Côte d’Ivoire : longue nuit à Abidjan sur fond de tension au sein de la majorité

La situation politique et sécuritaire reste toujours tendue en Côte d'Ivoire où dans la nuit du vendredi au samedi, des tirs ont été entendus dans plusieurs quartiers d’Abidjan. Le calme semble être revenu ce samedi matin mais le contexte politique reste dominé par la guerre de positionnement feutrée que se livrent les cadres des partis alliés dans la coalition pro-Ouattara. Des proches de Guillaume Soro et des membres du PDCI, le principal allié du RDR dans la majorité présidentielle, ont été dernièrement limogés. Sur fonds de lutte politique pour sa succession en 2020, Alassane Dramane Ouattara est de nouveau face à une nouvelle rude épreuve qui risque de porter un coup dur à son régime…

La nuit a été longue dans certains quartiers d'Abidjan, la capitale économique du pays qui en abrite toujours les principales institutions nationales. Des tirs ont été entendus dans certains points de la ville selon plusieurs témoins sur place qui ont aussitôt relayés l'information sur les réseaux sociaux.

Certaines sources parlent d'une tentative de mutinerie et évoquent des morts et des blessés et d'autres, un mouvement d'humeur dans un bataillon de la grande meute et qui a concerné d'autres garnisons militaires du pays comme à Korhogo, sans qu'il soit possible encore de confirmer les faits au vue de la situation et de l'évolution rapide des faits.

Ce matin, la situation semble revenir à la normale même si à l'heure où nous mettons en ligne, aucune confirmation ni explication officielle n'a été donnée par les autorités. Les médias en ligne du pays ont fait leur une de la psychose qui s'est de nouveau emparée de la ville après l'annonce des faits qui font resurgir certains douloureux évènements surtout de ces dernières années avec la répétition des mutineries.

Le Président de la République, Alassane Ouattara, est d'ailleurs arrivé, dans la matinée de ce samedi 15 juillet 2017, à Monrovia, où il prendra part à la cérémonie solennelle d'hommage organisée en son honneur par la République comme annoncé la veille sur l'agenda communiqué par la présidence ivoirienne.

Malaise au sein de la coalition au pouvoir

En plus des tensions sécuritaires qu'entretiennent la succession des mutineries, la situation qui prévaut au sein de la coalition au pouvoir fait exacerber les menaces sur le pays. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a un malaise au sein de la coalition au pouvoir regroupée au sein du Rassemblement Des Houphoutéistes pour la Paix (RHDP).

Sur fonds de guerre de positionnement en vue de la succession d'ADO en 2020, les partis de la majorité au pouvoir se livrent une guerre feutrée qui met particulièrement en main, les cadres du Rassemblement Des Démocrates (RDR), la formation au pouvoir, à leur principale allié le Parti Démocratique de la Cote d'Ivoire (PDCI) d'Henri Konan  Bédié. L'ancien parti unique jusqu'en 1999 estime qu'il lui revient de retrouver le sommet du pouvoir conformément à l'accord passé entre ADO et Bédié à la veille des élections de 2016 et magnifié par le célèbre « Appel de Daoukro » qui consacre un soutien du PDCI à ADO contre un second mandat en échange d'un retour d'ascenseur en 2020.

En 2010, le PDCI a déjà soutenu au second tour le RDR en défaveur du Front populaire ivoirien (FPI) de l'ancien chef d'Etat Laurent Gbagbo actuellement en détention par la CPI. Henni Konan Bédié, ancien adversaire d'ADO à la succession de Boigny est devenu le principal allié de l'actuel président au sein de la majorité RHPD qui gouverne le pays depuis 2011.

Et pour ne rien arranger, l'un des acteurs clés de l'accession d'ADO à la magistrature suprême, l'ancien chef rebelle et actuel président de l'Assemblée nationale, Gillaume Sorro, est lui aussi en course. Officiellement il est encore étiqueté RDR mais il y a moins d'une dizaine de jours, ses partisans ont mis sur orbite un mouvement politique qui le soutien, un embryon de parti au cas où les menaces qui pèsent sur-lui risquent de le mettre hors-jeu. Au sein du clan présidentiel, on le soupçonne en effet d'être derrière les dernières mutineries qui ont secoués le pays afin de marquer son territoire en vue de la prochaine présidentielle.

L'autre larron, c'est Albet Mabri Toikeusse, ancien ministre à plusieurs reprises, et leader du parti démocratique de la Cote- d'Ivoire (PDCI), le 3e pied sur qui s'appuie la coalition RHDP pro-Ouatarra, est aussi entré dans la danse en faisant savoir publiquement que son heure a sonné et qu'il lui appartient légitimement d'être le candidat de la coalition en 2020.

De quoi ajouter la confusion au sein de l'échiquier politique du pays, ce qui a tendance à amplifier la tension qui prévaut.

Guerre de positionnement

Les prochaines présidentielles sont pour 2020 mais la bataille politique semble déjà enclenchée. Avec tous les risques quant on sein que même au sein du RDR, les prétendants font légions. C'est ce qui explique certainement la situation dans le pays d'autant que la présence des poulains des autres partis alliés, lesquels ne manquent pas d'arguments à prévaloir, poussent les postulants à se permettre tous les coups. Or, tous les clans n'ont pas la même force qu'elle soit politique ou militaire. Si le RDR, le parti d'ADO est accusé d'user de son pouvoir, Soro contrôle encore l'ancienne rébellion dont il était le chef et sans le PDCI, ADO aura du mal à maintenir son parti à la tète du pays.

Au regard de l'évolution des faits, chacun semble pour le moment user de ses forces. Le calme avant la tempête même si cette dernière semble avoir déjà pointé son nez à moins que le président ADO arrive encore à la contenir.

Depuis une semaine, des limogeages en séries se poursuivent et impliquent des personnalités membres du PDCI ou des proches de Soro. Des signes qui ne trompent pas et qui expliquent le rapprochement entre les deux personnalités qui séjournent actuellement en Europe et qui se sont vues à deux reprises à Paris durant la semaine. A Abidjan, leurs états-majors multipliant les réunions afin de décider de la posture à suivre face à l'artillerie lourde sortie par le RDR.

L'une des preuves de ce malaise, c'est qu'hier vendredi, des membres de la garde rapprochée de Guillaume Soro ont refusé de répondre à leur convocation dans le cadre de l'enquête judiciaire ouverte à la suite de la découverte d'une cache d'arme au domicile du directeur de protocole du président du parlement, le fameux « Soul-to-Soul », lors de la dernière mutinerie de mai dernier. Jusque-là, pourtant, le président de l'Assemblée nationale a fait savoir que lui et ses proches collaboreraient entièrement à l'enquête judiciaire. Dans son camp et dans l'opinion, les avis divergent entre ceux qui estiment qu'il est derrière le coup ou qu'il a été victime d'un complot visant à l'écarter de la course présidentielle.

Ces faits qui viennent parallèlement au limogeage des cadres du PDCI ont de quoi expliquer le rapprochement entre les deux hommes, Soro et Bédié, contre ce qui prend les allures d'un nouveau front anti-ADO au sein de la majorité présidentielle et en vue toujours des présidentielles de 2020.

Mauvaise image

La situation qui prévaut en Côte d'Ivoire, au delà des faits et des rumeurs, ternissent l'image du pays qui connait pourtant l'un des plus importants rythmes de croissance du continent. Les turbulences qu'a connu le pays depuis le début de l'année contrastent avec les ambitions d'attirer les investisseurs pour soutenir le programme d'émergence à l'horizon 2020 que vise le régime d'ADO. Abidjan s'apprête d'ailleurs à recevoir, à partir du 20 et jusqu'au 31 juillet, la 8e édition des jeux de la francophonie en attendant le sommet Afrique-Europe dans quelques mois. L'occasion pour le pays, qui a été récemment élu au Conseil de sécurité de l'ONU comme membre non permanent, de marquer définitivement son retour sur la scène internationale après la décennie (1999 à 2011) de crise politique et sécuritaire.

Le pays qui fait face à une crise conjoncturelle engendrée par la baisse des prix du cacao dont il est le principal acteur mondial et qui vient de recueillir l'avis favorable des marchés financiers à travers une sortie sur les marchés internationaux où il a récolté plus d'un milliards de FCFA, risque de payer cher cette dure épreuve surtout à la veille d'un nouveau recours au marché régional où il espère lever encore 100 milliards de FCFA dans quelques jours pour faire face à ses besoins budgétaires.

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