Bertrand Piccard  : « Le monde non-polluant est le marché industriel du siècle »

Alors que l'entreprise s'approprie les questions de la « bonne gouvernance », le consommateur multiplie les initiatives DIY optimisées en réseau, pour une économie à impact plus soucieuse de l'environnement. Une dynamique relayée lors du Forum mondial pour l'économie responsable qui s'est tenu à Lille du 15 au 17 octobre derniers.
(Crédits : Maxime Dufour Photographies)

De l'organisation des entreprises aux circuits de distribution en passant par les usages des consommateurs, l'économie connaît de profondes transformations où l'enjeu environnemental s'est peu à peu imposé. Cette année, le World forum de Lille était placé sous le signe de l'ego imperium ou comment donner à chacun le pouvoir de changer le monde. « Nous sommes prisonniers d'un monde qui nous emmène là où ne voulons pas aller, un monde pollué, brutal, inégalitaire [...] le monde non-polluant est le marché industriel du siècle », a introduit Bertrand Piccard de la fondation Solar Impulse, l'aventurier qui a réussi l'exploit de parcourir 40 000 km à bord de son avion solaire, en 2016.

Bertrand Piccard Solar impulse

Bertrand Piccard, de la fondation Solar Impulse.

Pendant trois jours, 4 000 participants et 150 speakers s'étaient réunis autour de 90 sessions. « Depuis 13 ans, le Réseau Alliances organise ce forum pour faire connaître les enjeux de RSE en France, mais aussi à l'international [...] Il y a toujours eu une anticipation assez forte des entrepreneurs des Hauts-de-France sur les conséquences sociales de leurs activités. C'est ici qu'est né le 1% logement par exemple », explique Jean-Pierre Letartre, nouveau président de Réseau Alliances, une association qui existe depuis 25 ans et qui accompagne plus de 350 entreprises sur les questions de RSE.

De nombreuses personnalités avaient répondu présentes à l'invitation de l'organisation, comme Dale Dougherty, le fondateur de Maker Media, considéré comme le père du mouvement des Makers, une communauté issue de la culture DIY (« Do it yourself »), Heidi Solba, l'Estonienne de Let's Do It World et porte-parole du World Cleaning Day, Christel Heydemann, présidente de Schneider Electric France, mais aussi Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement ou encore Xavier Bertrand, président du Conseil régional des Hauts-de-France qui a alerté l'assistance. « Si on n'adopte pas de nouveaux processus, on va se casser la gueule [...] la révolte gronde », a-t-il lancé lors de la plénière de clôture. Un point de vue vraisemblablement partagé par Jean-Pierre Letartre qui souligne pour sa part que : « Sans valeurs RSE dans l'entreprise, les jeunes ne viennent pas et je peux vous le dire, car je dirigeais un groupe qui en recrute 1 200 chaque année », a déclaré l'ancien Manager Partner d'EY.

Le rendez-vous annuel de l'économie responsable était soutenu par pléthore de partenaires tels que GRDF, Enedis, EDF, Veolia, Schneider Electric, McCain, Bonduelle ou encore Bouygues, témoignant de l'intérêt grandissant depuis déjà quelques années, des grands groupes pour les problématiques RSE, sous la pression des consommateurs.

Rev3Egothon, une révolution par les régions

Entre conférence sur le « Start-up Power » et le défi rev3 Egothon qui a recueilli 756 engagements online pour contribuer à la « 3e révolution industrielle » en région dès 2020, le digital était le fil rouge du World Forum 2019. Rev3 est un projet initié en 2012 par les Hauts-de-France pour créer une région connectée, inclusive, durable et décarbonnée.

« Je me suis engagée au niveau professionnel à utiliser moins de papier, et au niveau personnel à trouver des astuces pour responsabiliser mes achats pour m'en tenir au strict minimum. J'essaie d'aller dans les boutiques de seconde main, même si je ne trouve pas toujours ce qu'il me faut, car je suis très grande », explique Noémy qui a parfois des difficultés à trouver « chaussure à son pied ».

« Nous avons créé un livret pour ceux qui consacrent 75 % de leur épargne à des projets rev3 (jusqu'à 150 000 euros, ndlr), rémunéré à hauteur de 1% », explique Daniel Dominguez du Crédit coopératif. A ce jour, ce sont plus de 2 000 livrets rev3 ouverts et plus de 20 millions d'euros d'encours collectés. « Il faut contribuer au développement de son territoire, car on a un retour sur investissement, notamment en termes de service public », insiste Marc Kaszinski, un épargnant rev3, devant l'amphithéâtre comble du Théâtre du nord de Lille. « Le Crédit coopératif a participé à l'achat d'une nouvelle machine pour notre entreprise, qui coûtait 1,2 million d'euros », explique quant à lui, Stefan Kirstetter de Malengé Packaging, fabricant d'emballage souple et bénéficiaire du programme rev3.

Vers un développement des sujets africains ?

Plusieurs acteurs de l'économie solidaire venus d'Afrique avaient fait le déplacement dans les Hauts-de-France. Parmi eux, Hassan Sachedina était venu présenter son entreprise BioCarbon, spécialisée dans la conservation et la lutte contre la déforestation en Zambie, Eco2Librium, l'entreprise kényane certifiée B-Corp, nommée Best for the World Overall en 2017 et Best for the World Changemarkers en 2018, était également représentée pour exposer son travail mené auprès des communautés rurales.

Muiru, la fondatrice de B Lab East Africa, a défendu son ONG consacrée à la défense des entreprises RSE au niveau régional. Deon Rossouw, DG de The Ethics Institute est revenu sur la Tech comme élément disruptif dans l'entreprise, tandis que l'Ougandais Edward Matsiko Insingoma de Pearl Capital Partner, a insisté sur le nécessaire renforcement de l'investissement d'impact dans l'agriculture africaine.

De son côté, le Rwandais Darius Habamenshi, DG de Abahizi Rwanda, une autre entreprise certifiée B-Corp qui emploie 92 % de femmes et qui s'est spécialisée dans la conception de sacs de luxe pour les plus grandes marques internationales, n'avait pu répondre à l'invitation, en raison des problèmes liés à l'obtention de son visa.

« Il y a beaucoup de sujets africains dont nous pouvons débattre ici et notamment en matière d'écologie et de pollution et je serais plus que favorable pour que l'on s'ouvre davantage au continent africain, dans nos prochaines éditions », souligne Jean-Pierre Letartre.

Enfin, l'Océan Indien était représenté par la banque MCB qui, consciente de son poids dans l'économie nationale, multiplie les initiatives en matière de RSE.

MCB fera-t-elle de Maurice la « smart island » de demain ?

« Le succès au-delà des chiffres », tel est le nouvel adage de la banque mauricienne qui a fêté son 181e anniversaire en septembre dernier et qui se félicite de compter près de 1 million de comptes bancaires sur l'île dont la population totale avoisine 1,2 million d'habitants, et où le secteur bancaire représente près d'un emploi sur quatre. « Nous accompagnons les Mauriciens tout au long de leur vie et notre secteur contribue à hauteur de plus de 70 % au PIB de Maurice », poursuit Raoul Gufflet, DG adjoint de MCB Group, soulignant « la responsabilité » inhérente à cette position dominante. « Nous voulons construire une nouvelle économie et nous avons lancé la campagne « loKal is beautiful », car nous ne voulons pas dépendre uniquement des capitaux étrangers », explique le banquier.

Maurice sera-t-elle la « smart island » de demain ? Raoul Guffet y croit fermement et a profité du forum pour présenter les dernières initiatives mises en place par son groupe en matière de RSE : conception d'une nouvelle carte de crédit faite à base de maïs, lancement d'un congé social pour réaliser des actions de bénévolat « responsables ». « Nous concevons une stratégie pour réduire les GES et nous allons créer un nouveau fonds dédié pour nos clients. Nous avons d'ailleurs lancé un programme basé sur la durabilité concernant l'économie locale en matière d'écologie |Maurice ne produit que 1 % des GES, mais demeure particulièrement menacée par le réchauffement climatique, ndlr]. Nous pouvons devenir une île circulaire qui fermerait la boucle des ressources que nous consommons », a-t-il ajouté.

Le DGA de MCB souligne enfin l'importance de l'égalité des genres au sein du groupe : « Nous voulons atteindre 45% de femmes dans notre Comité de direction d'ici 2025 ». Aux côtés de Leor Rotchild de CBSR (Canada), Patrick Odier de Lombard Odier (Suisse) et Deward Matsiko Isingoma de PCP (Ouganda), Raoul Gufflet a insisté sur la redéfinition du rôle du capital comme accélérateur de développement.

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Commentaires 2
à écrit le 28/10/2019 à 18:21
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La planète n'en peut plus. Le "marché du siècle", c'est terminé. Il faut penser à la décroissance (démographique et industrielle) la plus rapide possible, si on veut assurer l'avenir de notre descendance

à écrit le 22/10/2019 à 9:11
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Oui mais tant qu'il génèrera plus de profits pour l'"oligarchie financière mondiale le monde polluant demeurera et comem ces gens là sont incapables de prendre le moindre risque, le monde polluant nous anéantira.

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