L'Afrique en quête d'un autre modèle de développement énergétique

L'électrification mise en oeuvre par des entreprises étatiques n'a pas permis au continent de combler son retard. Mais le boom des innovations technologiques et financières favorise désormais l'essor des énergies renouvelables. Une aubaine pour les investisseurs privés.
(Crédits : Reuters)

Près d'un demi-milliard d'Africains vivent toujours sans électricité. Après une décennie d'avancées régulières, le taux d'électrification dans le monde a atteint 89 % et 153 millions d'individus supplémentaires ont ainsi été raccordés chaque année à l'électricité. Mais la situation dans les régions les plus isolées et en Afrique subsaharienne reste particulièrement préoccupante, puisque 573 millions de personnes y vivent toujours sans électricité. Le constat émane d'un rapport conjoint de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), de la Division de statistique de l'ONU (UNDESA),de la Banque mondiale et de l'OMS, publié en mai 2019. L'Afrique doit ainsi combler son gap, au moment où le monde étudie les possibilités de transiter vers des énergies moins polluantes face aux changements climatiques.

« Le dérèglement climatique se combine malheureusement à un problème d'énergie sur le continent africain où 65% de la population n'a pas accès à l'énergie », a rappelé Jean Louis Borloo, ancien ministre et président fondateur de l'association Energie pour l'Afrique, lors du sommet Africa Security Forum organisé en décembre dernier à Rabat.

Place aux producteurs indépendants

En Afrique, le secteur de l'énergie et plus précisément celui de l'électricité est confronté aux difficultés liées à la planification, à la gestion, aux aspects financiers et manques de ressources humaines. Ce qui limite considérablement la capacité des sociétés nationales d'électricité à recouvrer le coût des investissements et d'assurer un bilan solvable.La performance de la plupart des sociétés est freinée par les dettes et les déficits importants, pouvant aller de 200 millions à 25 milliards de dollars, selon le rapport de la BAD en 2018 sur les réformes du secteur de l'électricité en Afrique. Le document a révélé que les pays africains ont entrepris, à partir des années 90, des réformes du secteur de l'électricité adaptées à partir du « modèle standard » proposé notamment par la Banque mondiale. Ils ont conservé, dans une large mesure, la structure traditionnelle de sociétés de monopole intégrées de leur secteur de l'électricité, bien que la plupart aient intégré des Producteurs d'énergies indépendants (PEI). La baisse constante des prix de l'énergie solaire et éolienne au cours de la dernière décennie a, en effet, incité ces Etats africains à recourir à diverses technologies de production d'énergies renouvelables variables qui sont, à présent, bien implantées.

Vers un mix énergétique

Pour la plupart des pays africains, l'ouverture de la production à l'investissement privé a été un facteur important de l'ajout des énergies renouvelables aux réseaux nationaux. Sur la période 2008-2018, plus de 42% des nouveaux apports de capacité ont été effectués via des PEI, par l'énergie solaire photovoltaïque et plus de 37% par d'autres énergies renouvelables, notamment l'éolienne, l'hydroélectricité, la biomasse et la géothermique.

« L'Afrique a cette chance d'avoir les ressources et l'expérience des autres, elle devrait à partir de ces éléments élaborer son propre modèle de développement énergétique, sans avoir à copier des modèles existants », a préconisé Cyril Musila, professeur universitaire spécialiste du développement durable et chef du département d'études doctrinales et de recherches stratégiques du CHESD en RDC.

Les différentes innovations technologiques et financières ont déclenché des changements. L'ancien modèle commercial des services de production centralisés axés sur le réseau s'est avéré inefficace pour satisfaire la demande des zones rurales et reculées, poussant les pays à investir davantage dans les énergies renouvelables. A travers le continent, la quasi-totalité des pays ont, au cours de la décennie passée, investi dans des centrales photovoltaïques, des ouvrages hydroélectriques ou développé des partenariats pour l'électrification des zones reculées grâce aux technologies de blockchain comme les kits solaires, favorisant l'émergence de champions locaux comme M-Kopa du domaine au Kenya. Le développement d'un mix énergétique axé sur les ER, a donné des résultats probants. Les pays africains dont les taux d'accessibilité à l'énergie sont les plus élevés, notamment l'Algérie, l'Égypte, le Maroc, ont eu recours à une combinaison de solutions de raccordement au réseau et hors réseau axées sur les ER.

« Les énergies renouvelables ne peuvent évidemment pas, du jour au lendemain, remplacer les autres sources d'énergie. Leur insertion ne peut être que progressive et planifiée à très long terme. Les pays africains devraient œuvrer dans ce sens dès à présent, ce qui leur permettrait d'entrer dans l'ère solaire », analyse Brahim El Moussaoui, expert conseiller en maitrise d'énergie et responsable de la société d'ingénierie Gring-Cotec, à Casablanca.

Exploiter les atouts de chacun des pays

Chaque région a ses propres atouts et prédispositions en matière de développement des énergies renouvelables. Si dans la plupart des pays arides les mini-réseaux off-grid solaires s'avèrent les plus efficaces, pour la région des Grands Lacs, connue pour sa pluviométrie abondante et ses cours d'eau, l'on préconise des micro-barrages pour couvrir les besoins énergétiques. « La région des Grands Lacs - et l'Afrique centrale de manière générale- a une forêt dense, une bonne pluviométrie, des chutes d'eau, et toutes les prédispositions requises pour développer l'énergie hydroélectrique à faible coût », a précisé Cyril Musila. Face au changement climatique, à la demande croissante notamment en électricité, c'est le mix énergétique qui est aujourd'hui au cœur des politiques publiques, mais aussi des producteurs indépendants et des bailleurs de fonds. Les Etats, les opérateurs privés des énergies renouvelables, les majors des énergies fossiles et les banques n'ont cessé d'innover au cours de ces dernières décennies pour apporter des solutions et accompagner le développement des politiques de diversification énergétique.

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