Women For Future Africa

En Afrique, le numérique en levier de l'entrepreneuriat pour les femmes

Il est passionnant de suivre l’engouement autour de l'entreprenariat en Afrique et particulièrement la synergie qui s’opère avec le numérique ces dix dernières années.
Thierry Barbaut, Directeur Numérique de l’ONG La Guilde et consultant international
Thierry Barbaut, Directeur Numérique de l’ONG La Guilde et consultant international (Crédits : DR)

Les solutions qui visaient à développer des systèmes purement numériques ne sont plus... Le retour à une véritable analyse du contexte ou le manque de formation et d'encadrement sur les projets ont eu raison de beaucoup d'initiatives avec pour résultat concret une réorientation plus efficiente et profitable des services proposés. En marge les projets qui incluent le numérique, porté par un nombre grandissant d'acteurs, est devenu non plus un axe majeur mais un réel levier en synergie des thématiques du développement. Les femmes sont bien souvent les représentantes de ces thématiques dans les projets, elles y développent donc logiquement un savoir-faire indispensable avec une légitimité plus que jamais d'actualité.
Des femmes qui s'impliquent au coeur des dispositifs et qui savent, que quels que soient l'échelle le produit sa réplicabilité ou ses bénéficiaires que ce qui rendra le projet viable, c'est son rôle indispensable de service. Un service en adéquation avec le contexte et les spécificités du marché local. Une analyse précieuse mais hélas trop rarement mise en avant.

Des entrepreneuses dans l'énergie renouvelable

L'énergie reste et restera pendant de nombreuses années une des thématiques majeures du développement, ceci plus en Afrique que n'importe où. Même si plusieurs centaines de millions d'africains rêvent du grand barrage hydraulique d'Inga au Congo, du désert de panneaux solaires dans le Sahara ou de la muraille verte et de sa composante biomasse il va falloir répondre concrètement et de plus en plus vite à la demande énergétique croissante en attendant ces projets aussi miraculeux que passionnants. Ils sont plus de 700 millions à vivre sans aucune source d'énergie selon la Banque Mondiale.

C'est dans cette démarche utile, scalable et véritablement orientée service que se ruent de nombreux investisseurs réunis dans les fonds de dotation, le private equity avec les investisseurs en capital venture, les banques de développement avec du prêt, des garanties ou du don, mais aussi de plus en plus de micro initiatives plus passionnantes les unes que les autres. Les femmes, pourtant pilier de l'économie en Afrique sont seulement bénéficiaires de moins de 38% de ces financements.Paradoxalement ce sont elles qui mettent en place le plus de kit SHS, Solar Home System. Elles en démocratisent l'usage et jamais ne font machine arrière en revenant à l'utilisation d'énergies fossiles.

Des projets avec des thématiques transverses et à l'échelle avec les ODD en toile de fond.

Les thématiques soutenues comme la santé, l'éducation, l'agriculture, l'entrepreneuriat ou l'énergie sont systématiquement représentatives des défis que l'Afrique doit relever pour répondre aux objectifs de développement durables, les ODD.

En effet pas d'agriculture sans eau, pas d'industrialisation sans énergie, pas d'éducation sans infrastructures, et comme évoqué plus haut en attendant que d'ici 5, 10 ou 15 ans les grands projets répondent à une demande de centaines de millions d'usagers il faut développer immédiatement des solutions à échelle humaine. L'objectif c'est que les populations puissent s'approprier les solutions rapidement et surtout à un coût abordable. N'oublions pas que le 7ème Objectif de Développement Durable (ODD) c'est l'électrification universelle pour tous mais aussi à différentes échelles et selon les contextes. Le sujet est présenté dans un film réalisé sur les énergies renouvelables à différentes échelles dans différents projets au Sénégal : https://youtu.be/lz1tvLtT0wc. Un des épisodes de la série Acteurs du Développement.

Des femmes pilier du développement numérique

Que ce soit en 2017 et 2018 lors des CongoTechDays de Lubumbashi, à Libreville pour le Forum du numérique et du Développement de l'Institut Français, à la Kinshasa Digital Week d'avril 2019, pour le Africa CEO Forum de Kigali en mai 2019, pour la Fondation Solar Impulse où je suis jury, lors d'Africarena en Afrique du Sud en novembre 2019 ou à l'Agence des Micro Projets où nous soutenons financièrement une centaine de projets en Afrique par an, je suis toujours aussi surpris par l'engagement, la motivation et surtout la vision à long terme des projets portés par les femmes.
Non seulement elles sont présentes dès l'initiative mais elles déplacent de véritables montagnes en passant outre les difficultés chroniques du continent que sont la corruption, le manque d'infrastructures ou les préjugés dont elles sont victimes. Les femmes s'engagent et ne lâchent rien, elles sont unanimement reconnues comme un pilier de l'économie africaine.

  • Sénégal : des moulins à moudre le riz solaire.

Le projet d'énergie solaire pour développer un moulin à moudre le mil au Sénégal en est un des exemples. Les femmes isolées du village Samaane, isolé dans la région de Thiès se sont regroupées en coopératives. Avec l'appui d'une association française et d'une entreprise sénégalaise innovante, NadjiBi, elles ont conçu le moulin à moudre le mil solaire : un moulin mécanique connecté à des batteries alimentées par des panneaux solaires et couplé à un système de paiement mobile. Réduction des coûts, réplicabilité, suppression du bruit, de la pollution des échappements de l'ancien moteur, suppression de la logistique de carburant, du coût énergétique et au final une production de la farine de mil n'a enfin plus le goût de gasoil. Les villages alentours attendent avec impatience que la production s'accélère afin de s'équiper de cette macro industrialisation. Aux oubliettes le pilon cet outil de pénibilité et le moteur gasoil coûteux sale et abominablement bruyant... Mieux produire le mil, cette céréale ancestrale permettra de réduire les importations de riz.

  • Togo : un garage école pour former les jeunes aux nouvelles technologies dans l'automobile

Un garage école éco-responsable avec 100% de la production d'énergie par photovoltaïque ? Une femme septuagénaire est aux commandes de cette innovation qui vise à former les jeunes aux véhicules anciens qui arrivent d'Europe mais bardés d'électroniques. Ils arrivent par milliers chaque année dans les ports d'Afrique de l'Ouest. Le garage école est à 70 kilomètres au nord de la capitale et impose par son modernisme et son équipement dernier cri avec des tablettes tactiles permettant de diagnostiquer sans démonter au préalable n'importe quel type de véhicule. Les jeunes, dont 60% sont des femmes, sont formés avec des tablettes liés à des connecteurs sur la détection de pannes et l'évaluation des réparations avec des diagnostiques 100% fiables. Un gain de temps, de fiabilité, de sécurité et une réplicabilité dans l'ensemble du pays. En effet de nombreux garages de la capitale et du nord du pays s'équipent. L'équipe du garage représente fièrement ce qu'il est possible de proposer aux femmes, aux jeunes en matière de création d'emplois dans cette filière.

  • Guinée : apiculture, agroforesterie, eau et énergie propre.

Au nord de la Guinée sur un périmètre regroupant 11 villages près de Gaoual des femmes pilotent une coopérative de production de miel avec un business model impliquant de nombreux partenaires. C'est en mêlant apiculture et agroécologie qu'elles ont réussi à faire croître leurs revenus de 60% en 3 ans. L'élément clef ? Des forages répartis sur toute la zone avec des pompes immergées électriques connectées à des panneaux solaires. Le point d'orgue c'est la filtration par UV qui permet de rendre l'eau potable pour les villageois qui vivent sur les parcelles. La production est telle que le miel est désormais vendu à Conakry la capitale et dans la région où il est produit l'environnement est préservé car la pratique de la culture sur brûlis, impossible avec les ruches, est abandonné.

  • Rwanda, les femmes aux commandes des citernes d'eau connectées

Au nord du Rwanda sur plus de 250 hectares un groupement de femmes pilotent l'ambitieux programme des 1 000 citernes. Avec un groupe WhatsApp elles déterminent les familles, les zones et les consommations. Une application mêlant analyse hydrique et cartographie (SIG) permet d'identifier les zones les plus urgentes ou sensibles, c'est dans ces zones que le projet devient prioritaire. Des citernes y sont installées et connectées avec des pompages solaires. 30% des citernes communiquent entre-elles et permettent de vendre le surplus d'eau aux familles et d'en offrir au plus nécessiteux. 350 nouvelles citernes vont être déployées en 2019. Deux régions du sud souhaitent aussi s'équiper du système.

  • Bénin, à Ganvié la région lacustre, c'est au fil de l'eau que la cyber pirogue solaire ouvre une porte sur l'internet

Les jeunes scolarisés dans la commune de So-Ava peuvent profiter de formations au numérique avec apprentissage des outils internet sur une cyber pirogue. Ce bateau numérique  accoste une fois par semaine dans leurs écoles isolées de toutes voies terrestres. Cette cyber pirogue est équipée d'un toit solaire avec un système d'antennes 3g, de batteries et de 12 ordinateurs portables connectés. Deux formatrices assurent l'apprentissage pour les plus jeunes qui n'en croient pas leurs yeux. Saisissant des mots dans un moteur de recherche ils voient apparaître les poissons que la famille pèche ou les spécificités de leur environnement et sont sensibilisés sur sa préservation. Deux autres pirogues doivent être mise en place en 2020 et la chaîne Arte est était en tournage fin 2019 pour faire connaître cette initiative.
Bien au-delà de l'apprentissage du web et de l'univers des technologies par cette pirogue mobile et à énergie propre c'est la mixité hommes femmes dans l'apprentissage dont il est question. Ouvrir les espaces pour tous sans restrictions.

Des femmes entrepreneures en mode "Agile"

Ce qui est fondamental sur ces projets portés par différentes femmes entrepreneures c'est qu'elles ajoutent systématiquement de l'innovation et quasiment toujours avec du numérique en mode "service". Elles privilégient intuitivement des systèmes simples pour commencer comme un groupe WhatsApp sur un compte professionnel ou une application de mobile monnaie, de cartographie, de pilotage de données. Mais elles restent pragmatiques, conscientes du contexte et démarrent à la bonne échelle, se fixent des objectifs à atteindre avec un agenda fixé à l'avance. Elles sautent une étape s'il le faut, changent de prestataire si le besoin s'en fait sentir. Finalement ces femmes adoptent toute la fameuse approche projet qui fait la réussite des projets numérique 3.0 que nous connaissons : Agile !

Des entrepreneuses de confiance depuis toujours

Il n'est pas besoin de faire de grandes analyses, que ce soit sur les nano, micro, méso ou macro projets les femmes sont devenues le maillon fort de l'écosystème entrepreneurial en Afrique. Ce n'est pas nouveau elles l'ont toujours été à différents niveaux. Je l'ai constaté depuis 1988 lors de mes premiers voyages en Afrique. Ce qui pour moi leur donne une incroyable légitimité c'est la force avec laquelle elles s'emploient à déployer les projets, à mobiliser les acteurs et à parvenir à un aboutissement.

Mais en Afrique et dans une majeure partie des 54 pays, entreprendre est extrêmement complexe. C'est dans ce cadre éprouvant que les femmes me consultent souvent par le biais des réseaux sociaux pour une aide sur des Business Plan, conseils, Proof of Concept (POC) qui allient des thématiques du développement comme l'eau, la santé, l'éducation, l'agriculture ou l'énergie et avec systématiquement un volet numérique. Je suis dans ce cadre souvent stupéfait de la faculté des femmes à mettre en réelle synergie innovation technologique et pragmatisme dans des projets concrets et rapidements viables.

Cette innovation frugale c'est exactement ce que j'ai retrouvé dans l'événement Africarena à Cape Town en Afrique du Sud ou plus de 80 Startup africaines présentaient leurs innovation au investisseurs en Capital risque, 70% des entreprises sont portés par des femmes et 40% des investisseurs en capital risque sont aussi des femmes. En étant jury sur 8 challenges j'ai pu découvrir des innovations passionnantes mais toujours pragmatiques, des technologies disruptives mais simples d'usage, un monde en mouvement incroyablement dynamique avec des acteurs du développement passionnés et engagés. L'édition 2019 était inoubliable et marquée par quelques changements intéressants comme le fait de faire aussi pitcher les investisseurs. Avec bien sûr en toile de fond l'espoir d'améliorer la condition de vie de milliers d'utilisateurs en insistant pas seulement sur les business model mais sur l'impact.

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Thierry Barbaut - www.barbaut.com
Directeur Numérique de l'ONG La Guilde et consultant international

Spécialisé sur l'innovation et les nouvelles technologies en Afrique depuis 20 ans. Développement et animation de réseau de plateformes collaboratives et dématérialisée permettant l'incubation et le financement de projet entre bailleurs de fonds ou de private equity. Passionné des thématiques ou les nouvelles technologies agissent en levier : santé, énergies renouvelables, agriculture, éducation, entrepreneuriat et protection de l'environnement.

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