Le Covid-19 profitera-t-il au renforcement du soft power chinois sur le continent ?

En Afrique où la prudence reste de mise, institutions internationales et acteurs privés se mobilisent pour endiguer la pandémie de coronavirus. Alors que les plateformes en e-santé fleurissent aux quatre coins du monde, entre partage des connaissances et concurrence des acteurs, la guerre des data bat son plein...
Le Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), tenu les 3 et 4 septembre 2018 à Beijing, avait enregistré la participation de chefs d'Etat africains et de représentants de l'UA et de l'ONU.
Le Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), tenu les 3 et 4 septembre 2018 à Beijing, avait enregistré la participation de chefs d'Etat africains et de représentants de l'UA et de l'ONU. (Crédits : Reuters)

Depuis la découverte de la pandémie de SARS-CoV-2, fin décembre à Wuhan, toutes les institutions internationales ont développé leurs plateformes d'informations et affichent des données qui viennent parfois contrarier les observations de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) ou nuancer les data des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Parallèlement, les Etats s'organisent en fonction de leurs propres données issues de leurs systèmes de santé respectifs, lesquels sont soutenus par pléthore d'initiatives régionales, qui disposent elles-mêmes d'indicateurs spécifiques. Le 20 avril dernier, c'est la Commission européenne qui annonçait le lancement de « ERAvsCorona », sa nouvelle plateforme d'échange d'informations sur le Covid-19.

Toutefois, en dépit des efforts consentis par les acteurs privés, les institutions publiques, mais aussi par la société civile, les données disponibles restent imprécises et, derrière la guerre des chiffres officiels, se cachent des enjeux géopolitiques qui dépassent largement le cadre sanitaire. Les Etats-Unis approchent de la barre symbolique des 100 000 décès liés au coronavirus alors que la Chine (où est apparue la pandémie fin 2019) compte officiellement un peu moins de 83.000 décès. Du côté de Washington, on voit rouge : « Quelqu'un croit-il vraiment ce chiffre ? », interrogeait Donald Trump, le 18 avril dernier en conférence de presse depuis la Maison-Blanche, soupçonnant une manipulation des données. Wang Yi, le ministre des affaires étrangères chinois, de plus en plus agacé par les allégations de l'Oncle Sam (sur fond de crise sociale et politique Hongkongaise) ripostait le 24 mai dernier, avertissant que la Chine était « au bord d'une nouvelle guerre froide » avec les Etats-Unis.

Dans ce contexte international troublé par la pandémie, le contrôle de l'information sanitaire s'est imposé comme une priorité diplomatique absolue et l'Afrique, entre aides occidentales et assistance venue d'Orient, apparaît comme une variable d'ajustement géopolitique entre grandes puissances. Néanmoins, la dynamique actuelle de lutte contre le Covid-19 pourrait bien profiter au renforcement du soft power chinois sur le continent.

Jack Ma, l'ambassadeur sans frontières de Pékin

En effet, alors que les Etats-Unis peuvent compter sur l'entregent du légendaire Bill Gates, l'Empire du Milieu s'appuie sur le non moins populaire Jack Ma, devenu le VRP de luxe de Pékin dans la lutte contre la pandémie de Coronavirus. Depuis mi-mars, les fondations Jack Ma et Alibaba livrent 20 000 kits de dépistage, 100 000 masques et 1 000 combinaisons médicales de protections à chacun des 54 pays d'Afrique (selon l'agence Xinhua, 18 pays auraient déjà reçu cette aide).

« Si nous ne voulons pas que l'Afrique soit le prochain épicentre, nous devons encourager les partenariats multisectoriels au niveau mondial », déclarait John Nkengasong, directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), à l'occasion d'un webinaire du Global MediXChange for Combatting (GMCC), la toute récente plateforme d'information chinoise, qui s'inscrit dans la droite ligne des dons réalisés par les Fondations Jack Ma et Alibaba. Ces propos tenus par le directeur du CDC Afrique viennent encourager l'engagement de Pékin sur le continent, en pleine crise sanitaire mondiale.

A ce jour, 11 webinaires GMCC ont été organisés à destination du personnel médical de neuf pays africains (Kenya, Rwanda, Afrique du Sud, Ethiopie, Egypte, Ghana, Tanzanie, Zimbabwe et Soudan), plus d'une centaine d'hôpitaux et près de 4.500 personnes, ont déjà participé à ces rendez-virtuels consacrés aux urgences liées au Covid-19.

« Au cours des 3 derniers mois, j'ai passé chaque jour à suivre la pandémie [...] nous avons créé le GMCC car le virus ne fait pas de distinction entre les races, le virus n'a pas besoin de passeport [...] la solution n'est pas l'isolement, mais la coopération » affirmait Jack Ma, à l'occasion du lancement de la plateforme. Le discours du tycoon chinois fait mouche, dans des pays subsahariens parfois exsangues et dans l'incapacité de confiner leurs populations encore largement dépendantes du secteur informel...

Le succès du soft power sanitaire chinois

Premier producteur mondial et principal exportateur de médicaments, la Chine a également démontré ses aptitudes en termes de coopération médicale, dépêchant ses équipes sur le terrain, face à une Europe en pleine déroute sanitaire. Selon un récent sondage de l'Institut SWG, 36% des Italiens considèrent que leur pays devrait d'ailleurs se rapprocher de la Chine (L'Italie enregistre 229 858 cas confirmés et 32 785 décès, le 25 mai 2020) pour lutter contre la pandémie... Cette attractivité chinoise s'est répandue sur le continent africain qui ne compte plus les missions sanitaires venues d'Orient. Il faut dire que du Ghana au Zimbabwe, en passant par le Nigéria, l'Ethiopie, l'Afrique du Sud ou l'Algérie, Pékin n'a pas ménagé ses efforts pour porter assistance à ses partenaires africains.

En Tanzanie, Bashiru Ally, secrétaire général du parti Chama cha Mapinduzi (CCM) s'est félicité du rôle « exemplaire » joué par la Chine en matière de coopération internationale, alors que John Boadu, le secrétaire général du Nouveau parti patriotique du Ghana (NPP) déclarait que « la Chine, grâce à ses atouts institutionnels, a réalisé un miracle en termes de prévention et de contrôle du coronavirus sur son territoire, et a pris la tête des efforts visant à aider l'Afrique face à l'épidémie ». Du côté de la Méditerranée, les relations avec Pékin sont également au beau fixe, comme l'assurait Li Lianhe, l'ambassadeur de Chine en Algérie le 14 mai dernier, à l'arrivée d'une délégation de personnels soignants et d'une cargaison de 15 tonnes de médicaments et de matériel médical. Que dire enfin, des déclarations du directeur général de l'OMS, l'Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus qui félicitait les autorités chinoises pour « la transparence dont elles ont fait preuve » pendant la pandémie, dès le 31 janvier ? Des propos qui avaient mis le feu aux poudres à Washington, où Donald Trump avait immédiatement accusé l'OMS de « sinocentrisme ».

Dans cette guerre de l'information, la Chine peut compter sur une relation sanitaire avec l'Afrique renforcée depuis l'épidémie d'Ebola en 2014 (11 000 décès entre la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone), au cours de laquelle plus de 20 000 personnels de santé chinois étaient intervenus dans le golfe de Guinée. Parallèlement, le recours à la médecine traditionnelle très plébiscitée en Afrique, mais aussi dans l'Empire du Milieu, facilite encore un peu plus, l'influence de Pékin sur le continent. C'est d'ailleurs du Levant qu'est arrivée l'Artemisia annua dans les années 70, cette plante qui assure le succès du Covid-Organics de Madagascar, désormais exporté du Sénégal à la République Démocratique du Congo, en passant par la Guinée équatoriale, le Niger, la Tanzanie, le Sénégal ou les Comores.

Si la course contre la montre entre Pékin et Washington, dans la découverte d'un vaccin contre le Covid-19 est engagée, la Chine renforce chaque jour un peu plus, son influence diplomatique sur le continent,- y compris en matière sanitaire- où se structurent à marche forcée, les nouvelles routes de la soie.

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Commentaires 3
à écrit le 30/05/2020 à 18:25
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Il n'y a pas que la Chine qui tente l'incruste en Afrique ! Il y a l'Inde, la Russie, la Turquie, Israël et le Japon et surement d'autres encore. Qu'il n'y ait plus que l'UE et les USA sur le gâteau africain c'est plutôt une bonne chose pour les Afri...

à écrit le 29/05/2020 à 23:06
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Le renforcement du soft power chinois sur l'Afrique ? Heu, cest déjà fait depuis longtemps. Seuls les USA peuvent encore les contrer.

à écrit le 28/05/2020 à 21:19
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Comment dit on déjà ? Poser la question est déjà y répondre.

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