L'héritage africain de Xavier Beulin

L'offensive de Xavier Beulin à l'égard des pays du Maghreb a permis au groupe Avril de s'implanter durablement sur le continent avec ses marques Lesieur, Puget et Sanders en rachetant des entreprises locales. Quant à la FNSEA, elle continuera à s'appuyer sur l'Afdi qui va bénéficier de financements de la Fondation Avril pour sa coopération avec l'Afrique.

Après sa disparition brutale, l'homme d'affaire et syndicaliste, Xavier Beulin, continue à défrayer la chronique. Le président de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats Exploitants Agricole) et du conseil d'administration du groupe Avril, décédé le 19 février d'une crise cardiaque et inhumé à Orléans le 24 février en présence du Chef de l'Etat et d'un aréopage de ministres, fait à nouveau l'objet d'un « portrait à charge » dans les médias. Diffusé jeudi 2 mars dans l'émission « Envoyé spécial » de France 2, cette nouvelle enquête a été réalisée par les équipes de « Complément d'enquête ». Un documentaire intitulé « Xavier Beulin : le sillon d'une vie » qui veut lever le voile sur un homme de réseaux très influant, mais discret...Jugé irrespectueux en période de deuil, la programmation a été contesté par la FNSEA qui a demandé son report. Déjà malmenée le 19 janvier 2017 sur FR3 dans le cadre de l'émission « Pièces à conviction », le puissant syndicat des agriculteurs encaisse les coups médiatiques, mais reste intransigeant quant à l'image de son président. « Nous n'avons jamais eu l'intention d'empêcher la diffusion ce reportage mais juste de le reporter afin que le deuil soit respecté. France Télévision a choisi de le maintenir et les paysans sont en colère car Xavier était un des leurs et il n'est plus là pour se défendre !»,  proclame un communiqué distribué le 1er mars sur le stand de France télévision dans un lâcher de ballons blancs lors du salon de l'agriculture à la porte de Versailles.

Depuis son élection le 16 septembre 2010 à la tête de la FNSEA, Xavier Beulin s'est toujours présenté comme un simple « agriculteur » clamant que ses deux permis de conduire (auto et moto) étaient ses seuls diplômes; et racontant 0  comment il avait été obligé de reprendre la ferme familiale à 17 ans à la mort de son père ! Ce qui avait le don d'irriter ses détracteurs qui ont toujours dénoncél'industrialiste invétéré au style de vie d'un grand patron. Car depuis que le céréalier du Loiret présidait aux destinées de la FNSEA, après avoir pris, en 2000, la succession de Jean Claude Sabin à la tête du conseil d'administration du groupe Avril, -aujourd'hui leader à l'international des filières françaises des huiles et protéines végétales avec les marques Lesieur, Puget et Sanders-, les attaques contre lui n'ont jamais cessé. L'éditorialiste Michel Taube l'explique par ses positions  « résolument productiviste au nom de l'équilibre économique fragilisé des exploitations agricoles », tout en affichant clairement et publiquement ses idées humanistes. Son engouement jamais démenti pour les pays du Mahgreb (Maroc, Algérie, Tunisie) et, de plus en plus, pour ceux de l'Afrique subsaharienne allait de pair, selon lui, avec une « écologie de l'action ». Lors de la plantation d'un Arbre de la Fraternité le 9 novembre 2016 à la Mairie du 8ème arrondissement de Paris, Xavier Beulin avait d'ailleurs salué la place centrale désormais prises par les enjeux agricoles dans les négociations de la COP 22 qui s'ouvraient au même moment à Marrakech.

La passion de l'Afrique

Pas étonnant, dans ces conditions, qu'après mûres réflexions, il ait décidé de se représenter à la présidence de la FNSEA dont le congrès s'est tenu le 29 mars à Brest. Le choix de son successeur se jouera, lors de l'élection du bureau le 13 avril prochain, entre l'actuelle première vice-présidente et candidate à la présidence, Christiane Lambert, qui vient du syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA), et deux autres candidats, « l'un issu du monde des céréaliers et l'autre de l'élevage », selon un spécialiste de la FNSEA. Mais quelle que soit l'issue de cette élection dans laquelle prendront également part les 89 chambres nationales d'agriculture dont la FNSEA est majoritaire dans 84 d'entre elles, le vainqueur en sortira auréolé du suffrage de plus de 220 000 adhérents soit 60% des paysans français affiliés à la FNSEA. Le défilé incessant des candidats aux élections présidentielles lors du salon de l'agriculture à Paris (27 février -5 mars), dont le pays hôte, cette année, était le Sénégal, atteste, s'il en était besoin, du poids de l'agriculture dans la vie politique française et, par ricochet de son principal syndicat. Particulièrement à un moment où le mal d'être dans les campagnes françaises est à son comble : « Je dis clairement que le programme de Marine Le Pen serait une catastrophe pour notre agriculture qui est moderne, ouverte sur le monde et qui a besoin de l'Europe pour se développer. On ne réglera pas nos problèmes par le repli sur soi », avait déclaré il y a tout juste un an Xavier Beulin. Et d'affirmer qu'il allait continuer à peser de tout son poids et de celui de la FNSEA pour influer les politiques publiques à l'égard du monde paysan.

« Ce qui a toujours gêné chez lui, c'est sa capacité à multiplier les casquettes. Mais je ne crois pas, pour ma part, qu'il n'ait été ni de droite, ni de gauche », commente Gérard Renouard le Président de l'Association de solidarité internationale, Agriculteurs français et développement international (Afdi) dont la vocation, depuis quarante ans, est de construire des partenariats entre les mondes agricoles français et ceux des pays en développement. Pour ce producteur de lait de Lorraine, qui connait les dirigeants de la FNSEA « depuis 1996 pour y avoir milité avant de prendre moi-même la direction de l'Afdi en septembre 2001 », la personnalité de Xavier Beulin a toujours tranché par son sens des affaires. Quant à sa vision africaine basée sur la coopération et non plus sur l'aide, elle est tout à fait fondée, selon lui, car de plus en plus « la demande émanant des pays avec lesquels nous coopérons, dont la plus grande partie sont en Afrique noire (Burkina Faso, Cameroun, Guinée, Madagascar, Mali, Sénégal, Tchad) porte sur l'organisation de filières économiquement viables et non plus tant sur le foncier ou la reconnaissance du métier d'agriculteur », explique-t-il. Il reste persuadé que ce legs va perdurer d'autant que l'Afdi continuera à s'occuper de développement durable, tandis que la FNSEA restera concentrée sur l'Hexagone. Avec la création en 2015 de la Fondation Avril, que préside Philippe Tillous Borde, lui aussi un ancien de Sofiprotéol et l'un des fondateurs du groupe Avril, « tout va être grandement facilité pour l'Afdi» : celle-ci était financée jusqu'alors par l'Agence française de développement, l'Union européenne et  Agricord, un réseau international d'agri-agences locales, ajoute-t-il. Les subventions qu'il réclamait à Xavier Beulin au titre du groupe Avril lui ont toujours été « poliment refusées », mais seront désormais possibles « dans le cadre des financements octroyés par la Fondation Avril ».

 L'axe Europe-Méditerranée-Afrique

La vision africaine de Xavier Beulin a été très influencée par Jean Claude Sabin qui  l'a choisi pour lui succéder dans le pôle historiqued'« Avril-Sofiprotéol » spécialisé dans le végétal (huiles et protéines végétales pour la nourriture humaine) ; tandis que le second pôle concerne la nutrition animale. « La particularité du groupe Avril est qu'il est majoritairement détenu par des agriculteurs. À travers une interprofession, ceux-ci ont accepté pendant 20 ans de cotiser sur une base volontaire devenue obligatoireCe qui a permis de développer la filière colza en diminuant  la dépendance vis-à-vis du soja américain. Grâce à ces ressources regroupées dans Sofiprotéol, aujourd'hui le bras financier du développement du groupe Avril, il a été possible d'investir dans des activités industrielles en aval de la filière, avant de s'engager dans la nutrition animale », commente Tom Doron, chargé de communication du groupe. Pour lui, le décès de Xavier Beulin, remplacé dès le 25 février au poste de Président de conseil d'administration par Arnaud Rousseau, qui est aussi un producteur de céréales, ne va faire qu'accélérer les deux grandes orientations prises dans le cadre du plan stratégique « Avril 2020 » : développer les protéines et l'Afrique. « Le DG d'Avril, Jean-Philippe Puig, qui est à l'initiative de ce plan, a déjà concrétisé la création d'une nouvelle activité de spécialités mondiales fondée sur la valorisation des protéines de colza ; et procédé à la signature avec Dow Agro Sciences d'un accord pour le développement de colza enrichi en protéines », précise Tom Doron. Tout en reconnaissant que, si la part du chiffre d'affaire réalisé hors de France a crû de 25% à 33% entre 2014 et 2015, « l'Afrique tient encore une place modeste avec 400 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2014 sur les 6 milliards réalisés par le groupe ».

Il n'empêche, comme le souligne Jean Louis Guigou d'IPEMED, un think tank dont Xavier Beulin présidait le conseil d'administration : l'axe vertical Europe-Méditerranée-Afrique privilégié par l'ancien dirigeant syndicaliste est en train de porter ses fruits. « Sa vision a toujours été qu'il fallait trouver des débouchés pour l'huile dans le monde, tant dans l'alimentaire que dans le non alimentaire. C'est pour cela que le groupe investit beaucoup sur la partie chimie, pour le remplacement du pétrole, dans diverses applications » comme le biodiesel, précise Jean Luc Guigou. Résultat : Avril est leader au Maroc avec Lesieur-Cristal dans les huiles alimentaires, les savons et, bientôt, les cosmétiques. En Algérie, le groupe possède une usine de nutrition animale et d'autres projets sont en cours. En Tunisie, il développe également une activité dans la nutrition animale. Tandis qu'avec Sunéor au Sénégal, il conforte sa position dans la production d'huiles végétales tout en essayant de développer du soja bio. « Xavier Beulin ne s'est jamais implanté dans un pays du sud, ex-nihilo. Il a systématique recherché des partenaires. Au Maroc, au moment de la privatisation de Lesieur-Cristal, il n'est pas venu uniquement en industriel, mais avec tout le back-office dans la production agricole. Partout où cela a été possible, il a essayé de rétablir une synergie entre production agricole et transformation agricole avec, évidemment, la recherche de valeur ajoutée sur des produits plus élaborés », commente le Président de l'institut de prospective économique du monde méditerranéen.

« Nous avons vécu, pendant près de 40 ans, sur un schéma simple, les pays producteurs d'un côté, pays consommateurs de l'autre. En fait, cela ne se passe pas du tout ainsi ! Le réchauffement climatique, les problèmes de réorganisation politique ou géopolitique font qu'il faut maintenant développer non seulement des industries pouvant transformer des matières premières, mais qu'il faut aussi produire dans les pays d'Afrique », avait l'habitude de dire Xavier Beulin.

L'essentiel pour lui étant qu'un savoir-faire se développe sur le continent et que les producteurs aient leur propre outil industriel. En identifiant un industriel local pouvant jouer le rôle d'« agrégateur », il a ainsi redéfini une stratégie de production agricole permettant de travailler en synergie avec l'agro-industrie. Sous sa houlette, le groupe Avril a développé des contrats de culture et des prix garantis au producteur ont été mis en place. Un modèle développé au Maroc dans le cadre du plan « Marc Vert » qui est en train d'être reproduit au Sénégal sur le marché de l'arachide. Et qui pourrait constituer un modèle de développement agro-industriel pour le reste du continent sans pour autant remettre en cause l'agriculture familiale ; encore très présente sur le continent.

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