Tech : la Suisse en quête d’Afrique aux ATDA 2022

Les 15 et 16 décembre, Genève accueillait les Assises de la transformation digitale en Afrique (ATDA). Dotée d'une stratégie spécifique pour l'Afrique subsaharienne depuis 2021, la Suisse cherche à renforcer sa relation avec le continent, tout en diversifiant ses échanges, sur fond de croissance partagée.
(Crédits : DR.)

« Aujourd'hui, 50 % des décisions relatives à la gouvernance d'Internet, sont prises à Genève où se trouvent le siège de l'Union internationale des télécommunications (UIT), plusieurs agences onusiennes, l'International Computing Centre (l'UNICC) qui gère les datacenters des Nations Unies, ainsi que le plus grand centre de Google basé en dehors des Etats-Unis. Porter la voix de l'Afrique à Genève avait donc un sens. Nous voulions y montrer que l'Afrique partage les mêmes défis avec l'Europe », explique Mohamadou Diallo, fondateur des ATDA, depuis le Geneva International Conference Center, dès l'ouverture des rencontres.

« Nous avons un destin lié avec l'Europe sur la question de la souveraineté des data qui sont surtout gérées par la Chine et par les Etats-Unis où se trouvent l'essentiel des clouds et des datacenters », précise-t-il. A ce jour, le continent n'abrite que 1 % des datacenters dans le monde (le marché africain devrait progresser de 12 % par an entre 2020 et 2025, selon le rapport Data Center Market in Africa - Industry Outlook and Forecast 2020-2025, de Reportlinker.com).

« Genève est le carrefour de la philanthropie mondiale, qui a vu naître le World Wide Web (le chercheur britannique, Tim Berners-Lee inventa le web au CERN de Genève, en 1989, ndlr). Vous êtes ici au bon endroit pour trouver des solutions au cœur d'un des centres du multilatéralisme les plus puissants du monde », assure Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat suisse, face aux délégations africaines.

Lacina Koné, CEO de l'Alliance Smart Africa, tout juste rentré du Sommet Etats-Unis-Afrique de Washington, Daniel Schaer, ambassadeur pour la Coopération économique avec l'Afrique d'Estonie, Houlin Zhao, secrétaire général de l'UIT ou encore Aurélie Adam Soulé Zoumarou, ministre du Numérique et de la digitalisation du Bénin, comptaient parmi les personnalités de cette 11e édition des ATDA. Le 16 décembre, Tahina Razafindramalo, ministre malgache du Développement numérique, de la transformation digitale, des postes et télécommunication, est venu en personne annoncer la tenue des ATDA 2023 à Madagascar.

Sécurité numérique, une ambition partagée

« Avec la numérisation, on peut éradiquer la corruption, car les traces digitales sont difficilement dissimulables », déclare l'ambassadeur Benedikt Wechsler, chef de Division pour la numérisation au Département fédéral des Affaires étrangères de Suisse. « Si la sécurité n'est pas assurée, il n'y a pas de confiance. Or, la Suisse est un centre financier où la confiance joue un rôle primordial. La sécurité doit être aussi sûre que celle des trains en Suisse », a-t-il poursuivi, non sans humour. « Nous ne sommes pas les champions du monde en e-Gov, mais nous sommes parmi les premiers à avoir adopté une politique étrangère numérique », a-t-il souligné par ailleurs.

Pour Mariam Hamadou Ali, ministre de l'Economie numérique et de l'Innovation de Djibouti (un pays doté de quelques 14 câbles sous-marins), « il est impératif de mettre en place les conditions d'une économie de la cybersécurité ». Le phénomène de cybercriminalité en coûterait jusqu'à « 4 milliards de dollars par an à l'Afrique selon Interpol », rappelle Didier Nkurikiyimfura, directeur de la technologie et de l'innovation au secrétariat de l'Alliance Smart Africa.

La protection contre le cybercrime n'est pas une nouveauté en terres africaines, comme en témoigne la Convention de l'Union africaine (UA) sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, dite « Convention de Malabo » née en 2014, pour « renforcer et harmoniser les législations actuelles des Etats membres et des Communautés Economiques Régionales (CER) en matière de TIC ». Jugée liberticide en matière d'expression chez nombre de représentants de pays africains, la Convention de Malabo n'est toujours pas entrée en vigueur fin 2022, faute de signataires suffisamment nombreux.

Au-delà de la seule réglementation, se prémunir contre les attaques numériques suppose aussi des investissements à la hauteur des risques. Or, les entreprises africaines investissent encore relativement peu contre les cyberattaques même si la pandémie de Covid-19 a généré une démultiplication des menaces. Entre janvier et août 2020, au plus fort de la crise sanitaire, l'Afrique a été la cible de 28 millions de cyberattaques, selon Kaspersky dont les études ont également révélé un manque à gagner de 4,12 milliards de dollars lié au cybercrime sur le continent, en 2021.

« 66 % des entreprises africaines investissent moins de 200 000 euros dans la cybersécurité et 35% de ces investissements sont destinées à la sécurisation des infrastructures, contre 5% seulement à la sécurité des données », rappelle Youssef Ait Kaddour, directeur de la cybersécurité du bureau de Huawei au Maroc.

Qui sont les principaux partenaires africains de la Suisse ?

Les entreprises basées en Suisse rapportent des milliards de francs de devises aux économies africaines. Néanmoins, les échanges des territoires helvétiques se concentrent à 80 %, sur quelques pays (Afrique du Sud, Egypte, Maroc, Nigeria, Libye, Tunisie et Algérie).

Avec ses 100 millions d'habitants, l'Egypte demeure le marché à l'export privilégié de la Suisse en Afrique (+25 % entre 2018 et 2020). Sur la dernière décennie, l'Afrique de l'Ouest ne captait que 10% du stock d'IDE suisse (70 % orientés vers la Côte d'Ivoire et le Nigéria). En revanche, l'Afrique australe a concentré 74 % du total des fonds investis sur le continent, selon le Swiss-African Business Circle.

Premier partenaire africain, la Nation arc-en-ciel partage une commission économique mixte avec la Suisse. Le commerce bilatéral s'est renforcé entre 2020 et 2021 (+65% des importations avec une hausse de +104 % pour l'or). En 2021, 93 % des importations concernaient les métaux précieux (or, platine et diamants). A ce jour, l'Afrique du Sud abrite près de 500 entreprises helvétiques et la Suisse figure parmi les 10 investisseurs les plus importants du pays.

Dans sa relation avec l'Afrique, la Suisse peut s'appuyer sur de nombreux accords bilatéraux de protection des investissements et de textes contre les doubles impositions.  Cependant, le continent africain ne représente qu'« entre 2 % et 3 % des échanges commerciaux totaux de la Suisse selon les années, dont une part importante est imputable aux importations d'or », d'après les informations du secrétariat d'Etat à l'Economie suisse.

Une stratégie pour l'Afrique subsaharienne 2021-2024

Le 13 janvier 2021, le Conseil fédéral approuvait sa première stratégie pour l'Afrique subsaharienne 2021-2024, centrée sur la sécurité, les droits de l'Homme, les migrations, la prospérité, la durabilité et la numérisation.

« Nous sommes un investisseur important dans quelques pays africains, en lien avec les matières premières qui se gèrent ici à Genève, mais nous voulons passer à une logique entrepreneuriale », déclare Vincent Subilia, directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie et des services de Genève (CCIG), lors des ATDA 2022.

Dépourvue de matières premières, la Suisse n'en demeure pas moins la place forte du négoce mondial en matières premières et les importations africaines de cacao et de métaux précieux, ont participé à construire la réputation de l'excellence suisse. Dans le secteur de l'agroalimentaire, les entreprises Nestlé et Barry Callebaut figurent parmi les géants mondiaux de l'industrie du chocolat. « Les entreprises suisses ont pris très à cœur les enjeux de durabilité, en multipliant les programmes de développement en Afrique -car- le savoir-faire helvétique s'est construit autour de la confiance. Une confiance qui doit être au service d'une croissance partagée », assure le directeur général de la CCIG.

« Tous les grands noms de l'industrie helvétique, comme Holcim (l'un des plus grands producteurs de ciment au monde, ndlr), sont présents en Afrique. La Suisse a développé des compétences dans les infrastructures sur toute la chaîne de valeur. Nos entreprises offrent aussi des solutions numériques. C'est le cas de SICPA qui est le leader de solutions de sécurité pour la plupart des billets de banque dans le monde (...) Nous développons aussi des solutions médicales qui peuvent servir aux pays africains. A elle seule, la Health-Valley de Genève compte 500 acteurs de premier plan qui s'intéressent à l'Afrique », précise Vincent Subilia, dans une logique de diversification.

Enfin, la neutralité légendaire de la Suisse pourrait bien favoriser le renforcement des échanges helvético-africains. « Confiance, souveraineté et inclusion (les thèmes-clés des ATDA 2022, ndlr) sont des valeurs ancrées dans l'ADN helvétique. La confiance qui rime avec la fiabilité du "Swiss Made" est le produit d'appel de notre pays. Par ailleurs, la Suisse est viscéralement attachée à sa souveraineté. Enfin, l'inclusion demeure un paramètre essentiel dans ce monde fracturé », souligne le directeur général de la CCIG.

« Je dis à nos partenaires Africains : vous avez en Suisse, une place neutre, transparente et fiable ! En tant que patron d'une institution privée qui représente 2.500 entreprises, je dis aussi aux entrepreneurs suisses : développez-vous en Afrique où il se passe des choses extraordinaires ! » conclut-il, dans l'enthousiasme.

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