Patrimoine africain, un atout à préserver

L'Afrique... Un continent mystérieux, des couleurs exotiques, des paysages uniques, des contrées sauvages... Loin des clichés de touristes en quête d'exotisme ou de farniente, le revers de la carte postale dresse le tableau d'un patrimoine multiple, avec un potentiel naturel et culturel exceptionnel, paradoxalement peu exploité, mais gravement menacé.
Ibrahima Bayo Jr.

C'est une image d'Epinal construite à coups de safaris et de séjours balnéaires dans la composition d'une nature généreuse, presque intacte. A la recherche de la chaleur d'un climat ou de sensation fortes pour «casser la routine», en immersion-découverte dans des lodges écotouristiques, huttes de campagne ou hôtels de luxe, les touristes viennent avant tout pour s'extasier, de la fenêtre de leur bus climatisé, du haut de leur 4X4 grillagé ou parfois derrière leurs lunettes de plongée, la faune et la flore de l'Afrique.

Un continent sous-représenté dans le patrimoine mondial

On en oublierait presque que le berceau de l'Humanité, riche de son histoire et des peuples qui l'ont façonné, a laissé quelques vestiges de son histoire et des civilisations millénaires qu'il a abritées. Des pyramides d'Egypte aux Palais royaux d'Abomey au Bénin, en passant par les peintures rupestres de Kondoa en Tanzanie, les tombeaux des rois du Buganda en Ouganda, les ruines de Khami au Zimbabwe, le potentiel du patrimoine africain est immense.

Pourtant, et malgré cette profusion de sites uniques, l'Afrique ne pèse que 12% sur la liste du patrimoine de l'Unesco, le Graal des sceaux de visibilité touristique. Sur la totalité des 1 013 sites classés dans le monde en 2017, seuls 131 sites situés dans 37 pays africains ont réussi à faire leur entrée sur la liste de l'Unesco. Une répartition mondiale déséquilibrée qu'on impute aux critères jugés un peu trop «occidentalisés» et au manque d'expérience des pays africains de constituer un dossier d'inscription qui offre de l'aide financière et l'expertise pour la préservation des sites.

LES SITES CLASSÉS PATRIMOINE MONDIAL (2016)

Carte patrimoine afrique

Du plus clair au plus foncé: AUCUN SITE CLASSE; 1 À 2 SITES; 3 À 4 SITES; 5 À 6 SITES
; PLUS DE 7 SITES

Bien souvent, les pays africains recherchent la reconnaissance de leur patrimoine, moins pour la protection de leurs sites pour la mémoire collective que pour apporter une caution de crédibilité et un coup de projecteur à leur politique touristique. Par manque de volonté ou par négligence, la mauvaise gestion des sites inscrits et l'absence (ou le déficit) de politiques de protection des sites non-inscrits à fort potentiel n'expliquent qu'en partie le péril dans la demeure Afrique où les biens culturels et naturels sont plus que jamais menacés.

SOS ! Patrimoine africain en danger

La première menace sur le patrimoine africain relève d'un enjeu de développement durable. L'Afrique reste le continent le moins pollueur, mais aussi le plus affecté par le changement climatique et son corollaire : hausse des températures, montée des eaux, instabilité des sols, mise en péril des écosystèmes marins et des aires naturelles... Autant de phénomènes naturels qui affectent aussi le patrimoine africain. Et si rien n'est fait, nous pourrions ne plus reconnaître d'ici quelques années, la ville de Saint-Louis du Sénégal et la station balnéaire de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire, respectivement patrimoine mondial de l'Unesco en 2000 et 2012.

Toutes deux construites sur des bandes intercalaires entre océan et fleuve, les deux villes subissent les contrecoups de l'érosion côtière qui a déjà grignoté une grande part des terres du littoral ouest-africain. De même, les flots menacent aussi les végétations des régions situées le long du Nil, de l'Ethiopie à l'Egypte en passant par le Soudan. Les cyclones grondent sur les Etats insulaires de l'Océan indien : Madagascar ou l'Ile-Maurice sont en état de constante alerte pré-cyclonique.

Et puis, il y a ces autres menaces sur les biens patrimoniaux, tributaires de l'activité humaine. La faune africaine a vu sa population reculer de façon spectaculaire ces dernières années, sous l'effet conjugué du braconnage et du trafic qui alimentent un marché de vente d'ivoire, de cornes de rhinocéros, de peaux d'animaux sauvages pour les collectionneurs. Des primates, des félidés et autres animaux les plus rares de la savane sont aujourd'hui menacés de disparition ! De la même façon, la pêche illégale non déclaréee et non réglementée (INN) racle les fonds marins et contribue aux déséquilibres des écosystèmes, au renouvellement et à la préservation des espèces.

D'un autre côté, la hausse de l'indice démographique n'est pas sans conséquence sur les sites, fussent-ils naturels et protégés. Aux prises avec la sécheresse ou à la recherche de nouvelles terres agricoles, les habitants de certaines régions se recréent des parcelles vierges au milieu de la forêt. Il s'y ajoute l'installation, légale ou clandestine, à proximité des sites naturels, d'industries extractives de minerais ou de ressources naturelles (bois, hévéas) ou encore de la construction d'infrastructures. Des activités qui entraînent une déforestation par coupe massive du bois, à la fois cause et conséquence du changement climatique.

On ne peut trouver meilleur exemple que le Bassin du Congo, deuxième forêt tropicale au monde après l'Amazonie, mais qui recule sous l'effet des activités humaines. Les mêmes tronçonneuses menacent les parcs nationaux de Garamba, de Salonga et de Virunga en RDC, le parc de Niokolokoba au Sénégal, le parc de Manovo-Gounda en Centrafrique, le mont Nimba en Guinée ou encore la réserve de l'Atsinanana à Madagascar.

Un patrimoine culturel à la croisée de l'insécurité

Pour autant, les sites culturels du continent ne sont pas épargnés. A titre illustratif, sur la liste du patrimoine en péril de l'Unesco, 23 biens africains sont répertoriés, soit 42% de la totalité des biens mondiaux qui nécessitent une protection de la communauté internationale au nom de leur «valeur universelle exceptionnelle». Sur le continent, la menace porte le visage agressif du terrorisme et de la criminalité transfrontalière organisée (CTO).

La destruction de manuscrits anciens, mais aussi de mausolées de saints dans la ville de Tombouctou au Mali par des jihadistes avaient réduit en poussière des siècles d'histoire. Un forfait qui porte la signature du Touareg Ahmad al-Faqi al-Mahdi, un des terroristes destructeurs des mausolées et qui sera condamné en 2016 à neuf ans de prison par la Cour pénale internationale de La Haye.

Même constat en Libye, dévastée par la guerre et la percée des jihadistes qui ont déclenché des actes de pillage pour une revente au marché noir, de vandalisme de sites et de nécropoles abritant des vestiges de la présence antique romaine. Si bien que l'Unesco a déclaré en juillet 2016, Cyrène, Leptis Magna, Sabratha, Tadrart Acacus et Ghadamès, cinq villes libyennes présentes sur sa liste du patrimoine, comme des sites menacés «du fait des dégâts subis et des risques encourus en lien avec le conflit qui affecte le pays».

Le terrorisme est encore plus dévastateur pour l'équilibre des écosystèmes et la survie de certaines espèces. Le parc transfrontalier du W, avec son million d'hectares à cheval sur le Niger, le Bénin et le Burkina et son exceptionnelle diversité de la faune, a été littéralement envahi par les groupes armés du Sahel qui l'utilisent comme base de repli. Plusieurs animaux, dont des espèces menacées d'extinction, pourraient être rayés définitivement de la liste de la faune terrestre.

Et enfin, il y a ces menaces liées à des contextes historiques. Dans une bataille médiatico-judiciaire avec son ancien colonisateur, le Bénin tente de récupérer depuis juillet 2016, entre 4 500 et 6 000 objets culturels principalement des trésors royaux d'Abomey «emportés lors des conquêtes de novembre 1892». Mais Paris a catégoriquement refusé de les restituer, prétextant les arguments fallacieux d'une législation qui protège des œuvres versés au patrimoine français. Sur le fil de la même logique, combien d'objets culturels, cultuels dorment dans des musées à Londres, Bruxelles, Rome, Madrid, ou ex-colons ? On ne le saura jamais avec précision, mais l'hémorragie pour les œuvres africaines est énorme.

Technologie à la rescousse, une nouvelle façon de «vendre» le patrimoine

Face à toutes ces menaces, comment «vendre» le patrimoine africain dans l'offre touristique continentale ? Si les défis structurels et infrastructurels doivent être relevés, les pays doivent dès à présent effectuer l'inventaire de leurs biens matériels et immatériels. L'attractivité d'un site touristique devrait ensuite obliger les Etats à développer des politiques plus efficaces de mise en valeur et de protection impliquant tous les acteurs de la société (administratifs, société civile, jeunesse,...).

D'un autre côté, pour sortir l'Afrique du cliché de l'exotisme (faune-flore), étoffer l'offre touristique est une porte d'entrée royale. Le tourisme religieux par exemple est très peu exploité. Le Maroc accueille chaque année, des milliers de touristes juifs en provenance du monde entier qui reviennent aux sources de leurs aïeux ou découvrent des lieux liés à leur histoire. Si l'Ethiopie exploite les églises rupestres de Lalibela qui constituent l'attraction majeure pour des chrétiens, la singularité des Falashas, ces juifs noirs et leurs rites ne sont pas assez valorisés.

De la même manière, le Sénégal capitalise peu sur l'extraordinaire cohabitation pacifique entre musulmans et chrétiens dans le petit village de Joal, par ailleurs terre de naissance du poète-président Léopold Sédar Senghor. Même le Bénin semble avoir peur de montrer les rites vaudou aux touristes en quête d'une spiritualité alternative.

En plus de la bonne volonté des Etats, la technologie est une piste de valorisation efficace du patrimoine, en le montrant, en le faisant connaître pour définir la manière de le protéger et le promouvoir. «Visiter l'Afrique», une plateforme numérique interactive et collaborative dédiée au tourisme et à la culture sur le continent africain, s'attèle à ce rôle depuis sa création en juin 2014. Sans exclure des collaborations, la plateforme veut développer auprès d'une communauté de voyageurs-blogueurs, un modèle alternatif de valorisation et de promotion du patrimoine.

«Visiter l'Afrique essaie de penser à d'autres modèles pour faire découvrir le patrimoine (matériel et immatériel) de l'Afrique tous les jours via son site, ses réseaux. Notamment Instagram qui reste le réseau social préféré des voyageurs. Une image vaut mieux que mille mots, c'est bien connu. Je pense que ce compte Instagram a donné envie à notre communauté de 100 000 personnes d'aller découvrir ce continent. Les 3 destinations phares que l'on voit sont : Zanzibar en  Tanzanie, Dakar au Sénégal et Marrakech au Maroc», confie Diane Audrey Ngako, la fondatrice de la plateforme.

Une nouvelle façon de concevoir la valorisation touristique, loin des standards et labels rigides internationaux et qui porte ses fruits. En trois ans d'existence, conquis par «Visiter l'Afrique», les 100 000 visiteurs par jours versent plus de 95 000 photos de sites naturels, de symboles ou d'événements culturels, parfois de la vie quotidienne pour faire «découvrir une autre Afrique afin de planifier celle qu'ils connaissent», souligne encore cette panafricaniste 2.0.

«Aujourd'hui, plus que jamais, nous Africains, devons valoriser notre patrimoine et ne plus suivre. Je pense que nous aidons à valoriser l'image de l'Afrique en donnant dans un premier temps la parole à ceux qui la connaissent et qui y vivent. Nous donnons la parole aussi aux voyageurs. Ils posent leur regard sur ces 54 destinations africaines. Ils sont libres de partager avec notre communauté, et cette liberté et simplicité accrochent nos lecteurs qui se sentent plus proches de ceux-ci. Il y a une vraie relation de confiance, de proximité avec ceux qui racontent leurs voyages, lisent ces récits et planifient leurs voyages sur notre site», souligne encore Diane Audrey Ngako. Une renaissance du tourisme par sa promotion via les NTIC. Reste à savoir si les Etats vont suivre cette tendance naissante.

Ibrahima Bayo Jr.

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