Le blé, nouveau symbole du soft power ukrainien en Afrique

Le 20 janvier, le chef de l'administration présidentielle ukrainienne nommait les ambassadeurs africains du groupe international de coordination pour la prévention de la faim (GICFP), dans le cadre du programme Grain from Ukraine. Entre urgence alimentaire et guerre d'influence contre le Kremlin, le blé s'est imposé comme une véritable arme diplomatique en Afrique.
(Crédits : DR.)

« Dans un contexte mondial d'insécurité alimentaire et d'inflation, l'Ukraine se montre forte et volontaire pour soutenir les nations vulnérables au bord de la famine sur le continent africain », déclarait Andriy Yermak, chef de l'administration présidentielle ukrainienne, le 20 janvier dernier, tandis que le quatrième navire du programme Grain from Ukraine chargé de 30 000 tonnes de blé venait à peine de quitter le port de Chornomorsk pour l'Éthiopie. Quelques semaines plus tôt, trois premiers navires avaient déjà livré 80 000 tonnes de blé en Éthiopie et en Somalie.

La guerre en Ukraine a précipité plusieurs pays africains dans la crise alimentaire. À ce jour, près de 12 millions de personnes seraient en situation d'insécurité alimentaire aiguë en Éthiopie, 5,6 millions en Somalie et 4,3 millions au Kenya, en raison des effets cumulés de la sécheresse, des conflits et de la hausse des prix des denrées alimentaires, d'après le Bureau des Nations unies de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Pour contrecarrer les effets de la guerre, Volodymyr Zelensky a lancé en novembre 2022 l'initiative Grain from Ukraine, afin d'approvisionner en blé, les pays les plus vulnérables. Ce programme rassemble plus de 30 pays donateurs dont plusieurs pays de l'Union européenne, mais aussi le Qatar, la Turquie, le Japon, la Norvège, la Corée du Sud, le Canada ou les États-Unis, qui se sont engagés à verser collectivement 200 millions de dollars.

« Nous comptons envoyer une dizaine de bateaux en Afrique face à l'urgence alimentaire, mais tout dépendra des fonds que nous réussirons à lever », indique Vladyslav Vlasiuk, conseiller au cabinet du président Volodymyr Zelensky. « Dans un premier temps, l'objectif est de fournir des céréales à 5 millions de personnes d'ici la fin du printemps », a précisé Andriy Yermak par voie de communiqué le 20 janvier, alors qu'une nouvelle initiative voyait le jour sous le nom de Groupe international de coordination pour la prévention de la faim (GICPF), dont il assure la présidence.

GICPF : des ambassadeurs au service de la sécurité alimentaire

La guerre d'influence entre Kiev et Moscou s'expatrie sur le continent africain, sur fond de défi alimentaire. Andriy Yermak estime que la Russie a « profité des ressources de nations appauvries telles que l'or et les diamants, fourni des armes et des moyens de surveillance à des régimes douteux, et contribué à des violations des droits de l'Homme à l'encontre de civils (...) La Russie n'a pas seulement attaqué l'Ukraine, mais qu'elle tente également de détruire le système international via l'aggravation artificielle de la crise énergétique en Europe, le chantage nucléaire et la mise en danger de la sécurité alimentaire de dizaines de pays ».

Il indique par ailleurs, qu'avant l'invasion russe, « la part de l'Ukraine dans le commerce mondial des céréales était de 10 % -et qu'elle- était le 4e exportateur mondial de céréales, devant tous les États membres de l'UE, et fournissait au Programme alimentaire mondial des Nations unies environ 40 % du blé destiné aux pays connaissant de graves pénuries alimentaires ».

Moscou conserve néanmoins un certain nombre de soutiens en Afrique. En mars 2022, 25 pays africains sur 54 s'étaient abstenus ou avaient refusé de voter la résolution de l'ONU visant à condamner l'invasion de l'Ukraine par la Russie. « C'est peut-être le résultat d'un manque de compréhension de ce qu'il se passe en Ukraine ou la conséquence de l'influence russe sur le continent africain », explique Vladyslav Vlasiuk.

Pour renforcer l'influence de Kiev en Afrique, Grain from Ukraine pourra désormais s'appuyer sur des « VRP de luxe » impliqués dans le Groupe international de coordination pour la prévention de la faim (GICPF), à l'instar de l'ancienne présidente du Malawi, Joyce Banda, ou du Dr Oby Ezekwesili, ancienne ministre de l'Éducation du Nigeria et ex-vice-présidente de la Banque mondiale, actuellement conseillère pour l'Africa Economic Development Policy Initiative (AEDPI).

Le blé comme arme diplomatique

« Des navires chargés de blé vers le Kenya, le Soudan et le Yémen sont prêts à partir ! », annonce Mikola Solskyi, ministre ukrainien de la Politique agraire et de l'alimentation, contacté par La Tribune Afrique, le 9 février dernier. Loin d'être anecdotique, Grain from Ukraine touche au « symbole », car elle intervient 80 ans après la grande famine en Ukraine.

Le ministre assure vouloir accompagner ses partenaires africains à surmonter la crise alimentaire, tout en précisant vouloir « développer des opportunités pour les entreprises ukrainiennes en Afrique ». Face à l'intense activité de la diplomatie russe en Afrique, les délégations ukrainiennes multiplient les déplacements sur le continent, du Ghana au Kenya en passant par le Nigeria et le Sénégal.

Enfin, alors que Kiev s'appuie sur l'aide alimentaire pour se rapprocher des pays les plus touchés par la famine en Afrique, cet engagement ne repose que sur les capacités de production ukrainienne en plein conflit armé. Or, « la production agricole devrait baisser de 40% suite aux conséquences de la guerre », estime Mikola Solskyi. « Nous ne sommes pas inquiets, nous avons suffisamment de stocks pour venir en aide aux pays qui en ont le plus besoin, tout en assurant pleinement notre sécurité alimentaire », affirme le ministre ukrainien.

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