et au Kenya en mars 2019, où il devrait se rendre accompagné d'une délégation d'entrepreneurs.

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