Du sport au business : passage obligé ?

Le fait est devenu tellement courant que cela peut être désormais assimilable à une tradition dans le milieu du sport. Quand il se fait de l'argent dans sa discipline, le sportif finit par investir dans un ou des secteur(s) porteur(s) de l'économie. Passage obligé ?
Ristel Tchounand

Il y a encore quelques décennies, la philosophie du sport de haut niveau se résumait pour le sportif à développer son talent (selon sa discipline sportive), intégrer les plus grands clubs, se démarquer dans les grandes compétitions internationales, multiplier les contrats et vivre la vie qui cadre avec son pouvoir d'achat. Une fois à la retraite, il pouvait se contenter de ses économies et des acquisitions faites pendant ses heures de gloire pour conserver un style de vie «acceptable».

Assurer ses arrières

Ceux qui n'avaient pas pu doper leurs comptes bancaires ou se convertir à un métier porteur étaient, quant à eux, confrontés à une dure réalité. Ce tableau mi-figue mi-raisin des anciens sportifs de haut niveau a de plus en plus soulevé la question de la vie après les stades, les tatamis, et les pistes. Les sportifs ont commencé à prendre conscience de l'opportunité que représentait leurs heures de gloire pour s'assurer une retraite consistante. Ainsi, ils ne se bornent plus à leur discipline sportive et pensent à fructifier leurs avoirs, de façon à s'assurer un bel «après-carrière». Illustrée au cinéma, la reconversion réussie aux affaires du basketteur américain Earvin «Magic» Johnson a donné des idées à plus d'un. La star des Chicago Bulls Michael Jordan et plusieurs autres ont suivi ses traces.

Depuis la fin des années 80 en effet, les sportifs ont de plus en plus tendance à porter la double casquette. Si le fait était encore l'apanage d'une poignée d'entre eux au début des années 90, l'effectif des sportifs businessmen ne cesse d'augmenter depuis les années 2000. Et les sportifs africains ne sont pas en reste. Immobilier, mode, télécoms, presse ... toutes les activités y passent ! Les athlètes professionnels à travers le continent tentent de se tailler une place dans les secteurs qu'ils estiment prometteurs. La légende éthiopienne de l'athlétisme Haile Gebreselassie en est une belle illustration. Après avoir ébloui le monde entier avec deux médailles d'or aux Jeux Olympiques, quatre médailles d'or, deux médailles d'argent et une médaille de bronze aux Championnats du monde et quatre médailles d'or aux Championnats du monde en salle, ce maitre du 10.000 mètres est aujourd'hui installé à la tête de plusieurs entreprises florissantes à Addis Abeba, actives dans plusieurs secteurs (immobiliers, mines, agriculture, ...) et emploie près de 2.000 personnes. Début janvier, c'est le footballeur international sénégalais El Hadji Diouf qui annonçait en grande pompe le lancement de son quotidien sportif «Sport 11», posant ainsi ses premiers vrais pas dans le monde des affaires. Basé à Dakar (Sénégal), ce média qui se veut panafricain et ouvert sur le monde, ambitionne de mettre en exergue les jeunes talents sportifs du continent.

L'explosion de la manne financière sportive, l'atout

Robert Brazza, Producteur TV & Radio et journaliste à Canal+ et Africa n°1, a lui aussi été témoin cette «réelle prise de conscience». «Après les exemples de faillite tonitruantes des aînés qui avaient des carrières glorieuses, il y a eu comme une peur du lendemain et je crois qu'à partir de là, les sportifs africains ont compris qu'il fallait vraiment se soucier du lendemain», argue-t-il dans un entretien avec La Tribune Afrique.

De plus, cet homme des médias qui suit les sportifs africains depuis près de deux décennies fait remarquer la facilitation de leurs investissements par la multiplication de leurs revenus sportifs ces dernières années. «L'explosion des droits et du business autour du sport est telle que depuis les années 90, la manne financière qui en découle et la courte carrière pour des raisons évidentes des sportifs fait qu'aujourd'hui, ils ont beaucoup plus de possibilités de se recentrer et de se réinsérer professionnellement d'une manière différente», explique-t-il. Alors qu'en 1980 en effet, l'As Roma faisait encore l'exception en offrant à son joueur le mieux payé, le Brésilien Paulo Roberto Falcão, 12.000 euros par semaine (le premier salaire à cinq chiffres à l'époque). En 1990, Roberto Baggio, dans les rangs du Milan AC, s'illustrait comme premier footballeur atteignant la barre des 60.000 euros par semaine. Deux décennies plus tard, Samuel Eto'o comptait 385.000 euros hebdomadaires en 2011 avec le club russe Anzhi Makhachkala. Certes, il s'agit là du top des salaires, mais cela illustre bien l'évolution de la rémunération des footballeurs notamment.

Cette «manne financière» permet donc aux sportifs de multiplier leurs avoirs beaucoup plus aisément en investissant dans des secteurs porteurs. Et M. Brazza d'ajouter : «Si vous croisez ce facteur au règne de l'image, le marketing qui encadre le football mondial et notamment occidental, l'on obtient la fameuse équation du footballeur businessman à laquelle on assiste aujourd'hui».

Le mentorship des académies sportives

Dans cet élan des sportifs dans le business (qui semble se généraliser), les académies sportives n'y sont pas étrangères. Dans un entretien avec Capital en 2013, Christian Hubert du gestionnaire parisien de patrimoine pour les sportifs, UFF Sport Conseil, le confirmait : «Nous agissons en amont dès les centres de formation, où nous expliquons aux jeunes, l'intérêt de préparer très tôt leur reconversion, de bien s'assurer et de bien gérer les premiers budgets».

La pratique est également intégrée au système des académies africaines. Au Cameroun, la célèbre Kadji Sports Academy (KSA), le plus grand centre de formation sportive du pays ouvert pour trois disciplines (le football, le tennis et le basketball), ne lésine pas quand il s'agit de mettre en garde les académiciens quant à l'après-carrière. «Nous mettons l'accent sur l'éducation des joueurs, ensuite nous insistons sur le fait que le sport est très éphémère et que tout peut être chamboulé en cas de blessure grave ou de pépin physique et que même si tout se passe bien, techniquement la retraite arrive très tôt, dans la trentaine», explique à La Tribune Afrique Oliver Kadji, responsable communication chez KSA.

Ce travail de sensibilisation, l'Academy le poursuit «jusqu'à ce que les jeunes comprennent que le plus important pour eux n'est pas de devenir riche». L'exercice consiste en une question à laquelle l'académicien doit donner la réponse la plus juste : «Pourquoi voudrais-je devenir sportif professionnel ?». «S'il répond qu'il veut devenir riche, nous comprenons que c'est un profil qui n'ira pas forcément loin, même s'il réussit en tant que sportif. Nous leur expliquons alors que le footballeur camerounais est très apprécié sur le marché du ballon rond. S'ils ont de brillantes carrières, ils toucheront énormément d'argent, mais l'argent n'est pas une fin en soi», détaille le responsable. Les jeunes sont alors sensibilisés à l'investissement, mais aussi à la philanthropie (construction d'orphelinat, d'écoles, de centres de santé, ...).

Ces travaux qui se font lors d'ateliers extra-scolaires sont devenus très importants pour la KSA qui a certes produit d'excellents profils comme Samuel Eto'o, mais qui a également vu des lauréats à succès finir leur vie «de manière pitoyable». «Samuel Eto'o est un exemple à suivre pour eux. Nous leur expliquons comment il gère sa carrière..., surtout qu'on a aussi des joueurs qui sont passés par la KSA, qui ont eu énormément de succès, mais qui aujourd'hui se retrouvent sans ressource. Je ne citerai pas de noms, mais on a l'exemple d'un joueur qui est passé à Manchester, qui a eu énormément d'argent, mais qui n'a même pas réussi à construire une maison au Cameroun», regrette M. Kadji.

Quand ils investissents cependant, les sportifs ne connaissent pas toujours des success stories. Plusieurs investissements de basketteurs, de footballeurs ou d'athlètes se sont soldés par des échecs cuisants. C'est pour proposer aux sportifs d'éviter de telles mésaventures qu'en juin 2014 est né «African opportunities for footballers fund», un fond d'investissement lancé par le promoteur privé de fonds spéculatifs basé à Londres, Silk Invest, et l'international ivoirien Kolo Touré. «Ce que les footballeurs veulent, c'est investir en Afrique, mais ils ne savent pas comment s'y prendre, puisque généralement, ils ne maitrisent pas le monde des affaires et de la finance. C'est à ce niveau que nous intervenons», explique à La Tribune Afrique Malick Badjie, responsable des solutions d'investissements chez Silk Invest.

D'après lui, la plupart des joueurs ayant investis via ce fonds sont originaires d'Afrique de l'Ouest : Côte d'Ivoire, Ghana, Sénégal, Nigeria. Ils s'intéressent principalement à l'immobilier, la technologie ou misent dans des placements peu risqués tels que les obligations. Leurs destinations : leurs pays d'origine d'abord, mais aussi ceux abritant des bureaux de Silk Invest en Afrique, à savoir l'Egypte, le Maroc, l'Afrique du Sud ou encore le Kenya. «Nous faisons un travail de veille des opportunités à saisir et des secteurs prometteurs, apportons le conseil et suivons les projets», indique le financier, soulignant que les footballeurs peuvent miser par investissement 1 à 10 millions de dollars. Reconnaissant que certains investissements peuvent parfois s'avérer moins rentables qu'espéré en raison notamment des comportements inattendus du marché, Malick Badjie estime les sportifs «satisfaits» de leurs mises...

3 questions à Robert BRAZZA, Animateur, Journaliste, Producteur TV & Radio

De plus en plus de sportifs choisissent de se reconvertir dans les affaires, est-ce inévitable selon vous ?

L'explosion des droits et du business autour du sport est telle que depuis les années 90, la manne financière qui en découle et la courte carrière des sportifs fait qu'aujourd'hui, ils ont beaucoup plus de possibilités de se recentrer et de se réinsérer professionnellement d'une manière différente. Auparavant, certains footballeurs, même parmi les plus célèbres, retournaient à des emplois pas du tout extraordinaires. Déjà au moment où ils exerçaient en tant que footballeurs, ils travaillaient dans la fonction publique ou dans l'armée, d'autres étaient chapotés par des mécènes. Après les exemples de faillites tonitruantes des ainés ayant eu des carrières glorieuses (après-carrière dans la misère, sans propriétés, ni aide), il y a eu comme une peur du lendemain et je crois qu'à partir de là, les sportifs africains ont pris conscience qu'il fallait vraiment se soucier de la vie après le foot. Avec la manne financière accumulée, beaucoup se sont dit : « avant que ma carrière ne s'achève, il vaut mieux que je commence à placer mes billes dans des domaines ''intéressants'' ». Et si vous croisez ce facteur avec le règne de l'image, le marketing qui encadre le football mondial et notamment occidental où de nombreux joueurs africains évoluent, l'on obtient la fameuse équation du footballeur businessman à laquelle on assiste aujourd'hui.

Vous en avez rencontré plusieurs au cours de votre carrière. Quel est, selon vous, leur rapport réel avec le monde des affaires ? Est-ce une seconde passion, du suivisme, ou restent-ils dans le domaine du raisonnable ?

Je pense que les deux cas sont mêlés, mais à des degrés divers, parce qu'il y a toujours le fameux « on veut faire comme l'autre, parce que c'est un peu une mode ». De nombreux sportifs ont d'ailleurs, à un moment donné, plongé dans le business du vêtement, de la production de disque, ... parce que le voisin le faisait. Parmi les footballeurs africains, on sait que beaucoup ont d'abord réagit par rapport au diktat des parents, c'est-à-dire se lancer dans l'immobilier, parce que c'est une valeur sûre. Le malien Seydou Keita ou l'Ivoirien Didier Drogba en sont des exemples. Il y'en a qui se lancent dans un business un peu plus bling-bling. Samuel Eto'o avait ouvert une boite de nuit à Yaoundé, le Katios. Parfois les projets sont plus ambitieux. Les sportifs visent la création d'emplois dans un secteur donné, afin d'apporter leur pierre à l'édifice économique de leur pays. C'est le cas notamment d'El Hadji Diouf qui s'est lancé dans la presse sportive. Samuel Eto'o aussi avait lancé une compagnie de téléphone Set Telecom, il y a 5 ans au Cameroun. J'y étais à ce moment. C'était très sérieux, il y avait des cadres d'Orange impliqués dans le projet. Mais finalement, le projet a périclité et l'année d'après, il est devenu une égérie de MTN comme Yaya Touré est devenu une figure d'Airtel (Gabon). Tout comme les sportifs occidentaux, de nombreux sportifs africains prêtent leur image à des compagnies télécoms ou aériennes parce que cela leur rapporte gros.

Outre quelques exceptions, les footballeurs africains sont généralement très discrets dans leurs investissements. Comment l'expliquer ?

La discrétion est une règle sacro-sainte notamment parmi des footballeurs africains. L'argent n'aime pas le bruit comme on dit. Mais il faut dire que très souvent, leurs investissements sont souvent réalisés sous forme de contribution dans des projets portés par des amis d'enfance : « je veux monter une société de location de voitures, import-export, ...est-ce que tu peux m'aider ? ». Les noms des footballeurs n'apparaissent pas à l'affiche, mais toute personne qui est dans le même environnement qu'eux vous dira : « ce business en réalité appartient à un tel ».

Ristel Tchounand

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