Quand la diversification fait la part belle à certaines économies africaines

Avec une croissance régionale attendue à 4,1% en 2023-2024, soit au-dessus de la moyenne mondiale, l'Afrique est l'une des régions les plus dynamiques au monde selon les perspectives économiques de la Banque africaine de développement. Alors qu'à tous ses défis s'ajoute celui du climat, la diversification se décline en solution d'urgence pour attirer les investissements privés verts, en y associant la fameuse condition sine qua non à l'intérêt du secteur privé : l'amélioration du climat des affaires. Décryptage.
(Crédits : Flickr)

L'adage ne dit-il pas qu'il ne faut pas mettre tous ses œufs dans un même panier ? Plaute, l'auteur comique latin, disait autrement : « Jamais la souris ne confie sa destinée à un seul trou ». Certaines économies africaines ont bien saisi cette philosophie. Elles poussent leurs pions sur plusieurs secteurs, dans lesquelles elles performent et tentent d'assurer leurs arrières quand viennent les temps d'incertitude. C'est le cas notamment du Rwanda, de la Côte d'Ivoire, du Bénin, de l'Ethiopie et de la Tanzanie qui devraient « réintégrer la ligue des dix économies à la croissance la plus rapide au monde en 2023-2024 », indiquent les experts de la Banque africaine de développement (BAD) dans le rapport sur les perspectives économiques dévoilé le 24 mai à Charm el-Cheikh en marge des assemblées annuelles de l'institution multilatérale panafricaine.

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A ces pays se greffent cinq autres dont la croissance du PIB devrait également être au-dessus de 6%, le Niger devant atteindre 9,4%. Au-dessus de la barre des 5% de croissance, la liste s'élargit à dix-huit pays. Cela devrait permettre au continent de progresser en termes de croissance moyenne à 4,1% en 2023-2024, contre 3,8% en 2022. Un résultat promis pour être supérieure à la moyenne mondiale (2,9%) prédite par le Fonds monétaire international (FMI). « L'Afrique continue de démontrer une résilience remarquable pendant que le reste du monde rame en termes de croissance du PIB. Cela est rendue possible notamment grâce aux politiques macroéconomiques adoptées par les pays en ces temps de crise. Les économies à faible intensité en ressources naturelles profiteront de la diversité de leurs structures économiques, ce qui souligne l'importance de la diversification pour résister aux chocs », commente le professeur Kevin Urama, Vice-président et économiste en chef de la BAD qui a présidé l'étude.

Assemblées BAD

Les plus diversifiés, les plus résilients à l'avenir

La diversification économique est généralement définie comme le passage à une structuration plus variée de la production nationale et des échanges, afin d'augmenter la productivité, créer des emplois et jeter les bases d'une croissance soutenue permettant de réduire la pauvreté. Si depuis l'époque du célèbre philosophe et économiste écossais Adam Smith le concept est évoqué, celui-ci émerge en « enjeu important » pour les politiques nationales à partir des années 1930, selon l'économiste français Jean-Claude Berthélémy dont certains travaux sur le sujet ont été publiés en 2005. En effet, la structuration diversifiée des économies a été la base du succès des pays d'Europe, d'Amérique et plus récemment de la Chine, même si le terme « diversification économique » est souvent employé pour les pays en développement.

En parcourant en détails le présent rapport de la BAD, l'on s'aperçoit que les principales recommandations tournent autour de l'urgence de diversifier ou d'accélérer le processus de diversification des économiques face aux chocs. Le « péché » de la majorité des pays riches en ressources -dont la croissance devrait osciller autour des 2,4% en moyenne- est en effet leur dépendance à ces matières premières, extraites et exportées à l'état brut. Et pour l'économiste en chef de la BAD, il ne fait aucun doute que « les pays beaucoup plus diversifiés continuent d'avancer et montreront plus de résilience au cours des années à venir ».

L'intérêt du secteur privé en jeu

Les années à venir promettent d'être beaucoup plus « challengeantes » en raison d'un défi supplémentaire : les changements climatiques, dont le continent qui n'en est pas responsable avec seulement 4% des émissions mondiales de carbone, en est l'une des plus grandes victimes. C'est la raison pour laquelle, les perspectives économiques de la plus grande institution multilatérale du continent s'attarde sur comment « mobiliser les financements du secteur privé en faveur du climat et de la croissance verte en Afrique ». « L'avenir de l'Afrique est vert », a déclaré le président de la BAD, Akinwumi Adesina, lors des assemblées annuelles de la BAD, appelant à multiplier les interventions pour permettre à l'Afrique de relever le défi du financement climatique.

Si pour les experts africains, la question du risque ne devrait pas être un frein à l'investissement vert, ils sont également unanimes sur le fait que les pays en difficulté devraient « impérativement » -outre la diversification- appuyer sur l'accélérateur pour l'amélioration de leur environnement des affaires. « Le secteur privé est bien plus efficace sur le long terme. Mais qu'on se le dise, le secteur privé n'est intéressé que par une seule chose : le rendement », fait remarquer Hassan Abdalla, gouverneur de la Banque centrale d'Egypte. « Nous devons donc, en tant qu'économies africaines, nous assurer que nous mettons en œuvre les conditions qui mettent à l'aise les potentiels investisseurs prêts à prendre le risque ».*

Ces secteurs qui devraient retenir l'attention

En termes de secteurs, l'agriculture, les énergies, l'eau, les technologies de l'information et de la communication (TIC) et les transports, sont ceux identifiés comme étant à fort potentiel pour les investissements verts, car critiques pour le développement du continent, particulièrement en ce qui concerne les infrastructures. Des pays comme le Maroc, mais aussi l'Egypte sont avant-gardistes sur ce sujet. En effet, le pays d'Abdel Fattah al-Sissi abrite en l'occurrence la plus grande station d'épuration au monde en capacité et en coût - El-Gabal El-Asfar- financée par la BAD et Le Caire. L'extension du projet est portée à hauteur de « 80 millions de dollars par le Royaume-Uni, 15 millions de dollars par l'Agence française de développement (AFD) et 12 millions de dollars par l'Union européenne (UE) », a détaillé Rania Al Mashat, ministre égyptienne de la coopération lors d'une rencontre avec la presse mercredi.

Les leçons du passé

Des Nations-Unies à la Banque mondiale, cela fait des années que face aux différentes conjonctures qui ont prévalu dans le monde, les experts ont identifié la diversification économique comme le chemin par excellence vers l'émergence d'économies robustes dans un continent en proie à d'importants défis de développement. En octobre 2010, au lendemain de la crise financière mondiale déclenchée deux ans plus tôt aux Etats-Unis et à laquelle l'Afrique a échappé pendant que le reste du monde trinquait, un rapport conjoint du Bureau du Conseiller spécial de l'ONU pour l'Afrique, l'OCDE et du NEPAD -le bras armé de l'Union africaine (UA) pour le développement, alertait sur « l'urgence » de multiplier les paniers dans lesquels les pays africains placent les œufs de leur croissance. Objectif : se prémunir des chocs futurs et surtout inattendus. En 2015 -tout comme chaque fois que c'est le cas- la dégringolade des prix a eu des conséquences dramatiques sur la croissance de plusieurs pays dépendant des ressources naturelles.

Des PND à long terme, la clef ?

Ces dernières années, la Covid-19 et la guerre en Ukraine ont démontré cette « urgence » à la diversification. Si l'Afrique démontre une fois de plus sa légendaire résilience corroborée par le rebond spectaculaire de certains pays à partir de 2021, l'expérience douloureuse de ces dernières années -face à une population galopante dont les besoins s'accroissent- presse le continent. Pour le professeur Kévin Urama, c'est aussi le moment pour les gouvernements de revisiter les plans nationaux de développement (PND). « La diversification économique résulte d'un plan national de développement. C'est la raison pour laquelle je recommande aux Etats qui veulent vraiment mobiliser les ressources pour le climat et la croissance verte doivent avoir des plans à long terme qui incluent des objectifs clairs de transition climatique et de croissance verte. Ainsi quand un investisseur vient, il sait précisément où investir », explique l'économiste.

Face au succès des pays qui essaient de jouer tant bien que mal la carte de la diversification, les pays dont l'économie dépend des ressources naturelles sont mis au défi, celui de déployer des stratégies et de favoriser l'exécution de projets permettant de multiplier les pôles pour une croissance économique verte.

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