Des arcanes du pouvoir à l'industrie du conseil : qui sont les consultants stars en Afrique ?

Ligne après ligne, ils ont rempli leur carnet d'adresses avec les noms des personnalités les plus influentes lorsqu'ils ont été ministres, ambassadeurs, conseillers techniques dans l'Hexagone ou sur le Continent. Que ce soit dans les allées des centres de pouvoir ou sur les marches des palais présidentiels qu'ils ont empruntées de par leur fonction, ils ont une connaissance pointue du secret des grands dossiers et des personnalités. Désormais affranchis de leurs responsabilités décisionnelles, ils ont investi le champ de l'industrie du conseil, depuis lequel ils susurrent des recommandations aux oreilles des décideurs ou tentent simplement de conserver une parcelle d'influence en attendant de meilleurs lendemains politiques.
Ibrahima Bayo Jr.
L'auteur compositeur Bob Geldof, Dominique Strauss-Kahn, alors DG du FMI, et Uhuru Kenyatta, actuel président kényan, le 6 mars 2010 à l'aéroprt Jomo-Kenyatta à Nairobi.
L'auteur compositeur Bob Geldof, Dominique Strauss-Kahn, alors DG du FMI, et Uhuru Kenyatta, actuel président kényan, le 6 mars 2010 à l'aéroprt Jomo-Kenyatta à Nairobi. (Crédits : Reuters)

Pour certains, c'est la « planque » idéale après une retraite ou une mise à la retraite des fonctions officielles, une niche où ils peuvent amasser un véritable pactole, rien qu'en fournissant... des conseils. Une activité devenue l'ouvrage d'anciens chefs d'Etat ou de gouvernement, ministres, députés, sénateurs, maires...

Dans l'industrie concurrentielle du conseil, le règne des cabinets est quelque peu bousculé par ces nouveaux arrivants qui se lancent dans le lobbying, le consulting, avec l'Afrique comme nouvelle terre de reconversion professionnelle. Ces personnalités issues de la politique ou de l'économie (lire portraits) ont fait de leur auréole politique et médiatique, leur expérience des affaires, leur connaissance des dossiers et du dispositif humain, des leviers au service de la réorientation momentanée ou définitive de leur carrière.

Dix fois plus surcotés

Toujours pressées entre deux avions entre Paris et une capitale africaine, elles murmurent à l'oreille des états-majors des pays, des capitaines d'industrie, des investisseurs à la recherche de nouveaux marchés ou de simples opposants politiques soucieux de faire entendre leur cause à travers le monde. Ces « clients » comptent bien bénéficier de la cote d'influence, de leur capacité à les brancher sur des réseaux très select mais aussi d'un atout marketing majeur. En échange, ils acceptent de signer des chèques d'honoraires dix fois plus élevés que la fourchette de 600 à 2000 euros/heure pratiquée sur le marché. Entre les honoraires fixes et les variables, la facture globale pour s'attacher les services d'un lobbyiste coté peut affoler les cabinets. Ce n'est plus de la rémunération, c'est de la surcote.

« Le principal intérêt visé par ceux qui font appel aux ex-personnalités politiques est le carnet d'adresses. Plus le secteur concernera des décideurs politiques ou la sphère institutionnelle publique, plus l'attrait pour le politique sera fort », développe Delali Attiopou, consultante en stratégie. « Il y a parmi eux, ceux qui se servent de leurs carnets de visite pour monnayer des conseils hors-sol en Afrique. Leur quotient crédit tient à la fois du déploiement de leur carnet d'adresses, de la mise en scène permanente de leur influence et aussi de moyens de pression », renchérit un consultant bien établi à Paris.

Avoir été en fonction à Paris ou dans une capitale africaine permet de tisser des liens, de créer des amitiés, de faire converger des intérêts et même de se faire recommander. « En réalité ces personnalités sont plus dans un rôle de lobbying que d'expertise technique. Ce qui se joue se sont les entrées et osons le dire, les " passe-droits " pour négocier financements, nouvelles lignes de crédits ou contrats auprès d'un dirigeant " ami " », nuance encore Delali Attiopou.

Et pourtant, loin de l'opportunisme d'une reconversion professionnelle à cette industrie, via des cabinets ou en cavalier seul, l'expérience de personnalités qui ont eu une expérience dans la gestion des affaires peut s'avérer cruciale.

Quand les ex-politiques chassent dans le domaine des cabinets

Même les professionnels reconnaissent qu'utilisés à bon escient, des conseils prodigués sur la base d'une expérience dans la gestion publique peuvent permettre d'éviter des écueils, de gagner du temps, bref de prendre des décisions mieux calibrées pour les enjeux du moment et à venir. « Sur des questions macro-économiques, diplomatiques ou de sécurité nationale, s'adjoindre les services d'un ancien décideur de premier plan facilite l'accès à une excellente source de renseignements ou une mise en relief internationale dont il serait dommage de se priver alors que la guerre des données fait rage », souligne Annie Mutamba, consultante en affaires publiques UE-Afrique.

Au sein des cabinets qui ont vissé une plaque officielle de conseils, on goûte peu cette « intrusion » dans ce qu'ils considèrent comme leur domaine réservé. D'abord les cabinets locaux voient l'arrivée des ex-politiques comme une concurrence déloyale qui risque d'encourager d'autres politiques à se lancer dans l'aventure et ainsi « tuer » leur émergence. « Les consultants talentueux en Afrique ce n'est pas ce qui manque, mais ils sont bien souvent obligés d'opérer sous la coupelle de " Grands noms " étrangers pour tirer leur épingle du jeu. La mort par asphyxie du conseil par l'Afrique pour l'Afrique est aussi ce que nous risquons », souligne Delali Attiopou. « Parfois ce sont les grands cabinets qui eux-mêmes font appel à ces personnalités publiques. Elles leur servent à percer les palais en Afrique, à approcher les hommes à Paris ou ailleurs, même à plaider leur cause », reconnaît un consultant bien introduit sur le marché du conseil.

L'inquiétude se trouve aussi dans le fait que pour des conseils parfois décisifs pour l'avenir des peuples, les personnalités politiques reconverties en consultants ou lobbyistes n'endossent aucune responsabilité d'échec. « Le premier risque vient du fait que lobbying et expertise technique ne convergent pas toujours vers les mêmes intérêts. Beaucoup de politiques occidentaux reconvertis en consultants sont au service de leurs futurs défis. Devenir consultant international est un moyen très usité pour financer par exemple une future campagne électorale, une organisation ou une fondation. A ce moment-là naît une forme de deal sous-jacent entre le consultant et le donneur d'ordre ». Pour Mamadou Ibrahima Fall, conseiller en relations et négociations internationales, une autre réorientation de carrière est possible pour ces personnalités publiques.

« La vie d'un homme politique est faite de demandes au sens de solliciter des voix d'élection en élection : solliciter des voies, solliciter des votes, solliciter une confiance, demander des appuis financiers aux militants, demander à être élu et se faire rémunérer par l'argent du contribuable », souligne-t-il.

Et notre expert de conclure. « Au moment de refaire une autre vie, la sagesse, l'éthique et la gratitude voudraient qu'on donne à ceux qui vous ont toujours donné. Donner de son temps aux autres, donner de son argent pour les plus démunis, donner du reste de ses forces physiques et de son intelligence pour changer des vies. En mieux ». Alors la philanthropie, nouveau domaine de reconversion après une carrière politique ?

Ibrahima Bayo Jr.

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