OCDE-UA : la Tech est à la base d'un New Deal global

La Commission de l'Union africaine, en collaboration avec le Centre de développement de l'OCDE, publiait ce mardi un rapport relatif aux « Dynamiques du développement en Afrique 2021 : transformation digitale et qualité de l'emploi ». L'étude fait apparaître de sérieuses fractures numériques en parallèle aux promesses de nouvelles licornes africaines stimulées par les défis sanitaires du moment.
(Crédits : Reuters)

De la réduction de la fracture numérique au soutien à l'innovation locale et aux travailleurs indépendants, en passant par l'harmonisation des stratégies digitales, plusieurs axes ont été définis dans le dernier rapport de la Commission de l'Union africaine, en collaboration avec le Centre de développement de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), publié le 19 janvier 2021, pour soutenir la transformation technologique sur le continent.

Il faut dire que le défi du développement désormais associé au secteur numérique est de taille. En 2020, le continent a du faire face à la chute des prix du pétrole dès le 1er trimestre, avant d'être percuté par la pandémie de coronavirus, dont les effets menacent près de 23 millions d'Africains subsahariens d'extrême pauvreté. La pandémie de Covid-19 devrait entraîner la première récession en Afrique depuis 25 ans, avec une baisse de son PIB comprise entre 2.1% et 4.9%, selon les perspectives de l'Union africaine et du Centre de développement de l'OCDE.

« La situation économique sur le continent était assez déprimée avant la Covid-19. Le niveau de croissance avait été revu à la baisse, le commerce international atteignait un très faible taux de croissance de l'ordre de 0.7%. Il n'y avait pour ainsi dire, pas de contribution du commerce à la croissance économique », rappelle Mario Pezzini, directeur du Centre de développement de l'OCDE.

À titre comparatif, lors de la crise financière de 2009, seuls 11 pays africains étaient entrés en récession, contre 41 sur 54 avec l'apparition du SARS-CoV-2, selon le FMI. Simultanément, le financement du développement qui décroche depuis quelques années sur le continent pourrait encore se réduire un peu plus sous la pression sanitaire.  « De 2010 à 2018, les recettes intérieures par habitant ont régressé de 18 % et les flux financiers extérieurs par habitant de 5 %. Entre 2019 et 2020, les recettes publiques devraient se contracter de 10 % dans au moins 22 pays africains tandis que l'épargne nationale totale pourrait chuter de 18 %, les transferts de fonds des travailleurs émigrés de 25 % et les IDE de 40 % », indique l'étude.

Enfin, le choc sanitaire s'est accompagné d'une augmentation des dépenses publiques de santé et de soutiens massifs à l'activité économique, qui irait jusqu'à « entraîner un doublement des déficits budgétaires » toujours selon les auteurs du rapport, qui estiment que le moratoire du G20 sur la dette décidé en avril 2020, « accorde un répit indispensable aux pays africains », mais reste « insuffisant » pour faire face à la crise, préconisant une « suspension du service de la dette et, dans certains cas, une restructuration de la dette ».

L'optimisme demeure néanmoins, porté par les acteurs du numérique qui regorgent de solutions innovantes pour répondre aux défis du quotidien et qui s'imposent aujourd'hui comme de nouveaux vecteurs de création d'emplois.

Un traitement digital contre une crise sanitaire ?

Johannesburg et Cape Town en Afrique du Sud, Nairobi au Kenya et Lagos au Nigeria se classent parmi les 100 premières villes mondiales, en matière d'écosystèmes de fintech. Par ailleurs, l'Afrique qui compte plus de 640 pôles technologiques opérationnels, expose fièrement ses premières licornes et s'affiche à l'Est, comme le leader mondial du paiement mobile avec plus de 300 millions de comptes. Pourtant, « les innovations numériques doivent encore être développées bien au-delà de ces bulles de succès pour réaliser les ambitions de l'Agenda 2063 et créer des emplois en grand nombre pour les jeunes » préviennent les auteurs de cette étude, qui en appellent au renforcement des innovations au niveau local, à l'amélioration de la couverture numérique et de la formation, à l'intégration des travailleurs indépendants dans le circuit digital (16  % d'entre eux utilisent Internet régulièrement, contre  58  % des salariés), à l'harmonisation réglementaire ou encore à une meilleure compétitivité des prix d'accès à Internet.

L'idéal de résilience numérique ne fera pas l'économie d'une harmonisation des politiques publiques (seulement 28 des 54 pays africains sont dotés d'un dispositif relatif à la protection des données personnelles et 11 pays ont adopté des lois concernant la sécurité numérique), qui permettront de faire de ce secteur, un véritable levier de productivité, en particulier pour les PME. « L'existence d'un site Internet permet d'augmenter de 5.5 % la part des exportations directes dans les ventes des entreprises » avance le rapport, précisant qu'au sein du secteur formel africain « seuls 31 % des entreprises ont un site Internet, contre 39 % en Asie et 48 % en Amérique latine et aux Caraïbes ».

Le document rapporte par ailleurs que trop peu de personnes bénéficient encore des perspectives d'emploi ouvertes par la transformation digitale  en Afrique. Il faut dire que 70% des jeunes Africains (soit 1.4 milliard de personnes) vivent dans les zones rurales où 25.6 % des habitants seulement disposent d'un accès Internet (ndr : contre 35.2 % en Asie et 40.1 % en Amérique latine -Gallup, 2019). Les emplois directs des télécommunications et des 20 startups à plus forte croissance représentent plus ou moins 300 000 personnes. « A lui seul, le secteur numérique ne parviendra manifestement pas à offrir une formation et des emplois aux 29 millions de jeunes par an qui fêteront leur 16e anniversaire d'ici 2030 », conclut cette étude qui a par ailleurs, mis en évidence de profondes disparités géographiques.

Une nette avance de l'Afrique du Nord

En Afrique australe, le rapport conclut à une « transformation digitale à deux vitesses ». Alors que l'Afrique du Sud caracole en tête des pays les plus digitalisés du continent, en Angola, au Malawi, au Mozambique, en Zambie et au Zimbabwe, « la transformation digitale n'en est qu'à ses balbutiements avec seulement 25  % de la population ayant accès à Internet ». Seulement 22.6 % des habitants d'Afrique australe sont à ce jour, en mesure d'acheter un gigaoctet de données sur un mobile prépayé.

En Afrique centrale, la situation n'est guère plus favorable. Moins de 48 % de la population a accès à l'électricité et le taux d'abonnement à la téléphonie mobile  (66.9  %) est inférieur de 10 points à la moyenne africaine. Seuls 9 % des habitants utilisent un ordinateur et 34.2 % du territoire est couvert par la 4G. « Le coût élevé des abonnements explique le faible taux de pénétration d'Internet, à  26  % contre 35 % en moyenne en Afrique, ainsi que le peu d'emplois créés par le digital ».

L'Afrique de l'Est où les ¾ de la population a accès au réseau 4G et qui attire chaque année près de 1,2 milliard de dollars de capital-risque (créant de nombreux emplois dans des secteurs aussi variés que l'éducation, l'agriculture, les services financiers, la santé ou les services aux consommateurs, appuyés par le secteur de la Tech) laisse apparaître de sérieux défis. Les compétences sont insuffisantes et la pénétration numérique reste inégale.

Le nord de l'Afrique reflète « une nette avance dans son développement digital par rapport au reste du continent, avec 67 % d'accès au téléphone mobile et 48.3 % à Internet », confirme le rapport. Enfin, en Afrique de l'Ouest où les moins de 24 ans représentent 65 %  de la population, l'écosystème mobile emploie « 200 000 personnes et 800 000 de manière informelle [...] et a contribué à hauteur de 3.5 % au produit intérieur brut (PIB) -auxquels- s'ajoutent 600 000 emplois indirects ». Ces résultats encourageants ne sont accompagnés d'aucune vision stratégique commune.

« La plupart des stratégies nationales visent à transformer un pays en « centre numérique régional (...) Les organismes de réglementation nationaux ne peuvent pas gérer isolément les problèmes liés à la technologie » conclue cette étude. A l'aube de la ZLECAF (entrée en vigueur le 1er janvier 2021), l'harmonisation d'une stratégie numérique à l'échelle continentale s'impose pourtant comme une priorité pour le continent qui doit également accélérer « sa diversification et sa résilience face aux chocs externes », comme le soulignait Angel Guria, secrétaire général de l'OCDE à l'occasion de la conférence de presse dématérialisée du 19 janvier dernier, qui accompagnait le lancement de l'ouvrage, sous peine de décrochage.

Des recommandations discutées en amont

Ce rapport établi à la suite de nombreux échanges sur le continent présente 4 recommandations principales aux pouvoirs publics, pour accélérer la transformation numérique en Afrique. Premièrement, assurer la diffusion des innovations numériques en dehors des grandes villes. Seulement 35 % des villes intermédiaires sont connectées à des réseaux de fibre optique terrestres alors que 73 % des Africains vivront dans des villes intermédiaires et des zones rurales d'ici 2040. Investir ensuite, dans le développement des compétences locales et offrir une protection sociale aux iWorkers du secteur informel. Eliminer les obstacles qui freinent les petites entreprises (les seules villes de Cape Town, Lagos, Johannesburg, Nairobi et Le Caire concentrent la moitié des startups les plus dynamiques d'Afrique) et enfin, actualiser et harmoniser les réglementations aux niveaux régional et continental.

Pendant 17 ans, le centre de développement a édité un rapport relatif aux perspectives économiques de l'Afrique avec la Banque africaine de développement (BAD), auquel s'était associé sur le tard, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Cette équipe a périclité en 2017, son l'impulsion du directeur du Centre de développement de l'OCDE. « J'ai décidé de m'orienter vers l'Union africaine pour leur proposer de travailler ensemble, considérant que ce type de rapport vise avant tout des décideurs politiques [...] La BAD est une banque d'une part, et différentes nationalités non africaines sont représentées au conseil d'administration d'autre part, alors que l'UA est une institution qui rassemble des gouvernements nationaux [...].

Par ailleurs, nous avons estimé qu'il fallait choisir des experts africains pour dégager des grandes tendances par région », explique pragmatique Mario Pezzini, qui se félicite que l'UA ait choisi le Centre de développement de l'OCDE (où sont représentés plusieurs pays africains, contrairement à l'OCDE) pour rédiger ce rapport annuel. L'enjeu est de taille, prévient-il. « Que va-t-il se passer du côté du multilatéralisme ? », s'interroge-t-il, avant de réaffirmer la nécessité de plateformes comme celle qu'il porte depuis près d'une décennie (et jusqu'à l'été 2021), pour faire avancer le dialogue entre les nations.

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