Maroc : la Cour des comptes pointe l'insuffisance des réserves stratégiques

Au moment où le Maroc s’impatiente en attendant la formation d’un nouveau gouvernement, la Cour des comptes vient de jeter un pavé dans le marre, en tirant la sonnette d’alarme sur les stocks stratégiques du pays. Des réserves qui n’ont de sécurisées que le nom, notamment pour le gasoil où la loi situe l’autonomie minimale entre 75 et 60 jours, alors que les stocks des distributeurs, peuvent baisser jusqu’à 5 jours ! Les magistrats ont également pointé du doigt, l’état des réserves des médicaments, blé tendre et sucre, jugés respectivement imprécis et menacé par la concentration géographique et économique.
Amine Ater
La Cour des Comptes marocaine vient de tirer la sonnette d'alarme sur l'état des réserves stratégiques du pays, jugées faibles pour le pétrole, manquant de clarté pour les médicaments et menacées par la concentration économique et géographique pour les stocks de céréales et de sucre

Le Maroc semble avoir un retard à rattraper en matière de stockage de sécurité. C'est ce qui ressort du dernier rapport de la Cour des comptes qui dresse un portrait alarmant de la situation. Selon les magistrats de la Cour, bien que la législation a institué le principe de constitution des stocks de sécurité, elle n'en a pas fixé les objectifs. « Les modalités de contrôle et de suivi prévues montrent de réelles insuffisances », précise-t-on du côté de la Cour des Comptes. Des stocks qui ont même atteint 5 jours !

Plus de raffinerie, ni de réels stocks stratégiques

Au niveau des produits pétroliers, les magistrats ont constaté une insuffisance structurelle par rapport au niveau minimum prévu par la loi, qui est situé entre 75 et 60 jours de consommations. Les écarts sont plus significatifs pour certains produits de grande consommation comme le gasoil et le butane. Pour le gasoil, les stocks disponibles au moment de l'enquête ne permettaient de couvrir, en moyenne que 24,1 jours de consommation ! Là où le supercarburant, n'avait qu'une autonomie ne dépassant pas les 34,8 jours. Les réserves de butane ne couvraient de leur côté que 27,5 jours de consommation, mais la situation jugée la plus critique par les magistrats de la Cour des Comptes reste celle du stock de fuel des distributeurs. En effet, ces derniers disposent de réserves qui ne dépassent pas 5 jours de couverture !

Des délais qui contreviennent au règlement qui stipule que le raffineur doit maintenir un stock équivalent à 30 jours de ventes. Un seuil qui n'est respecté qu'à moitié avec des réserves ne couvrant que 15,7 jours de ventes. Une situation aggravée par l'arrêt d'activité du raffineur La Samir. Au déficit de stock, s'ajoute un manque en espace de stockage, notamment pour le gasoil qui ne dispose que de l'équivalent de 26 jours de capacité chez les distributeurs, 42 jours pour le butane et 56 jours pour le gasoil.

Flou sur les réserves de médicaments

Les réserves en médicament inquiètent également les magistrats de la Cour des Comptes. Bien que les stocks de sécurités ont depuis 2002, une réglementation propre qui fixe les réserves au quart du total des ventes au cours de l'année précédente pour les pharmacies et de 1/12 des ventes de l'année précédentes pour les grossistes. Une réglementation qui manque de précision et qui ne tient pas compte des spécificités des produits pharmaceutiques. Un système qui rend le suivi des stocks difficile, inefficace et ne permet pas de se focaliser sur les produits les plus critiques. D'ailleurs, les produits sanguins ne font pas partie des produits soumis aux obligations de stockage de sécurité. Ce qui explique l'absence d'une réelle réserve de sang au Maroc, pays où les dons ne dépassent pas 0,9% de la population pour une moyenne mondiale recommandée par l'OMS de 3% de donneurs de sang.

Trop de concentration pour les produits alimentaires

Les enquêteurs de la Cour des Comptes se sont également intéressés aux stocks de sécurité de produits alimentaires, notamment le blé tendre et la sucre très consommés au Maroc. Pour le blé tendre, le stock moyen est de 14,9 MQx pour une consommation mensuelle moyenne de 4 MQx, ce qui offre une couverture de plus de 3,5 mois d'écrasement. Des réserves qui restent difficiles à contrôler compte tenu du nombre d'opérateurs sur le marché : 280 organismes stockeurs, 30 importateurs et 164 minoteries industrielles. Une partie de ses opérateurs utilisent encore des process industriels traditionnels alors que d'autres ont répondent aux normes internationales.

Malgré l'importance des stocks en céréales, la prédominance du stockage en magasins avec 65% des capacités globales par rapport au stockage en silos, inquiète les magistrats. En effet, contrairement aux silos, les magasins ou hangar de stockage ne permettent pas un stockage selon les normes d'hygiène en vigueur tout en rendant quasi-impossible une traçabilité des céréales. A ce souci de stockage s'ajoute une concentration géographique au niveau du port de Casablanca par lequel transite près de 53% des importations en blé tendre.

Le sucre fait également partie des produits de consommation « stratégique » au Maroc. Un secteur à l'organisation assez particulière, vu que le marché comptait des producteurs sucriers, des raffineurs de sucre brut ou encore des importateurs de sucre raffiné. Un écosystème dont les composants ont été privatisé puis regroupés en un opérateur unique qui détient le monopole de fait. Bien que l'opérateur dispose de réserves dépassant l'obligation de stockage, quantifié par le législateur a une moyenne de 2 mois de consommation.

Il n'empêche que cette autonomie connaît des fluctuations significatives. En clair, la période estivale connaît généralement de fortes réserves, alors que la période hivernale voit le stock faiblir dangereusement jusqu'au début du printemps. Selon les magistrats, le mois d'avril enregistre systématiquement la plus faible autonomie de l'année. Les enquêteurs de la Cour de Comptes ont également pointé du doigts la forte dépendance du marché aux importations de sucre brut dans la production de sucre blanc. Des importations qui représentent près de 66% de la production et fait craindre aux magistrats une forte exposition à de potentiels problèmes d'approvisionnement de ce produit sur le marché international, notamment en terme de fluctuation de ses cours.

Menace latente et encadrement nécessaire

Une hypothèse qui ne se limite pas aux stocks de sucre, mais s'étend également aux carburants et aux médicaments, au moment où la Banque Centrale marocaine s'apprête à préparer la libéralisation du taux de change du Dirham. Bien qu'épargné en partie de la morosité économique qui a caractérisé ces dernières années, le Maroc n'est pas totalement immunisé contre un scénario à l'égyptienne qui a vu une baisse de valeur de la monnaie impactée en entraînant au passage des pénuries de sucre, farine, produits pharmaceutiques ou encore de lait en poudre.

Une menace latente, qui pousse la Cour des Comptes à encourager les autorités compétentes à réformer le cadre légal des réserves de sécurités, jugées peu précises. En plus de la clarté en matière de modes de comptabilité utilisés pour les stocks de sécurité, les magistrats recommandent également d'intégrer les dérivés critiques pour la production d'électricité (fuel et charbon). Le financement de ses stocks devra également être étroitement encadré pour éviter tout impact d'une baisse de valeur du Dirham sur la capacité à maintenir une autonomie minimum. Un dossier qui devrait être parmi les top priorités du prochain gouvernement marocain.

Amine Ater

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