Inside Facebook : l'Afrique au cœur de Menlo Park

Alors que le groupe intensifie ses initiatives sur le Continent devenu la dernière frontière numérique, La Tribune Afrique vous propose un retour sur la stratégie africaine du géant américain, et vous emmène à la rencontre des Africains du siège de Facebook à Menlo Park (MPK), en Californie.
(Crédits : DR)

Mark Zuckerberg a voulu renforcer la culture «Facebook» en créant un espace «sur (dé)mesure», tout comme l'avaient fait avant lui Steve Jobs avec Infinite Loop (Apple), Bill Gates avec le Redmond Campus (Microsoft) ou encore Larry Page avec le Googleplex. C'est au 1 Hacker way de Menlo Park, situé au cœur de la Silicon Valley, que se trouve le siège de Facebook, depuis 2016. Le site abrite habitations et commerces, mais aussi le fameux «campus» (nom donné aux bureaux par ses employés) qui compte aujourd'hui 37 700 collaborateurs et accueille plus de 380 000 visiteurs par an.

Alors que l'entreprise est répartie sur près de 80 hectares, aucun logo sur les façades, car tout est conçu pour oublier que l'on travaille. Facebook est une «philosophie» : on «vit Facebook», on «mange Facebook» et on «dort Facebook». D'ailleurs, les employés font l'objet de toutes les attentions : cafétérias et restaurants gratuits, tout comme les salles de sport et même le matériel informatique (en accès libre dans les distributeurs).

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Localisé à 55 km de San Francisco, le siège reflète l'esprit californien : entre lofts réhabilités aux baies vitrées gigantesques qui laissent pénétrer la lumière dans un décor où chaque détail est pensé, jusqu'aux toits traversés par les tuyauteries qui rappellent que rien n'est jamais terminé... Néanmoins, derrière le décorum et l'apparente décontraction des collaborateurs, tout est sous contrôle : impossible de faire un pas sans être escorté.

Ici, on croise un collaborateur qui travaille sur un tapis roulant, là des employés qui discutent sur la terrasse boisée : ambiance « bobo » dans le complexe 2.0, recouvert de panneaux solaires. Pas de costume ou de tailleur au QG pour les collaborateurs de la marque bleu et blanc, qui viennent du monde entier, et où les Africains sont encore très minoritaires, contrairement aux représentants asiatiques...

L'excellence africaine au cœur du géant américain

«En 2010, si vous m'aviez dit que je serais aujourd'hui chez Facebook pour parler des Africains au cœur de la Tech dans la Silicon Valley, je ne vous aurais jamais cru !» explique Emeka Afigbo, responsable du programme Développeurs chez Facebook depuis près de 4 ans. Chassé par le groupe alors qu'il était en poste chez Google à Londres, le Nigérian revient sur son parcours iconoclaste. «J'ai rencontré certaines difficultés avant de pouvoir vivre de mes compétences. Le software en Afrique a longtemps été considéré comme une discipline comparable à celle du simple réparateur, mais les temps changent et les TIC ont permis un véritable leapfrog et nous offrent des opportunités de réussite nouvelles».

Installé à Palo Alto avec son épouse qui s'est lancée dans la photographie de nouveau-nés, et avec leur fils de 5 ans : «Je ne regrette pas mon choix», admet-il dans un large sourire. Et pour cause, son périmètre s'est rapidement étendu de l'Afrique et du Moyen-Orient à l'international.

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Emeka représente l'une des success-stories africaines de Menlo Park, tout comme Ibrahima, le Mauritanien qui travaille dans le groupe depuis 3 ans : «Cela fait un moment que je suis ici», constate-t-il. Le temps est relatif dans la Silicon Valley où les collaborateurs employés depuis plus d'un an font déjà figure d'«anciens». «On est venu me chercher, car je disposais d'une longue expérience dans mon secteur», explique le spécialiste de la connectivité sur les marchés émergents, à la tête d'une quinzaine de collaborateurs. Ibrahima a conservé sa nationalité d'origine, mais il est désormais Américain, marié à une Américano-mauritanienne rencontrée aux Etats-Unis, où il s'est établi il y a 20 ans. «Facebook favorise une culture globale», explique-t-il, soulignant néanmoins qu'«entre Africains, on se soutient». Dans un pays qui affiche un communautarisme décomplexé, les Africains et Afro-Descendants se «checkent» dans les interminables couloirs du siège. «Chaque année, une journée nous est consacrée», explique le manager calme et courtois.

En début de soirée, au cœur de l'historique bâtiment 18, nous croisons une quinzaine de collaborateurs africains et afro-américains réunis autour d'un verre pour échanger dans les rires et la décontraction. Parmi eux, Dwalu, le Libérien et Makan, le Malien, entourent une jeune recrue venue du Kenya, faisant écho aux groupes créés pour renforcer les liens intra-communautaires comme «Blacks@Facebook» ou «Africans at Facebook».

«Tech & Data for good» made in Facebook

Mi-mai, à l'occasion d'un événement presse où près de 50 journalistes venus d'une trentaine de pays (une première dans l'histoire du groupe), Fernando Pinho exposait son projet «Please take me there», lancé en 2015. Le Portugais établi à Cambridge était invité pour présenter la valeur ajoutée de Facebook dans le développement de son initiative. «C'est devenu notre centre opérationnel. Il nous facilite les levées de fonds», explique le jeune homme sensible, mais néanmoins déterminé. Il dispose d'un petit avion qui lui permet de transporter les enfants malades des zones rurales jusqu'aux hôpitaux. «Il y a quelques années, j'ai rencontré Latifa, une enfant hospitalisée à Accra. Elle n'avait pas les moyens de rentrer voir ses parents. Je l'ai ramenée chez elle où tout le village l'attendait». La petite fille décédera 2 jours plus tard. L'Afrique et ses maux exposés à MPK...

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Fernando porte avec lui les ambitions de «Tech for Good» que Facebook veut défendre en Afrique, y compris à travers les «disaster maps», l'un des nouveaux outils de support en gestion de catastrophes, inscrites dans son programme «Data For Good». «Nous les avons créées en 2016, pour répondre aux écueils en matière d'information, rencontrés par les ONG», explique Alex Pompe, responsable du programme Data for Good . «Lors des récents ouragans qui ont touché le Mozambique, nous avons pu procurer des informations utiles, notamment dans les zones à haut risque de propagation du choléra.

En République démocratique du Congo (RDC), nous travaillons aujourd'hui avec Columbia University sur le développement d'images satellites qui mesurent la densité de population. Ces données sont cruciales pour prévenir la propagation du virus Ebola», poursuit-il, se référant aux «prevention maps» lancées le mois dernier. Elles fournissent des informations détaillées telles que la circulation des personnes en temps réel et la connectivité entre différentes régions, afin de juguler les épidémies jusque dans les zones les plus reculées. «Nous proposons une fonctionnalité qui permet de vérifier que les populations sont en sécurité après des catastrophes naturelles comme ce fut récemment le cas avec l'ouragan Kenneth», précise quant à elle, Emily Dalton Smith, directrice du département Social Good Product.

Catastrophes naturelles ou enlèvements, Facebook est sur tous les fronts. «Nous avons lancé un outil d'alerte en cas de disparition d'enfant», explique Antigone Davis, en charge du département «Safety», une fonctionnalité qui pourrait demain, trouver tout son sens en Afrique : entre réfugiés et enfants-soldats : «A condition que le pays dispose d'un protocole dédié aux enfants disparus», précise-t-elle. «Nous travaillons sur la question avec une ONG jordanienne actuellement», poursuit-elle (Facebook collabore de façon régulière avec près de 400 ONG dans le monde).

La chasse aux fake news sur le Continent

Les utilisateurs du réseau social représentent aujourd'hui 2,7 milliards de personnes dans le monde (1,3 milliard d'utilisateurs mensuels sur Messenger, 1,5 milliard sur WhatsApp et 1 milliard sur Instagram) dont 145 millions d'utilisateurs subsahariens (seulement) et 97% via la téléphonie mobile, soit une augmentation de 25 millions en 3 ans sur le Continent. Autant dire que le groupe qui a ouvert un premier bureau en Afrique à Johannesburg en juillet 2015 a encore de belles perspectives africaines à venir.

«Le vrai problème en Afrique n'est pas technologique, ce sont les coûts», souligne toutefois Sheryl Sandberg, PDG du groupe, accueillie comme une superstar au sein du «campus» ! Pour baisser des tarifs prohibitifs, le groupe a notamment lancé dès 2015, une application faible en consommation d'énergie, «Facebook Lite», disponible via la 2G.

Par ailleurs, afin de renforcer ses positions africaines, Mark Zuckerberg accompagne le développement des compétences locales, à travers la Chan Zuckerberg Initiative (CZI) qui, dès 2016, réalisait son premier investissement massif de 24 millions de dollars dans la startup Andela, spécialisée dans la formation de développeurs, notamment au Kenya et au Nigeria.

Au-delà des coûts et de la formation, Facebook s'attaque également aux défis des fake news en matière de politique africaine. Taxé d'avoir pris son temps pour se pencher sur le problème dans les pays du Sud, le groupe a réagi en supprimant cette année 265 pages Instagram et Facebook, notamment au Togo, au Nigeria, au Sénégal, en Angola, au Niger et en Tunisie.

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La profusion de fake news a d'ailleurs poussé un certain nombre de pays qui, entre régulation et contrôle de l'information, ont décidé de bloquer un temps, l'accès aux réseaux sociaux comme au Tchad, en RDC ou au Zimbabwe. En Ouganda, «la contribution des mauvaises langues», selon le président, a produit une taxe instaurée en 2018 de 1,56 dollar par mois (résultat : -15.6% d'internautes en six mois). En octobre dernier, Facebook lançait un programme de vérification via le Cameroun, le Kenya, le Nigeria, l'Afrique du Sud et le Sénégal pour enrayer la désinformation online. Associé à l'Africa Check et à l'Agence France Presse (AFP), le groupe renforce encore sa politique de fact-checking sur le Continent, avec notamment un centre d'opérations pour les contenus ouvert depuis février dernier au Kenya.

Au-delà de la visite guidée au cœur de MPK où Facebook a annoncé le lancement d'une fonctionnalité permettant aux utilisateurs américains de s'inscrire pour donner leur sang (une option indisponible en Afrique pour le moment), pas un mot sur la monnaie virtuelle Libra (qui devrait être annoncée d'un moment à l'autre et qui était pourtant de toutes les conversations), pas davantage sur le «projet Simba» révélé par le Wall Street Journal, qui recouvre la construction d'un tentaculaire câble sous-marin autour du Continent : «Nous ne communiquons pas sur la question», nous a poliment répondu la sémillante Sheryl Sandberg.

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Commentaire 1
à écrit le 20/06/2019 à 8:57
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Bonjour. Quelles sont les mesures pour protéger les consommateurs de Facebook ?

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