Lionel Zinsou : « Je n'abolis pas le Béninois qui est en moi »

En juin dernier, le banquier d'affaires et ancien Premier ministre béninois Lionel Zinsou, est nommé président de Terra Nova. Avec son arrivée, le think-tank français prend un virage à l'international. Si ce proche d'Emmanuel Macron occupe de nouvelles fonctions à Paris, il n'abandonne pas pour autant toute velléité politique au Bénin...
Lionel Zinsou, nouveau président de Terra Nova et ancien Premier Ministre béninois.

La Tribune Afrique - Vous avez récemment été nommé président de Terra Nova : quelles étaient vos relations avec le think-tank  avant cette nomination?

Lionel Zinsou - J'avais d'abord participé à des travaux avec l'économiste Jacques Mistral au moment où la crise financière battait son plein. Puis, j'ai assisté à une réunion d'experts financiers en 2010. Je connaissais très bien le président Thierry Pech et Marc-Olivier Panis.

Ma nomination est donc sans doute le résultat de ma proximité idéologique avec le think-tank, mais aussi de mon expérience à l'international. Lorsqu'il a fallut remplacer François Chérèque - décédé en janvier 2017 - il est apparu assez clair qu'une ouverture sur le monde s'imposait, car il existe une commission consacrée à l'international  et à la défense, mais elle n'est pas la plus active. Nous étions concentrés sur les politiques publiques françaises ou sur les problèmes sociaux européens en «délaissant» les pays du Sud jusqu'à présent.

Nous comptons désormais initier des travaux consacrés à l'engagement de la France à l'étranger, à la sécurité ou encore au terrorisme, tout en intensifiant nos partenariats européens avec les Allemands et les Italiens en particulier.

Votre nomination marque-t-elle une volonté de Terra Nova de s'orienter vers les questions africaines ?

Ma nomination est effectivement le reflet d'une volonté d'ouverture vers la diversité, vers les afro-descendants et vers la diaspora. Terra Nova a été très actif sur la révision du Code du travail qui est actuellement mis en œuvre à travers les ordonnances, mais aussi sur le revenu universel ou sur la question du «peuple de gauche» qui représentent nos «notes vedettes».

Toutefois, il y a eu peu de productions de large audience concernant l'Afrique ou les pays en développement. Pourtant, l'Afrique est en pleine renaissance et les positions des forces politiques évoluent avec l'arrivée d'une nouvelle génération dans l'Hexagone, ce qui permet de dépasser l'éternel débat sur la «Françafrique».

...Une «nouvelle génération» à l'image d'Emmanuel Macron avec lequel vous ne cachez pas votre proximité depuis la Banque Rothschild. Votre arrivée marque-t-elle un virage au centre de Terra Nova ?

Mon arrivée n'est pas le symbole d'un virage au centre, car à l'origine, nous sommes plus proches des sociaux-démocrates que de la «France insoumise». Nous  représentons la «2ème gauche» avec des racines rocardiennes, puis strauss-khaniennes et ensuite moscoviciennes. Personnellement, je ne nie pas avoir soutenu Emmanuel Macron, car il existe une très grande proximité entre nous depuis longtemps. Il est vrai que nous évoluons dans un espace politique très proche, mais vous savez, les orientations de Terra Nova sont bien antérieures à l'élection d'Emmanuel Macron et de nombreux travaux ont été entamés plusieurs années avant la création de LREM. De toute façon, il est important que Terra Nova reste indépendant avec ses valeurs de gauche, mais non affilié à un parti politique. On ne va ni demander l'aval à LREM ni au PS.

Dans quelle mesure rejoignez-vous la «vision africaine» d'Emmanuel Macron ?

Nous pensons tous les deux qu'il faut désormais établir des relations décentralisées. Fin 2013 et début 2014, j'ai réalisé un travail avec un certain nombre d'experts comme Jean-Michel Séverino, Hubert Védrine ou encore Tidjane Thiam, pour renouveler les relations avec l'Afrique. Dès cette époque, Emmanuel Macron qui était au gouvernement, nous soutenait. Nous ne voulions plus seulement des relations d'Etat à Etat mais nous cherchions à redynamiser les relations en impliquant le mouvement social, les collectivités territoriales et les entrepreneurs. Nous allons continuer sur cette orientation.

Vous êtes le co-président d'AfricaFrance. Des connections sont-elles possibles avec Terra Nova ?

De nombreuses interactions sont envisageables car c'est tout à fait le même esprit et il est courant de voir s'associer plusieurs think-tanks sur de mêmes recherches. Il existe également un tissu très actif en Afrique anglophone et de nombreuses initiatives apparaissent dans la zone francophone comme Africanova. Ils lèvent des problématiques centrales reprises par des institutions internationales à l'instar de la Banque mondiale qui s'est saisie du dossier sur l'éradication de l'extrême pauvreté, qui représente un vrai défi pour les pays du Sud.

Terra Nova est très impliqué dans les questions européennes. Que répondez-vous aux eurosceptiques français ?

Il est vrai que cet euroscepticisme s'est exprimé à travers plusieurs programmes politiques et qu'Emmanuel Macron était probablement le seul à s'engager pleinement sur l'Europe. Pourtant, s'agissant de l'euro, les sondages ont bien montré que les trois quarts des Français étaient opposés à l'abandon de l'euro et ce fut la faiblesse du dispositif électoral de Madame Le Pen, avec sa tentative finale de proposer deux monnaies différentes. On ne peut pas dire que sur les aspects monétaires, la France ait progressé dans l'euroscepticisme. Sur d'autres aspects, les travaux sur la gouvernance se poursuivent et Terra Nova reste engagé dans l'approfondissement des politiques européennes. Nous apporterons bientôt notre contribution avec les Allemands, sur les questions de gouvernance de l'euro.

Quels sont les autres grands débats européens auxquels vous comptez participer ?

Un certain nombre de questions doivent être étudiées comme la sécurité, le terrorisme et la politique de défense au moment du retrait des Etats-Unis sur un certain nombre de sujets. La souveraineté technologique représente également un sujet brûlant qui peut devenir une extension du champ européen. Il y a évidemment les questions migratoires. Chacun a «ses propres migrants». Les Français ne pensent que «Maghrébins» alors que les Allemands pensent «Syriens ou Européens du Sud» et les Britanniques «Polonais ou  Roumains»... Le point de vue des pays d'origine est primordial pour comprendre les migrations. Il existe des situations protéiformes : l'asile, le regroupement familial, l'attraction économique, mais aussi le crime organisé. Toutes les parties doivent s'exprimer pour comprendre les phénomènes migratoires : de la Suède à l'Erythrée. En tant que think-tank, nous allons porter ces questions dans le débat public, mais nous ne sommes pas non plus une officine politique. Nous restons un laboratoire à idées composé de bénévoles...

Précisément, comment expliquez-vous la défiance des Français envers les think-tanks souvent considérés comme des officines financées par des groupes privés pour influencer les politiques publiques ?

Cela tient certainement aux cultures si l'on porte son regard chez les Anglo-saxons. Quant à l'opacité : nous sommes pourtant transparents ! Nous avons mis la liste de nos mécènes en ligne. Comme de nombreux think-tanks, nous travaillons avec des entreprises, des banquiers - et non des banques ! - mais aussi avec beaucoup de particuliers. Je n'ignore pas que nous avons souvent été au cœur de polémiques et la «fachosphère» des extrêmes de gauche comme de droite ne nous a pas épargnée. La stigmatisation des banques est un thème récurrent. Personnellement sur Internet, j'ai aussi lu des choses telles que : «Ils n'ont trouvé rien d'autre qu'un Africain pour reprendre Terra Nova !» ou encore : «C'est un sale capitaliste !». Pourtant, Terra Nova à l'image des autres think-tanks de l'Hexagone, reste pauvre. Nous disposons en France de 5 ou 10, voire 20 fois moins de moyens que les Américains, pour certains dotés de dizaines de chercheurs et de millions de dollars.

Est-ce que cette nomination signifie que vos ambitions sont désormais recentrées sur Paris ?

Quand on est métis franco-béninois, on est dans une situation arithmétique particulière, car on est 100% Français et 100% Béninois. Après une carrière politique en France, puis au Bénin, je suis redevenu banquier d'affaires spécialisé sur l'Afrique. Aujourd'hui, je travaille à Cotonou, à Abidjan, mais aussi dans une nouvelle société de conseil basée à Casablanca. Parallèlement, je reste bénévole car j'ai toujours cru à la vie associative et ce n'est pas par dessein politique que j'ai crée une fondation culturelle au Bénin, il y a plus de 10 ans. Je ne choisis pas entre Paris et Cotonou. Je cumule plusieurs activités simultanément, mais dans chacune des fondations ou des organisations dans lesquelles je suis engagé, je suis très bien secondé : par ma fille au Bénin, par Bruno Meitling depuis peu au sein d'AfricaFrance et par une équipe d'élite au sein de Terra Nova... Ce nouvel engagement ne signifie pas une décision de me recentrer sur la France en particulier. Je conserve mon bureau à Cotonou et je n'abolis pas le Béninois en moi !

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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Commentaire 1
à écrit le 05/09/2017 à 2:16
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Léonel Zinsou c'est un cerveau tout court. Une tête bien faite dont le monde intellectuel en a besoin. Bravooooo Mr le Premier Ministre

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