Retransmission TV en Afrique : vous avez dit « droits » ?

D'une manière ou d'une autre, pour la Coupe d'Afrique des Nations plus que pour toute autre compétition sportive continentale, les passionnés, et ils sont si nombreux en Afrique, trouvent toujours le moyen de suivre les matchs de leurs sélections nationales respectives. Pourtant, pour les chaînes TV, les Etats, la CAF et les détenteurs des droits de retransmission, les enjeux qui se dessinent en filigrane débordent au-delà du sport.

A l'approche de chaque compétition footballistique continentale, c'est la même rengaine qui revient dans les discussions. Pourrons-nous regarder les matchs en clair ? Non. Alors comment allons-nous nous débrouiller pour suivre la compétition ? Car d'une manière ou d'une autre, pour la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) plus que pour toute autre compétition sportive continentale, les passionnés, et ils sont si nombreux en Afrique, trouvent toujours le moyen de suivre les matchs de leurs sélections nationales respectives. Derrière ce manège médiatico-sportif désormais récurrent, l'on retrouve les droits de retransmission télévisuels, et plus particulièrement les tarifs auxquels ils sont monnayés par les ayants droits. Prenons le cas de la CAN. Les tarifs pour qu'une chaine ou un Etat africain obtienne les droits de retransmettre les matchs n'ont cessé de se renchérir au fil des éditions.

De 760.000 euros pour l'édition 2011 de la coupe pour un pays dont l'équipe nationale est qualifiée, les droits ont quasiment doublé pour cette édition Gabon 2017, se hissant à 1,35 million d'euros pour la même catégorie de pays. Du coup, tout comme lors de la précédente édition équatoguinéene en 2015, qui affichait des tarifs similaires, un bon nombre de pays africains ont tout simplement choisi de se passer de retransmettre la compétition. D'autres en revanche, n'ont eu d'autre choix que de passer à la caisse sous l'insistance de la pression populaire.

34 ans de monopole

Il faut dire que lorsque l'on se penche sur la configuration de ce marché on ne peut plus sélect, l'on comprend mieux pourquoi ces tarifs-là continuent à suivre cette courbe ascendante. Cette configuration se résume en un seul mot : monopole. En effet, une seule société détient l'exclusivité des droits de retransmission des compétitions du football africain, et de leur commercialisation auprès des chaines nationales ou privées sur le continent.

Pour l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, Il s'agit en l'occurrence de la société SportFive, filiale du Groupe Lagardère Sport & Entertainment. Et quel monopole ! Le contrat conclu avec la Confédération Africaine de Football (CAF) s'étale jusqu'en... 2028 !

Une longue histoire commune lie en effet les deux parties, remontant à 1994, ce qui totalisera au terme de l'actuel contrat, 34 ans de business exclusif dans le sport africain. Certes, cette filiale du Groupe français a dû débourser la coquette somme d'un milliard de dollars US au profit de la CAF de Issa Hayatou, mais cette position concurrentielle de dominante lui confère une position plus que confortable dans les négociations avec ses clients, fédérations, chaines de télévisions, groupements professionnels du secteur et même gouvernements africains.

Du coup, SportFive dispose de toute latitude pour définir le tarif qui est susceptible de rentabiliser le milliard de dollars qu'elle a versé à la CAN. D'ailleurs, sur le site officiel de Lagardère Sport & Entertainment, cette relation de «confiance» avec la CAF est clairement mise en avant sur sa vitrine virtuelle.

« La fièvre du ballon rond en Afrique trouve un écho au sein de nos équipes et consolide notre partenariat à long terme avec la Confédération Africaine de Football (CAF)», souligne les communicants du Groupe français. «En tant que partenaire de confiance, nous gérons la vente des droits média et marketing, tout en proposant des services de production télévisée pour les principaux tournois de la confédération, notamment le Championnat d'Afrique des Nations, la Super Coupe de la CAF, la Ligue des Champions de la CAF, la Coupe des Confédérations de la CAF et la Coupe d'Afrique des Nations de la CAF. Nous gérons également la distribution des droits médias [via SportFive ndlr.] et assurons des services de production télévisée pour les qualifications africaines de la Coupe du Monde de la FIFA 2018 », poursuivent-ils déroulant ainsi par la même occasion l'étendue de l'emprise du groupe dans le business du football, particulièrement en Afrique.

Face à SportFive, c'est l'Union Africaine de Radiodiffusion (UAR) qui a mené les négociations pour cette CAN gabonaise. Pour cette instance représentative aux 48 Etats africains membres, la pression du détenteur des droits ne laisse même pas le temps aux chaines de télévision de préparer un plan de commercialisation publicitaire susceptible de financer, ne serait-ce qu'une partie, des montants déboursés pour les droits. «Nous avons approché les détenteurs de droits [SportFive Ndlr.] depuis le mois de mai dernier, mais ils n'ont accepté d'ouvrir les négociations qu'au mois d'octobre, c'est-à-dire à la dernière minute», déplore Grégoire Njaka, Directeur Général de l'UAR. «Les contrats sont parfois signés deux ou trois jours avant le début des compétitions, et à ce moment, ce n'est simplement plus possible de commercialiser les espaces publicitaires auprès des annonceurs», poursuit-il en réponse à nos questions.

L'UAR n'est pas la seule instance à déplorer cette situation. à 9 jours du lancement de la Coupe d'Afrique des Nations, l'Autorité de concurrence égyptienne avait exprimé ses soupçons envers la CAF, qui siège au Caire, pour son «abus d'autorité dans l'attribution des droits de retransmission des compétitions de l'organisation». Pour l'Autorité égyptienne, la procédure d'attribution des droits de retransmission de plusieurs compétitions de la CAF à l'entreprise Lagardère Sport, sans passer au préalable par une procédure d'appel d'offres, allait à l'encontre de la loi égyptienne. Des accusations balayées d'un revers de main par les représentants de la CAF qui déclarent avoir respecté les procédures internationales en la matière.

Système « D »

De son côté, contacté par La Tribune Afrique, Idriss Akki, le DG de SportFive, n'a pas donné suite à nos sollicitations. En attendant, bon nombre d'africains passionnés continuent à user du «système D» pour suivre le spectacle sportif.

Au-delà du classique rendez-vous amical dans les cafés disposants d'accès aux chaines satellitaires privées, ou encore des récepteurs numériques piratés, le canal montant d'accès au divertissement sportif est bien entendu le Web.  Avec la démocratisation grandissante de l'accès à Internet, de plus en plus de fans suivent la compétition via des sites de live-streaming, qui se comptent par centaines sur la toile.

Certes la qualité de l'image laisse souvent à désirer et la continuité du flux reste tributaire de la stabilité de la connexion internet, mais les fans se réjouissent tout de même de suivre l'évolution de leurs sélections nationales en direct.

La solidarité panafricaine entre également en jeu, à l'image du cas de la Guinée Bissau, qualifiée pour la première fois à la phase finale de la CAN, et dont la population n'aurait pas pu suivre l'évolution de sa sélection nationale sans le secours du Sénégal, qui a gracieusement offert le paiement des droits de retransmission.

Qu'en sera-t-il lors de la prochaine compétition ? Pour le coup, le pessimisme est de mise, puisque d'ici là, la même configuration de marché prévaudra.

Lagardère et le Foot : une longue « histoire d'amour »

En vertu d'un accord conclu entre Lagardère Sports et la CAF en juin 2015, l'exclusivité des droits de retransmission au profit de la filiale de Lagardère a été prolongée jusqu'en 2028 en retour d'une garantie de plus d'un milliard de dollars. Cette relation « de confiance » comme la qualifie Lagardère Sport, remonte à 1994. Il faut dire que le Groupe Français jouit d'une longue expérience dans le business du sport de manière générale, et du football en particulier. En Europe, en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine, l'entreprise maitrise les rouages, parfois opaques, du foot-business.

En 2009, la société a été condamnée en France à une amende de 6 millions d'euros pour « s'être entendue avec la Fédération française de football afin d'éliminer toute concurrence » dans la commercialisation des droits marketing pour la période allant de 1985 à 2002. Sa dernière référence date du 18 janvier 2017. Quatre jours après l'entame de la CAN au Gabon, la Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF) a annoncé avoir sélectionné Lagardère Sports pour la commercialisation des droits médias de la confédération pour tous les territoires internationaux. Le package de droits pour lequel Lagardère Sports est responsable, inclut les éditions 2017 et 2019 de la Gold Cup, compétition qui détermine le champion des zones Amérique du Nord, Amérique Central et Caraïbes. « Notre partenariat sera guidé par notre expérience du football et de la commercialisation de droits media pour accompagner l'évolution stratégique et la renommée mondiale de la CONCACAF», soulignait alors Stefan Felsing, Executive VP Media Sales and Acquisitions de Lagardère Sports, dans un communiqué du Groupe. «Les termes du contrat ne sont pas divulgués», conclut cette communication officielle de Lagardère Sport.

3 questions à Grégoire Njaka, Directeur Générale de l'Union Africaine de Radiodiffusion

Pensez-vous que les Etats africains s'en sont bien sorti quant aux montants des droits télévisuels pour la CAN 2017 ?

La réponse est non. Les pays africains ne s'en sortent pas bien. D'abord parce que les contrats des droits de retransmission sont conclus à la dernière minute. Donc, il ne reste pas de temps pour élaborer des stratégies de commercialisation de ces droits. Les chaines de télévision achètent les droits au prix fort, pour par la suite aller vers les annonceurs en mettant en avant l'investissement consenti pour disposer de ces droits de retransmission. Or, les contrats sont parfois signés deux ou trois jours avant le début des compétitions, et à ce moment, ce n'est simplement plus possible. C'est d'ailleurs pour cela que dans la majorité des cas en Afrique subsaharienne, ce ne sont pas les chaines qui règlent les droits, mais ce sont plutôt les Etats qui payent, puisque de toute façon, ça ne peut pas être rentable pour les chaines. Les dirigeants des chaines n'acceptent donc pas de tourner à perte.

Est-ce une stratégie mise en œuvre en connaissance de cause ou alors juste un manque criant d'organisation de part des détenteurs de droits ?

Je crois que tout le monde a sa responsabilité dans cette affaire. Mais il faut être honnête pour dire que c'est aussi la stratégie des détenteurs des droits. Ils aiment acculer les Etats à discuter de la question au dernier moment, pour que ces derniers puissent plier plus facilement à leur désidérata. Dans le sens où à la dernière minute, les Etats ont mis face à deux choix : soit payer, soit ne pas avoir les matchs de la coupe d'Afrique sur leurs chaines. Or, les peuples africains sont habitués à avoir accès à ce spectacle, et ne pas le leur offrir peut même causer des déstabilisations dans certains cas. C'est en tout cas ce que pensent les détenteurs de droits. Cependant, moi je crois que nos peuples sont suffisamment mûrs pour qu'on leur explique que sans les droits de retransmission l'Etat va continuer à vivre. C'est notamment le cas du maghreb actuellement, où les pays ne diffusent pas les matchs de la CAN, et où les peuplent savent que c'est hors de portée. En tant qu'ancien dirigeant d'une chaine de télévision, je peux vous dire quel est leur supplice face à cette situation. Pour le cas de la CAN 2017, nous avons approché les détenteurs de droits depuis le mois de mai dernier, mais ils n'ont accepté d'ouvrir les négociations qu'au mois d'octobre, c'est-à-dire à la dernière minute. Ça n'a servi à rien de les relancer plusieurs fois. Je pense qu'après cette CAN, nous devons évaluer ce qui s'est passé et qu'on commence à discuter de la multitude de problèmes. Enfin, il ne faut pas oublier que les détenteurs de droits ont en effet investit beaucoup d'argent. Il faut ainsi trouver des solutions pour que tout le monde trouve son compte.

Ne pensez-vous pas que la CAF devrait conclure des contrats à durée plus courte et moins onéreux pour que les compétitions puissent mieux profiter aux populations africaines?

L'Union Africaine de Radiodiffusion défend les intérêts des 48 pays membres. Je pense que leur intérêt réside dans des prix abordables, et c'est l'objectif pour lequel nous militons. Je suis donc favorable à ce que tout ce qui est nécessaire soit fait pour que ces prix soient plus abordables. Il faudrait donc que tous les intervenants aillent dans le sens des intérêts des peuples. Le peuple a besoin de suivre son équipe. Saviez-vous d'ailleurs que pour cette CAN 2017, plus de la moitié des pays ne diffusent pas ces matchs, parce-que les montants sont hors de portée. Il faudrait que la CAF se souvienne qu'elle est aussi au service des peuples, et qu'elle doit prendre des mesures qui doivent prendre en considération les intérêts du peuple. On nous dit que c'est pour le développement du sport, pour le développement du football, mais l'on ne développe pas pour les anges, mais bien évidement pour ces mêmes peuples. Il faut ainsi tenir compte de la réalité des capacités des chaines de télévision et des Etats à payer les droits. Il y a des chaines dont le montant des droits représente le tiers de leur budget annuel. Vous trouvez ça normal ?

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