Interview  : « Le régime de change flottant facilitera notre intégration à l'économie mondiale »

Depuis l'annonce de la décision de libéralisation du dirham marocain, il y a près d'un an, l'opinion publique et les opérateurs économiques sont happés par les interrogations et l'appréhension qui entourent cette réforme du régime de change. La sortie tonitruante du patron de la Banque Centrale, Abdellatif Jouahri, et surtout le report de la conférence conjointe qu'il devait mener avec le ministre des finances pour étayer les modalités techniques, n'ont fait que rajouter au sentiment de confusion. El Mehdi Fakir, expert comptable et directeur associé chez AdValue audit & consulting  groupe revient pour la «Tribune Afrique» sur les enjeux de ce passage au régime de change flottant.
La flexibilité du dirham pourrait notamment impacter les habitudes de consommation des Marocains en les orientant davantage vers le produit national.

La Tribune Afrique : Ces dernières semaines, des entreprises ont été surprises de ne pas pouvoir acheter des devises pour payer leurs fournisseurs. Qu'est-ce qui explique cette situation ? Doit-on y voir l'effet de la spéculation sur devises des banques ?

El Mehdi Fakir : Il va falloir nuancer. Il n'y avait pas un assèchement des réserves en devises -qui dépassent les 25 milliards de dollars hors ligne de précaution- mais d'opérations ponctuelles dans le temps, dont une partie non négligeable est initiée par les clients eux-mêmes (opérations de couverture d'importation, distributions de dividendes pour actionnaires étrangers,... NDA). Celles-ci ont donné lieu à des retards de traitement au regard du volume relativement important. Ce qui explique que certaines banques auraient mis du temps à traiter certaines demandes de leurs clients intervenues la veille du 20 juin.

Par ailleurs, certaines banques font quelques arbitrages en matière d'«approvisionnement en devises», si elles jugent peu confortable l'offre du marché interbancaire ou celle de la Banque centrale pour leurs positions de change.

La réaction du wali de Bank al-Maghrib (Banque centrale du Maroc) a été virulente. Quel décryptage en faites-vous ?

Le wali de Bank al-Maghrib a critiqué certaines «intentions de gestion» qui auraient provoqué ce volume de transactions relativement exceptionnel, lesquelles anticipaient une «dévaluation du dirham». Or, il a bien précisé qu'il n'a jamais été question de dévaluer le dirham et que la crédibilité de la Banque centrale n'est pas à remettre en question dans la mesure où celle-ci est le garant de la stabilité monétaire et que la conduite et le pilotage de la politique monétaire sont des prérogatives de cette institution et non du marché bancaire.

Par ailleurs, le wali de la Banque centrale a promis de conduire des investigations sur ces opérations dont les conclusions, à mon avis, seront très intéressantes pour ajuster la réforme.

Plus généralement, le passage au régime de change flottant semble susciter beaucoup d'appréhension. Ces craintes sont-elles justifiées, à votre avis ?

Elles sont justifiées dans la mesure où dans le cas où il y aurait une baisse «non maîtrisée» de la valeur du dirham, ce passage devrait entraîner une augmentation du coût des importations et de facto une pression sur la balance des paiements et sur les réserves de change. Or, en optant pour une démarche progressive, le Maroc veut éviter l'échec de la réforme comme cela a été le cas pour l'Égypte.

Donc, un travail de communication et de vulgarisation devrait être conduit, particulièrement  auprès des opérateurs économiques afin d'expliquer le pourquoi et le comment de ce cette décision et de corriger certaines perceptions et amalgames, notamment «la similitude avec le cas égyptien !». L'objectif est de faire comprendre que ce passage doit être perçu comme une opportunité pour notre pays, plutôt qu'une menace.

Un travail de pédagogie et de formation aux instruments financiers n'est-il pas nécessaire auprès des entreprises concernées ?

Au-delà des instruments financiers, les opérateurs économiques devraient être initiés à repenser leurs stratégies de croissance pour ne pas être à la merci du risque de change. Ceci passe par la conception et la conduite d'une vraie stratégie de croissance à long terme -contre une gestion opérationnelle au jour le jour- ainsi que pour la mise en place d'une gestion des risques dans le sens large du terme, y compris les risques de change. Les instruments seront donc des solutions qui découlent d'une vision pensée et pilotée.

Le secteur bancaire devra jouer un rôle décisif dans la réussite de l'accompagnement du tissu entrepreneurial en proposant à leur clientèle des formules de couverture contre le risque de change, adaptées à tous les besoins en offrant des produits qui répondent à toutes les échéances et sophistications de la TPE à la grande entreprise.

Dans l'état actuel des choses, doit-on forcément s'attendre à une baisse du cours du dirham ?

Sincèrement, c'est prématuré de le dire. Les pouvoirs publics -régulateurs et exécutifs- travaillent d'arrache-pied pour apporter le maximum d'assurance afin de maintenir la valeur du dirham à un niveau maîtrisable.

Par ailleurs, il convient de préciser que ce régime de change demeura administré pour gérer les niveaux de fluctuation à la baisse, car Bank al-Maghrib suivra et évitera d'élargir «les bandes de fluctuation» même à la baisse. Donc le niveau de baisse sera maîtrisé et fixé.

D'un autre côté, la dernière note de l'agence Fitch rassure quant aux effets de ce passage et estime que l'économie marocaine devrait s'y adapter.

Quel impact sur les ménages et les entreprises marocaines ? Quels sont vos conseils pour ces derniers ?

Pour un pays en développement comme le Maroc, la mise en place d'un tel régime peut être un moyen d'augmenter les recettes en devises, de booster l'offre exportable et les investissements étrangers et de faciliter l'intégration à l'économie mondiale.

Pour le citoyen, c'est peut-être un changement dans les habitudes de consommation et une orientation vers le produit national, mais surtout de nouvelles opportunités d'emploi et d'insertion professionnelle grâce à une économie dynamique et créatrice de richesse. Donc une rationalisation de la consommation des biens importés s'imposerait en cas d'augmentation des prix de ces derniers.

Pour les entreprises, c'est une révolution culturelle où la définition d'une vraie stratégie et la mise en place d'une gestion des risques sont les mots d'ordre, plutôt qu'une gestion opérationnelle au jour le jour. Donc une orientation vers la maîtrise de la chaîne de valeur et la définition de stratégies de croissance  s'imposeraient -industrialisation et internationalisation, notamment- afin de garantir un développement durable loin de toute dépendance et de chocs de l'environnement externe.

Enfin il ne faut pas oublier que pour l'Etat, c'est plutôt un soulagement des finances publiques et une orientation de l'effort financier du Trésor vers l'investissement et le renforcement des fondamentaux économiques.

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