Royal Air Maroc : le code Addou

Sans faire de bruit, à l’image d’un peintre impressionniste agissant par touches de couleurs pour esquisser sa toile, le Président Directeur Général de la Royal Air Maroc, Hamid Addou, nommé il y près d’un an, tente d’imposer son style à la tête de la compagnie nationale marocaine, réputée compliquée à manœuvrer. Alors que beaucoup ne donnaient pas cher de sa peau à son arrivée, l’homme semble peu à peu prendre ses marques, affichant même des ambitions renouvelées pour le pavillon marocain et tissant un réseau d’alliances au cœur du pouvoir. Plan stratégique de développement, style managérial, partenariat avec Qatar Airways ou encore bataille pour le terminal I de l’aéroport de Casablanca, La Tribune Afrique dévoile son enquête exclusive du « code » Addou.

Surtout ne pas se mettre en avant. En un an et quelques mois de mandat, le patron de la RAM n'aura accordé qu'une entrevue aux journalistes, qu'il a reçus - en groupe- début septembre dernier et auxquels il n'a adressé que des messages ultra-millimétrés sans sortir du cadre. Il faut dire que l'homme a des raisons d'être prudent : sa nomination le 6 Février 2016 par le roi Mohammed VI pour succéder au "tôlier" sur-diplômé Driss Benhima avait surpris une bonne partie du landerneau politico-économique du Royaume Chérifien, et suscité des commentaires très partagés, dont certains acerbes.

Des prédécesseurs à l'ombre tutélaire

 A l'époque, certains s'interrogeaient même sur la capacité de cet ancien patron de l'Office National Marocain du Tourisme (ONMT), passé par Procter & Gamble et Coca-Cola,  à endosser les habits de « Boss » du pavillon national, tant la RAM était réputée complexe à gérer, rétive au changement, tiraillée entre une stratégie d'expansion africaine, des syndicats puissants, et une ouverture du ciel qui accroit la concurrence et la pression sur les prix. De surcroit, Hamid Addou n'avait pas retrouvé de poste de premier plan depuis son départ de l'ONMT en Décembre 2012, dont il se murmure qu'il serait dû à un désaccord violent avec son ministre de l'époque, Lahcen Haddad. Il fera ensuite un passage éclair d'une année en tant que directeur général de la Holding agro-alimentaire Diana Holding (propriété de la famille Zniber) avant d'aller diriger la société d'aménagement de la station d'Essaouira et de Mogador (SAEMOG).

A cet égard, le pedigree de ses prédécesseurs à la RAM aurait pu peser comme une ombre tutélaire sur les épaules du jeune Addou , âgé de seulement 44 ans lors de sa nomination.

En effet,  en vingt ans, la Royal Air Maroc a connu trois PDG d'envergure. Le premier, dont le mandat a duré six ans (1995-2001) est Mohammed Hassad, actuel ministre de l'éducation nationale, qui a occupé plusieurs maroquins ministériels lors de sa longue carrière publique, et a également été wali de Marrakech et de Tanger. Lui a succédé Mohammed Berrada, un ancien ministre des finances et actuel patron du centre de recherche Links, qui a occupé le poste de 2001 à 2006. Enfin, le prédécesseur de Addou, Driss Benhima, a été quant à lui été tour à tour ministre, patron de l'Office National d'Electricité (ONE), et Wali de Casablanca  avant de diriger la RAM. Deux polytechniciens et un économiste réputé comme prédécesseurs, le tableau avait de quoi faire peur.

100 jours pour comprendre

C'est dire si les premiers mois de l'arrivée de Addou à la tête de la Royal Air Maroc vont s'avérer cruciaux pour le manager. Ce dernier, selon une source proche de la Présidence de la compagnie contacté par La Tribune Afrique, aurait adopté dès son entrée en fonction une prudence de sioux : «  Il (Addou) a pris environ 100 jours pour bien comprendre les rouages complexes de la Royal Air Maroc. Plus que l'organigramme, il cherchait le sociogramme, cette grille de lecture complexe qui lui aurait permis de comprendre comment le pouvoir se disséminait au sein de la vieille dame de l'aviation marocaine. Il n'a pas cherché à s'imposer par la brutalité ou à travers un limogeage spectaculaire d'un cadre dirigeant, il a d'abord cherché à comprendre la vascularisation complexe de la compagnie ». Pour certains hauts cadres de la compagnie, habitués aux management tranchant des prédécesseurs d'Addou, cette phase d'observation est vécue dans la circonspection, tant le nouveau patron de la RAM semble ne pas donner d'indications sur la stratégie qu'il compte poursuivre. Tout juste se borne-t-il, lors des réunions avec les directeurs de la compagnie, à exprimer sa vision de l'entreprise, affirmant vouloir remettre le « client » au centre de la relation, mais sans exposer les détails de son plan d'action.

Mais cette bonhomie de façade cache en réalité une réflexion de fond menée avec un cercle restreint de collaborateurs de confiance, avec lesquels Addou prépare les jalons de ce que sera « sa » réforme de la RAM. En effet, le temps presse pour le nouveau PDG, car le contrat-programme signé entre l'Etat et la compagnie en 2011 arrive à son terme, et Addou s'est forgé la conviction qu'il lui faut amender en profondeur le cadre bilatéral de sa relation avec l'Etat si la RAM veut déployer ses ailes comme il l'ambitionne.

Tissage de toile et construction d'alliances

En coulisses, Addou sait qu'il est attendu au tournant, et son plan commence à prendre forme. Après cette première phase d'observation de quelques mois, les contours de sa stratégie deviennent plus clairs;  il estime qu'il faut mettre en œuvre une démarche « disruptive » basée sur trois axes forts : la remise à plat complète de la relation client (point noir de la compagnie), la recherche d'un partenaire capitalistique qui lui donnerait les moyens de son expansion, et la redéfinition de sa relation avec l'Etat, afin d'en supprimer les rigidités.

L'été 2016 est ainsi mis à profit pour lancer les travaux de stratégie afférents à cette nouvelle vision, Addou multiplie les prises de contact avec les protagonistes publics concernés, et se rapproche des experts en mesure de lui dessiner son plan.

Car pour faire la pédagogie de sa stratégie et la faire accepter, Addou sait qu'il a besoin de deux éléments essentiels : construire un contrat programme ambitieux et étayé, et réunir des soutiens de poids. Pour la première partie, il choisit le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG), dirigé au Maroc par Patrick Dupoux, afin de conceptualiser un nouveau business plan qui s'appuie sur des benchmarks internationaux, dont notamment celui de la compagnie turque, Turkish Airlines, qui a connu une expansion fulgurante au cours de la décennie passée. Début Septembre, près de six mois après son entrée en fonction, les grandes lignes du « code » Addou sont prêtes, reste désormais à le « vendre ».

Et pour cette phase cruciale de lobbying, Addou va avoir les faveurs du calendrier : début octobre, le roi Mohammed VI entame une grande tournée en Afrique de l'Est afin de préparer le retour du Royaume dans l'Union Africaine (UA). Traditionnellement, le patron de la compagnie nationale accompagne le chef de l'Etat dans ce type de déplacements officiels. C'est là une occasion rêvée pour Addou d'être au contact des hommes du premier cercle, ceux qui seront en mesure d'appuyer son projet.

Inlassablement, profitant des longues heures d'avion et des déplacements, Addou expose méthodiquement son plan à ses interlocuteurs. Selon lui, la RAM peut devenir un géant du ciel africain, à l'instar de Ethiopian Airlines, devenue en très peu de temps une success-story emblématique du continent.

 Une stratégie alignée avec celle du Maroc

De plus, sa stratégie s'insère parfaitement avec l'ambition affichée de Mohammed VI de faire du Maroc une grande puissance économique africaine. Toujours selon la même source proche de la présidence de la RAM, consultée par La Tribune Afrique, « le PDG a expliqué à ses interlocuteurs qu'aucun pays n'a réussi son décollage économique sans avoir une grande compagnie nationale, cela fait partie de la puissance d'une nation, et le Maroc ambitionne de devenir une puissance africaine » . Autre bénéfice mis en avant par le plan Addou : un développement agressif de la Royal Air Maroc servirait à porter les plans sectoriels marocains , incluant la vision 2020 pour le tourisme, le Plan d'Accélération Industriel, ainsi que le Plan Maroc Vert. L'argument séduit et fait mouche, surtout auprès du bloc de ministres issus du RNI qui portent les maroquins économiques (Akhannouch à l'agriculture, Boussaid aux finances, Elalamy à l'Industrie). Ces derniers seront tous reconduits dans leurs fonctions après la nomination de Saad Eddine El Othmani comme chef du gouvernement, évitant ainsi à Addou d'avoir à refaire l'exercice.

Un prérequis indispensable : obtenir le terminal I de l'aéroport Mohammed V

En parrallèle de ces éléments affectant le modèle poursuivi par la compagnie et la construction d'alliances lui permettant de l'exécuter, en ce début d'année 2017, Addou veut bétonner un sujet qu'il juge ultra-stratégique pour lui : s'assurer que la RAM obtienne  « son » terminal dédié au sein du hub aéroportuaire de Casablanca Mohammed V.

Et Addou a des conditions. Il ne veut pas de l'ancien terminal, son objectif est d'avoir le fameux terminal I, en voie d'achèvement après plusieurs années émaillées par des scandales de suspicion de détournements de fonds au sein de l'Office National de Développement des Aéroports (ONDA).

Or, cette dernière freine des quatre fers, préférant octroyer à la Royal Air Maroc le terminal II, plus vétuste, afin de consacrer le terminal flambant neuf aux compagnies internationales, qui paieraient le prix fort pour pouvoir y atterrir.

Mais Addou n'en démord pas, pour lui, il est « crucial » que la RAM aie le terminal I, afin notamment de pouvoir bénéficier d'installations modernes pour ses clients à l'heure ou il entame une vaste opération de séduction, mais également pour avoir le système de tri automatisé des bagages, qui lui permettrait de faire baisser le taux de perte . Pour appuyer sa revendication, Addou balaie d'un revers de la main l'avantage économique que le terminal I constituerait pour l'ONDA, mettant en avant le fait que les compagnies nationales les plus puissantes au monde, sans exception, disposent de leur propre terminal.

Cette partie d'échec, selon les informations recueillies par La Tribune Afrique, semblerait tourner en faveur du patron de la RAM, qui aurait su convaincre de la justesse de cette option et serait donc en passe d'obtenir le terminal souhaité.

Un partenaire du Golfe pour la RAM ?

Reste donc la question du partenaire capitalistique qui pourrait venir renforcer la capacité d'investissement de la Royal Air Maroc. Et sur ce sujet, tous les regards se tournent de plus en plus vers le Qatar, notamment suite aux déclarations du PDG de Qatar Airways, Akbar Al Baker, en novembre dernier.  Dans une déclaration reprise par la presse marocaine, ce dernier faisait état de sa disposition à prendre une participation « minoritaire » dans le capital de RAM, pour peu que cette dernière se « sente prête » et que le gouvernement marocain y soit disposé. Les deux compagnies sont par ailleurs liées par un accord de partenariat signé en mai 2016, soit quelques mois après la venue de Addou à la tête du pavillon marocain. Mais ceux qui penseraient que l'affaire se conclurait  nécessairement avec les Qataris iraient peut-être un peu vite en besogne, car il se murmure que d'autres options seraient actuellement à l'étude, ce qui aurait justifié le léger retard pris dans le dévoilement des résultats de l'étude menée par le BCG, prélude au nouveau contrat programme avec l'Etat. Selon nos informations, des annonces « importantes » pourraient intervenir cet été...

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