Prospective 2019 : de l'optimisme, malgré les incertitudes

Après un net ralentissement en 2015 et 2016, la croissance africaine a relativement repris entre 2017 et 2018. Les projections tablent sur une poursuite de cette dynamique modérée pour 2019 et une consolidation en 2020. Entre un optimisme, encore ambiant, porté par des leviers toujours prometteurs et une persistance des incertitudes engendrée par l’amplification des risques, la croissance continentale pourrait entamer dès cette année une transition vers un nouveau cycle.
(Crédits : DR)

Il faudra certainement attendre la prochaine décennie et une conjoncture plus favorable pour espérer voir la croissance africaine renouer avec sa dynamique soutenue des années 2000 qui allait changer le regard du monde sur le Continent. La nouvelle année 2019, comme les précédentes, apporte son lot d'espoirs et d'incertitudes avec une croissance qui se consolide à nouveau, comme en témoignent les projections actualisées en fin d'année des perspectives d'évolution de la croissance.

Après avoir marqué le pas en 2015 et 2016, suite au contrecoup de la baisse drastique des cours des matières premières -notamment du pétrole- entamée à partir de 2014, les économies d'Afrique subsaharienne continuent de se redresser, «mais à un rythme plus lent que prévu», comme le soulignent les analystes du FMI qui estiment le taux de croissance moyen de 2018 à 2,7 %, soit une légère augmentation par rapport aux 2,3 % enregistrés en 2017. Pour 2019, les projections divergent, puisque les incertitudes planent encore sur le rythme de croissance du PIB. Alors que la BAD, plus optimiste, attend une progression supérieure à 4%, la Banque mondiale, elle, table sur une consolidation moyenne de 3,6 % sur la période 2019-2020. Toutefois, les analystes du FMI se montrent plus prudents en prévoyant, à moyen terme, «et à politiques économiques inchangées», une accélération qui pourrait avoisiner les 4 %.

Une résilience confirmée grâce au FMI ?

Malgré les chocs exogènes et endogènes, les économies africaines ont su faire preuve de résilience, confirmant ainsi la solidité de certains fondamentaux macroéconomiques. Et ce sont les partenaires financiers qui allaient se révéler d'un grand secours et principalement le FMI qui a accompagné les Etats dans la mise en œuvre des ajustements de politiques nationales. C'est en effet grâce à cette assistance et à un environnement extérieur quelque peu favorable que la majorité des pays ont réussi à maîtriser les déséquilibres budgétaires. Dans la plupart des cas, ces ajustements résultaient d'une hausse des recettes tirées des produits de base, des fortes compressions des dépenses d'équipement, et du recours aux marchés financiers internationaux. Des facteurs qui ont permis de compenser la faible mobilisation des recettes intérieures, la volatilité des cours des matières premières sur les marchés internationaux, ainsi que les chocs internes pour beaucoup de pays en situation de fragilité.

Toutefois, le contexte économique diffère d'une sous-région à une autre et d'un pays à un autre : si en Afrique du Nord la reprise se confirme grâce notamment à la dynamique de l'économie égyptienne, elle reste moins prononcée en Afrique australe, en raison de l'attentisme qui prévaut en Afrique du Sud, mais aussi en Angola. Dans la zone Franc, les pays de l'UEMOA continuent à tirer profit du rythme soutenu des investissements dans les infrastructures. Un scénario différent pour les pays de la CEMAC où les niveaux d'endettement restent élevés, avec des réserves internationales réduites qui font planer le spectre d'une dévaluation du franc CFA. En Afrique de l'Est, les perspectives de croissance se sont améliorées dans la plupart des pays de la sous-région, grâce notamment au regain de croissance du secteur agricole et à la reprise de l'expansion des crédits au secteur privé. Des pays se distinguent également au sein même de ces Communautés économiques régionales (CER). En Afrique de l'Est par exemple, c'est l'Ethiopie qui continue à afficher la croissance la plus élevée de l'Afrique subsaharienne, suivie par le Kenya et le Rwanda avec des niveaux de croissance estimés entre 7% et 8%. C'est aussi le cas du Ghana en Afrique de l'Ouest où le Sénégal et la Côte d'Ivoire affichent depuis ces dernières années une croissance moyenne supérieure à 5 %. Autant de disparités qui illustrent une croissance toujours volatile, peu vigoureuse et très inégale, surtout lorsqu'elle est rapportée à l'évolution du PIB par habitant.

Des risques et beaucoup d'incertitudes

L'une des bonnes nouvelles de l'année 2018 et qui augure une meilleure croissance africaine en 2019, c'est la sortie de récession des principales économies du Continent. Il s'agit notamment du Nigéria, de l'Afrique du Sud et de l'Angola. Bien qu'elle reste modeste, «cette performance», au regard du contexte mondial, contribue fortement à relever la croissance du PIB, particulièrement en Afrique subsaharienne.

Cette relative embellie n'est pourtant pas sans occulter l'amplification des défis politiques et socioéconomiques auxquels s'ajoutent les défis sécuritaires et climatiques. Selon le FMI, si par exemple l'activité devrait rester solide dans les économies pauvres en ressources naturelles sur la période 2018-2020, «de nombreuses difficultés persistent, toutefois, dans la région». C'est le cas notamment de l'endettement public qui augmente et «qui risque de mettre en péril la soutenabilité de la dette dans certains pays». D'autre part, la création d'emplois de bonne qualité ne suit pas le rythme des nouveaux entrants sur le marché du travail et la pauvreté reste encore endémique. Car même si la croissance du PIB par habitant deviendra positive en 2018, cela ne suffira pas pour réduire significativement la pauvreté. D'après des estimations croisées, le nombre total de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (fixé à 1,90 dollar par jour en parité de pouvoir d'achat de 2011) ne devrait que très peu baisser.

A cela s'ajoutent les incertitudes qui découlent de la surenchère des restrictions sur le commerce entre de grandes économies, avec comme éventuelle conséquence  des pertes économiques importantes et des coûts commerciaux qui se répercuteraient tout au long des chaînes de valeur mondiales. C'est ce qu'a d'ailleurs estimé ShantaDevarajan, économiste en chef à la Banque mondiale, pour qui «tout recul de la croissance dans les grandes économies aurait des répercussions négatives importantes pour le reste du monde par le biais du commerce, du climat de confiance, des flux financiers et des marchés de produits de base». A ces défis, s'ajoutent aussi ceux engendrés par le nouveau contexte économique mondial avec un tassement de la demande, notamment en ressources naturelles. Par ailleurs, la lenteur dans la mise en œuvre des réformes structurelles n'aide en rien le Continent à relever le défi de la diversification à travers une plus grande industrialisation. De ce fait, en attendant que la mobilisation des recettes fiscales internes s'améliore et que les flux financiers illicites s'amenuisent, le salut des pays africains est en grande partie encore porté par le potentiel des matières premières. Or sur les marchés internationaux, la volatilité de celles-ci est autant porteuse d'opportunités que de risques. Dans la dernière édition de son Commodity Markets Outlook (octobre 2018), la Banque mondiale alerte sur le fait que «sous l'effet d'autres facteurs, tels que les progrès technologiques, la modification des préférences du consommateur, les problèmes environnementaux et les politiques de promotion d'énergies plus propres, le recul de l'utilisation de certaines matières premières dans le monde pourrait être plus fort que le laissent supposer les tendances actuelles».

Des opportunités de croissance à portée de main

La quête d'une croissance vigoureuse, durable et inclusive en Afrique paraît encore peu précise. Aux défis persistants se greffent des obstacles structurels dont un déficit criant en infrastructures -notamment énergétiques ; l'amenuisement des sources de financements conventionnels, une main-d'œuvre peu qualifiée et un capital humain peu valorisé. A cela s'ajoutent des cadres législatifs et réglementaires peu propices à une meilleure compétitivité. Fort heureusement, le contexte est en train d'évoluer et les gouvernants, conscients de la nécessité de relever le niveau de croissance pour prétendre satisfaire des besoins sociaux de plus en plus pressants, ne manquent pas d'alternatives. Un constat confirmé dans la dernière édition du Doing Business qui rappelle que des réformes sont mises en œuvre tous azimuts sur le Continent afin d'améliorer le climat des affaires, tout en révélant le succès des flux de capitaux «non officiels» à destination des pays africains. Et bien que l'aide publique au développement (APD), acheminée vers la région tend à diminuer, le FMI estime que «ces flux non officiels pourraient fournir les financements indispensables aux initiatives de développement et stimuler la croissance économique et le bien-être». C'est justement ce dont les économies africaines ont besoin surtout que forts de leur potentiel, les partenaires ainsi que les investisseurs se bousculent au portillon, engendrant une véritable concurrence sur le marché continental.

Il faut dire que malgré les déceptions qui ont suivi l'euphorie des années 2000, l'Afrique a de quoi séduire : le cabinet McKinsey, qui avait presque anticipé cette dynamique dans ses deux éditions Lions on the road sur le potentiel de croissance des pays africains, remet d'ailleurs à l'ordre du jour de nouveaux relais de croissance pour le Continent. Dans sa dernière analyse Africa's Business Revolution: How to Succeed in the World's Next Big Growth Market, Mckinsey revient sur le potentiel d'une population qui devrait doubler d'ici 2050, des dépenses des consommateurs et des entreprises qui devraient atteindre les 5600 milliards de dollars d'ici 2025, et une production manufacturière qui devrait doubler sur la même période. Cette forte croissance de la population, portée par une urbanisation galopante, engendre également des besoins importants encore largement insatisfaits. «Il existe une opportunité historique, dont le potentiel économique s'élève à 1 600 milliards de dollars, pour accélérer l'industrialisation de l'Afrique», projettent les analystes de McKinsey. En plus de ces opportunités que recèle l'explosion de la demande intérieure croissante, le Continent s'ouvre de plus en plus sur les marchés d'exportation mondiaux : «L'Afrique va avoir besoin de réduire son déficit d'infrastructures en bénéficiant en particulier d'une intensification des efforts déployés en coopération par les pouvoirs publics et le secteur privé», met en avant Acha Leke, économiste et un des auteurs de l'ouvrage.

L'année 2019 qui s'ouvre constitue donc une année de transition en attendant que les pays africains consolident leurs résiliences, avant d'entamer un nouveau cycle à partir de 2020. Un horizon qui devrait marquer le début de l'accélération des stratégies de développement pour l'atteinte des Objectifs de développement durable et de l'Agenda 2063 de l'Union africaine.

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